Monsieur Miroir, La vie extravagante de Serge Tamagnot, René de Ceccatty (par Philippe Leuckx)

Relater une vie, c’est accepter qu’il y ait des trous, des incertitudes, c’est s’assurer que l’on a été le plus loin dans l’examen des sources. Et ici les sources sont nombreuses. Le biographe a rencontré son sujet dès 1974, et à quelques détails près, la rencontre s’est prolongée près de cinquante ans. Il est donc bien placé pour connaître Serge. Qui lui a raconté la vie menée jusque-là, la perte de ses parents (pendus à la Libération), la rencontre essentielle avec Violette Leduc et Jean Sénac, personnages littéraires de première importance.

Le livre, cependant, ne fait pas que collationner les instants marquants d’une vie ; il éclaire également le parcours de celui qui la raconte. René de Ceccatty, ainsi, rappelle des moments de sa propre vie, construite par fragments, par appétences, entre philosophie, littérature, rencontres avec les grands écrivains, travail éditorial, etc.

Le livre n’est pas non plus un catalogue, quelle qu’en soit la qualité, de noms, de rencontres, de dates, d’épisodes.

L’intérêt est ailleurs. Montrer qu’un personnage aussi extravagant ait séduit par son humanité, son humour, sa grande culture, son travail artistique, son intérêt pour les écrivains hors pair, sa sexualité (homosexuel) tant de gens. Des fidèles lui ont été reconnaissants jusqu’au bout : Pascal Sevran, Brigitte Bardot, Armande Altaï, Hervé Villard, Françoise d’Eaubonne, d’autres ne l’ont croisé que pour en tirer « quelques clichés » intéressants. Ainsi se déroule la vie. Avec ses fastes et néfastes.

René de Ceccatty éclaire ainsi son personnage, en ethnographe sensible, précis, ne reculant devant aucun détail, grotesque, farfelu, iconoclaste, s’il le faut, car Serge est un fameux personnage : haut en couleurs, marqué par la vie (assassinat de ses parents, assassinat de son ami Sénac, agression terrible une nuit à Paris), tourné vers les autres, photographiant, collant, inventant par ses collages un autre univers, tissé d’humour, de véracité, de réalisme, de surréalisme.

René et Serge se sont apprivoisés. Serge lisait les livres de René. René savait presque tout de lui, par des ami(e)s commun(e)s : Leduc, d’Eaubonne, par ce qu’il lui avait dit de lui-même, de son passé douloureux, de ses voyages.

Serge a beaucoup voyagé : Afrique du nord, Etats-Unis.

Serge a beaucoup rencontré les gens, fréquenté les amis, connu des relations d’un soir, vécu.

Son agression l’avait handicapé et il en ressentait une vive amertume.

Sa grande connaissance des autres, des livres, l’amenait souvent à citer des extraits, à parfois se les approprier dans ses propres textes. Sa grande culture impressionnait son public, tout d’abord gêné sinon agacé par ses accoutrements.

Il est difficile de portraiturer quelqu’un d’aussi riche et fantasque : pourtant, l’auteur réussit sans peine l’exercice.

Il ressort de la lecture que la vie façonne d’une manière extraordinaire l’intériorité d’un personnage. Serge est proche de nous tous : il a été créateur d’une œuvre et de sa propre vie. Il a connu des passions (pour un jeune Marocain sans patronyme), de nombreuses amitiés sincères, un parcours digne d’un film.

Une biographie exceptionnelle, féconde, au ton fervent, à la conviction partageable.

Philippe Leuckx

René de Ceccatty, né en 1952, est écrivain, traducteur, critique, dramaturge, essayiste français, Il est l’auteur d’une cinquantaine de volumes depuis 1979, dont : L’extrémité du monde ; Un accompagnement ; Consolation provisoire ; Enfance dernier chapitre ; etc.