Cependant, il faut également remarquer que Jarry déforme de nombreux passages des textes chroniqués, par l’hyperbole notamment (42), en remplaçant un rapport de succession par un rapport de cause à effet (43), en modifiant certains noms propres (44) ou termes étrangers (45), en opérant un montage de plusieurs passages distincts qu’il synthétise en une seule formulation (46), ou en allant jusqu’à forcer le sens de tel passage jusqu’au contre-sens (47). Tout cela est-il le fruit de souvenirs de lectures quelque peu distanciés (et l’on sait comme Jarry avait une immense mémoire) ? Cela ne semble pas possible car Jarry, sauf exception, rendait compte des livres qu’il lisait juste après les avoir lus. De plus, il s’y reporte très précisément, pour y puiser, à la virgule près, ses citations (directes ou indirectes), lesquelles sont le plus souvent voisines dans le cours du texte chroniqué. Et même quand Jarry ne déforme pas le propos du livre, il transforme un détail en totalité, ce qui est une autre forme de déformation : il rend compte de certains aspects seulement d’un ouvrage mais sans jamais le spécifier comme si au travers de ces aspects l’on pouvait saisir la totalité de l’ouvrage, développant ainsi la synecdoque comme si elle se confondait avec la synthèse (48) (et c’est du reste l’un de ses grands principes esthétiques). Jarry ne conserve du texte source que des éléments à ce point réduits qu’ils ne font à la limite plus écho aux propos de l’auteur.