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Critiques

Mémoire d’éléphant (Memória de elefante), António Lobo Antunes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 12 Mars 2025. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, Points, En Vitrine, Cette semaine

Mémoire d’éléphant (Memória de elefante, 1979), António Lobo Antunes, éd. Points, 2001, trad. portugais, Violante do Canto, Yves Coleman, 207 pages . Ecrivain(s): Antonio Lobo Antunes Edition: Points

 

Premier roman de son auteur, cet ouvrage nous jette d’emblée dans le flot des obsessions qui vont hanter l’œuvre de Lobo Antunes : l’absurdité du monde, la douleur d’être, le cauchemar de la mémoire.

Sombre roman, celui des souvenirs fracturés de la fin d’un monde, Mémoire d’éléphant se lit comme la complainte désespérée d’une âme perdue sous le poids du monde et d’elle-même. Le « narrateur » (il faudrait dire plutôt l’émetteur du discours, car il ne dit pas je), l’itératif psychiatre lisboète qui renvoie, dans les romans d’ António Lobo Antunes, à la vie de l’auteur lui-même, hait le monde et sa vie dont il n’accepte pas l’absurdité, en tant que « médecin des âmes » et en tant qu’individu privé. À travers un flux de conscience obsessionnel, entrecoupé de souvenirs disloqués, l’auteur portugais nous invite dans un dédale de pensées troubles, où la douleur se mêle à l’ironie, où le grotesque se fond dans la tragédie.

Le français, parlons-en !, Boualem Sansal (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 11 Mars 2025. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Le français, parlons-en !, Boualem Sansal, Éditions du Cerf, septembre 2024, 188 pages, 19 € . Ecrivain(s): Boualem Sansal

 

Quoi que l’avenir tienne en réserve, Le français, parlons-en ! aura été le dernier livre publié par Boualem Sansal avant son incarcération dans les geôles de la dictature algérienne, le 16 novembre 2024 – début d’un long cauchemar. Il est difficile de dire si cette déclaration d’amour à la langue française, doublée de flèches acérées lancées à l’Algérie (« qui, de son propre chef et héroïquement, s’est jetée dans la gueule du néant grâce à quatre programmes rondement menés par son gouvernement : l’arabisation importée d’Égypte, l’islamisation importée d’Arabie, la militarisation importée d’Irak, la politique spectacle importée de Bollywood et Disneyland », p.43 ; « Les pays qui n’ont pas de langues ou qui ont trahi la leur n’ont pas d’avenir. Le pouvoir algérien l’ignorait car à sa naissance, prématurée et illégitime, durant l’été 1962, il lui manquait une moitié de cerveau » p.127), a joué ou non un rôle dans ce sinistre engrenage judiciaire, mais elle n’a certainement pas été considérée comme une circonstance atténuante. On ne saurait cependant réduire – ce que firent probablement les hiérarques algériens – ce livre à une charge, si justifiée soit-elle, contre le pays natal de l’auteur.

Paris, je t’aime !, Colette (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 10 Mars 2025. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits

Paris, je t’aime !, Colette, Éditions de L’Herne, 2023, 160 pages, 14 € . Ecrivain(s): Colette

 

Ce recueil de textes de Colette, parfois inédits, se découpe en deux sections : Paris, je t’aime !, et J’aime être gourmande, qui ont fait l’objet d’éditions séparées auparavant. Réunis par Gérard Bonal (décédé en 2022) et Frédéric Maget, il reprend parfois des articles où la célèbre écrivaine s’adressait aux lectrices de Marie-Claire. Et il est à noter que, même dans ce type d’exercice – que l’on pourrait considérer de second ordre –, on retrouve dès les premières lignes la signature inimitable du ton et du style de Colette.

En vérité, bien des thèmes chers à son œuvre se rassemblent dans ce recueil : la présence magnétique des animaux, avec « La “Chatte”, celle qui n’a pas voulu d’autre nom », dont elle fait un personnage à part entière, si ce n’est un Sphinx, compagne à la fois calme et déterminée, hautement mystérieuse, sans que l’auteure ne se départisse de l’émotion éprouvée lors de leur rencontre, très singulière, ou lorsqu’elle porte attention à son étrange langueur, à l’approche d’une ultime étape…

Un garçon d’après-guerre, Jean-Luc Marty (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 07 Mars 2025. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, En Vitrine, Cette semaine

Un garçon d’après-guerre, Jean-Luc Marty, Mialet-Barrault Editeurs, janvier 2025, 320 pages, 21 € . Ecrivain(s): Jean-Luc Marty

 

« Le temps restitué par Henri D. renvoie à un garçon d’à peine dix-sept ans incroyablement courageux. Le mien, à un homme que le corps insatiable, le goût pour les marges viriles, les multiples disparitions et l’impuissance au récit absentaient de toute présence familiale ».

Un garçon d’après-guerre est un roman du temps restitué par la mémoire, la photo, la parole, il conjugue tout cela avec une force rare dans l’art français du roman. Le narrateur est photographe, photojournaliste, il cherche le juste équilibre entre deux guerres larvées, la famine et le spectre du terrorisme islamiste qui ravage notamment l’Afrique. C’est à l’occasion d’une exposition de ses photographies à Angoulême, que la machine romanesque à remonter le temps va se mettre en marche, et par la magie blanche du roman, le restituer.

Gens de couleur, Henry Louis Gates Jr. (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 07 Mars 2025. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman

Gens de couleur, Henry Louis Gates Jr., Les Éditions du Canoë, septembre 2024, trad. anglais (États-Unis), Isabelle Leymarie, 368 pages, 24 €

 

Un enfant noir du Comté de Mineral

Gens de couleur est le récit de l’enfant « noir » que fut Henry Louis Gates Jr. (lauréat du Heartland Award du journal Chicago Tribune et du Prix Lilian Smith pour ce livre). Gates grandit à l’époque de la ségrégation raciale aux États-Unis, et se sent, lui et les siens, « comme si nous étions des bateaux se croisant dans une mer de gens blancs ». La couleur de peau est et reste un déterminisme pour celles et ceux porteurs de la couleur noire, catégorisés, figés et abandonnés à une communauté, refoulés tels des parias, et pire, assimilés à une « race ». Ici, le « colored boy » commence son existence à Piedmont, en Virginie-Occidentale, « ville industrielle sur le déclin typique, avec une infrastructure qui se délite et des habitants résignés à sa lente agonie [pourtant au] passé fier et brillant (…) ; ville d’immigrants. Le Piedmont blanc était italien et irlandais, avec une poignée de riches Anglo-Saxons à East Hampshire Street, et, partout ailleurs, des quartiers “ethniques” de gens de classe ouvrière, de couleur et blancs ».