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La Une CED

Alain Suied, la poésie de la présence

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 05 Février 2013. , dans La Une CED, Les Chroniques

Il est difficile de parler de ce livre – comme de tout livre dès que l’on ne se trouve pas dans le flux contingent d’un récit mais juste attiré par une expression fine – à cause du caractère éthéré, diaphane de ces pages. D’ailleurs le seuil est invisible, ce qui laisse entendre qu’il est habité d’une présence ductile et lumineuse. C’est en cet esprit que j’ai lu ce livre posthume d’Alain Suied – que je n’ai connu que trop peu, et grâce à son éditeur et ami Gérard Pfister, lequel accompagne l’œuvre du poète depuis 1989 à travers une dizaine de livres. En vérité ces propos liminaires ne sont pas inutiles car je crois qu’ils rendent possible de circonscrire en quoi l’ouvrage est réussi, sachant que le poète guette une mort prochaine et qu’il ne pourra pas revenir sur ce qu’il écrit.

Car, si l’on sait que ces poèmes se suivent dans un ordre chronologique – qui va de soi en un sens parce qu’ils ont été écrits sur la Toile directement, dans une lutte vaine contre la mort – on comprend alors la palpitation vive, la nécessité impérieuse de ce travail. C’est avec cette émotion que la lecture se déroule, allant du seuil si je puis dire, du livre : « Toutes les langues disparaissent » du 15 septembre 2007, jusqu’au dernier souffle du poète avec : « ce regard sans trêve/qui toujours l’a hanté » du 16 juillet 2008. Ces dates obligent à une intériorisation prodigieuse de cette parole transparente et limpide, d’une grande lucidité sur le sort qui se joue pour l’homme de chair, car Alain Suied lutte contre une longue maladie qui l’emportera très vite.

52.dimanche (III)

Ecrit par Didier Ayres , le Samedi, 02 Février 2013. , dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

 

ce dimanche 15 janvier 2012

 

ce qui interroge, pour finir, c’est le triple mouvement de la langue vers elle-même, puis de la venue du réel, et, comme dans un dernier mouvement, de l’appropriation de la chose

je penche pour l’opinion que l’idée existe avant

je m’explique

on pourrait agir à la façon des phénoménologues et reconnaître que le je pense donc je suis ne tient que s’il y a de l’étant d’abord, de l’être, à quoi j’ajoute très modestement, que cette préexistence est un discours

écrire, se pencher sur cette page d’écriture n’est pas tout le langage, mais un chemin dans le discours

Un critique littéraire singulier à l'aurore du XXème siècle : Alfred Jarry (2/3)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 01 Février 2013. , dans La Une CED, Les Dossiers, Etudes

 

Je m’explique : tandis que dans la première période critique de Jarry, le compte rendu s’affichait ostensiblement comme poème en prose du fait de l’obscurité de sa langue, à La Revue blanche, l’auteur de Messaline ruse, « trich[e] avec la force », pour reprendre la formulation de Roland Barthes (27). Sa langue est d’une grande clarté mais il utilise un grand nombre de « raccourcis » dans le domaine de l’encyclopédique. S’il le fait, c’est par goût personnel pour l’érudition, lequel paraît notamment sous la forme d’un mépris affiché et tonitruant pour la vulgarisation, mais c’est aussi et d’abord parce que l’auteur de Faustroll navigue sans obstacles apparents d’un secteur défini de l’épistémologie à un autre, rendant compte d’ouvrages portant sur l’astronomie, l’économie politique, la médecine etc. En conséquence, étudiant la critique littéraire de Jarry à La Revue blanche, si je me suis de facto placé dans le « contexte d’une historiographie renouvelée de la période (histoire littéraire, histoire des arts, histoire culturelle) plus soucieuse du champ éditorial des revues » (28), je me suis inscrit également pleinement « dans la mouvance des études menées, depuis plusieurs années, autour de l’interaction du scientifique et du fictionnel, et, plus généralement, sur la relation de la littérature et du savoir » (29).

Léon Bloy : Exégèse des lieux communs (1/3)

, le Mercredi, 30 Janvier 2013. , dans La Une CED, Les Dossiers, Etudes

 

« La parole du Bourgeois […] va toujours plus loin que sa pensée qui ne va ordinairement nulle part ».

Après la satire romantique du bourgeois, après Flaubert et le Dictionnaire des idées reçues, la dénonciation des poncifs a elle-même quelque chose du lieu commun qui menace toute pensée dès lors qu’elle se publie. Bloy considère pourtant son Exégèse comme ce qu’il a fait de plus original, un livre, de fait, foisonnant, excessif et encore aujourd’hui stimulant. La singularité de sa critique tient à l’engagement religieux de son auteur qui interroge le lieu commun dans l’horizon de la Parole divine.

Comme ses prédécesseurs, il en dénonce bien sûr la bêtise, renversante au point que l’exégète qui s’y confronte peut se retrouver, la tête passée entre les jambes, dans la plus totale perplexité. Il a beau s’interroger, cela ne veut rien dire, ou n’énonce finalement qu’une plate banalité : ainsi « on ne peut être et avoir été » est soit une contre-vérité puisqu’on peut très bien être stupide après l’avoir déjà été, soit ne dit rien d’autre que ce que nous constatons chaque jour, à savoir que, malheureusement, nous vieillissons. Qui renonce à faire usage de sa pensée dispose de ce répertoire d’idées toutes faites, en assez petit nombre, car toutes disent au fond à peu près la même chose. La pauvreté du contenu va avec la nécessité de la forme, l’exacte coïncidence du sens et de son expression.

Entretien avec Antoine Bello, le marchand de fables

Ecrit par Frédéric Aribit , le Lundi, 28 Janvier 2013. , dans La Une CED, Les Dossiers, Entretiens

 

« L’imaginaire est ce qui tend à devenir réel », disait Breton. Il est loin, très loin d’un Breton. Et pourtant… En deux romans, son histoire de « Consortium de Falsification du Réel » impose l’éblouissante virtuosité d’un romancier qui s’inscrit, non sans amusement, à rebours d’un certain paysage littéraire français. C’est qu’Antoine Bello ne fait rien comme les autres. Des études à HEC, une société au développement fulgurant, une conviction libérale qui le conduit à soutenir Sarkozy en 2007… Il y a mieux pour « faire l’écrivain » à la mode germanopratine. Mais surtout, une imagination à revendre, et des histoires, encore des histoires, toujours des histoires à raconter pour ce grand admirateur de Borges, infatigable Shéhérazade du réel aux mille et une pages, installé à New-York. Rencontre dans les pas de Sliv, le héros des Falsificateurs et des Eclaireurs, avec Antoine Bello, à quelques jours de la sortie de son nouveau roman, Mateo.

 

Votre diptyque Les Falsificateurs et Les éclaireurs détonne plutôt dans le paysage littéraire français. Vous sentez-vous plus proche, en terme d’influences et de style, d’une écriture du « storytelling » à l’américaine, que d’une certaine « poétique du nombril » à la française ?