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Critiques

Hymne, Ayn Rand (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 11 Janvier 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Les Belles Lettres

Hymne, Ayn Rand, Les Belles Lettres, septembre 2023, trad. anglais (USA) Catherine Bonneville, 108 pages, 9,90 € Edition: Les Belles Lettres

 

Hymne possède la limpidité, l’efficacité et la force des grandes paraboles. Publié en 1938, alors que l’Europe préparait activement sa deuxième tentative de suicide (la troisième est en cours actuellement), ce mince volume vient enrichir la galerie des contre-utopies, ou dystopies, parmi Le Meilleur des mondes1984Nous autres, ou, bien plus ambigu, La Cité et les Astres d’Arthur C. Clarke, dont on peut se demander s’il n’a pas subi l’influence, directe ou indirecte, d’Ayn Rand.

L’univers (au sens étroit) dans lequel évolue le personnage principal, Égalité 7-2521, n’est en effet pas sans analogies avec la Cité de Diaspar. Alvin et Égalité 7-2521 vivent dans le monde post-apocalyptique d’une cité close, d’où nul n’a le droit ni même l’idée de sortir, car le monde extérieur est perçu comme maléfique, dangereux et tabou. Mais le Conseil mondial d’Ayn Rand n’est pas l’ordinateur omnipotent qui régit la vie de Diaspar et le monde dans lequel Égalité 7-2521 est appelé à inscrire sa courte vie n’est pas fondé sur la technologie. Hymne décrit une pure utopie communiste, une expression à la limite du pléonasme, comme eût dit Julien Freund, qui voyait dans le communisme l’utopie la plus dangereuse jamais secrétée par l’esprit humain.

Le grand sommeil (The Big Sleep), Raymond Chandler (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 10 Janvier 2024. , dans Critiques, Les Livres, Polars, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine, Cette semaine

Le grand sommeil (The Big Sleep), Raymond Chandler, Folio Policier, 1998, trad. américain, Boris Vian, 332 pages Edition: Folio (Gallimard)

 

Le grand sommeil est un des moments fondateurs d’un genre qui va engendrer un véritable espace littéraire, peuplé de milliers, de dizaines de milliers d’ouvrages, plus ou moins grands, plus ou moins nuls, mais dont la paternité peut toujours – peu ou prou – revenir à Raymond Chandler. Ici, dans cet ouvrage, sont bâtis les piliers de la cathédrale du roman noir, tous ses codes, ses figures, son univers, ses passions vénéneuses. Philip Marlowe, le détective privé pour l’éternité, est le géniteur d’un monde qu’il met à nu, celui du Los Angeles des années 40, peuplé par ses stars de cinéma, ses gangsters et ses milliardaires, sa faune humaine sulfureuse, métaphore urbaine d’une Amérique éternellement scandée par le rêve et le cauchemar. Seul Dashiell Hammett peut prétendre à être l’autre grand bâtisseur de cathédrale.

La Terre plate, Généalogie d’une idée fausse, Violaine Giacomotto-Charra, Sylvie Nony (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 09 Janvier 2024. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Folio (Gallimard)

La Terre plate, Généalogie d’une idée fausse, Violaine Giacomotto-Charra, Sylvie Nony, Folio histoire, septembre 2023, 320 pages, 9,20 € Edition: Folio (Gallimard)

L’idée est répandue et même fermement ancrée dans les croyances contemporaines : le Moyen Âge est une période obscurantiste, durant laquelle l’Église a systématiquement renié tout savoir scientifique antique, en particulier concernant la cosmographie et la géographie, et il a ainsi fallu Christophe Colomb et Galilée pour que la notion d’une Terre sphérique soit à nouveau acceptée voire connue. Cette idée, Giacomotto-Charra et Nony la battent en brèche et montrent sa généalogie, genèse et histoire, en un bref essai aussi bien documenté qu’organisé et clair, même pour le lecteur néophyte.

La première partie de La Terre plate propose un voyage, de l’Antiquité au début du XVIIe siècle, voyage au cours duquel le lecteur découvre une myriade d’auteurs et de textes auxquels les autrices font dire ce qu’ils disent exactement : oui, la Terre est une sphère. Les rares voix s’érigeant en faux (les célèbres Lactance et Cosmas, dont les tenants d’un Moyen Âge ignare feront leur beurre bien que ces deux auteurs soient intellectuellement minoritaires) sont bien sûr mentionnées, puisque l’honnêteté intellectuelle est ici de rigueur, mais surtout des nuances importantes sont apportées.

La petite différence et ses grandes conséquences, Alice Schwarzer (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mardi, 09 Janvier 2024. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Langue allemande, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

La petite différence et ses grandes conséquences, Alice Schwarzer, éditions Des femmes Antoinette Fouque, octobre 2023, trad. allemand, Marthe Wendt, Leslie Gaspar, nouvelle préface traduite en allemand, Anne-Charlotte Chasset, 298 pages, 9 € Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

 

Article 16. Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. La constitution est nulle si la majorité des individus qui composent la Nation n’a pas coopéré à sa rédaction (Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenneté, 1791).

 

Contraintes et résignation du rôle féminin

La petite différence et ses grandes conséquences d’Alice Schwarzer (née en 1942 à Wuppertal, journaliste, l’une des féministes allemandes les plus reconnues) est un texte militant. L’ouvrage, réédité, fut un best-seller dans les années 1970 et traduit en plusieurs langues.

Le Tigre Absence, Cristina Campo (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 08 Janvier 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, En Vitrine, Arfuyen, Cette semaine

Le Tigre Absence, Cristina Campo, éd. Arfuyen, Coll. Neige, trad. italien, Monique Baccelli, novembre 2023, 132 pages, 15 € Edition: Arfuyen

 

Hauteur

Le mot Hauteur m’est venu assez vite pour qualifier en propre comme au figuré cette poésie d’une grande force d’ascèse, qui trouve son expression dans une langue très retenue, mais sans formalisme, donc laissée vivante aux yeux du lecteur. Cristina Campo mêle à son poème quelque chose d’inouï, et que l’on pourrait traiter de sublime (si ce mot a encore une valeur intellectuelle), une poésie qui se justifie par sa rencontre avec l’essence de l’écriture. La poète circule presque avec pudeur dans son monde, son univers, son imaginaire, lesquels sont composés de figures dansées, espèce de ballet linguistique très organisé et ne laissant place à aucune erreur, aucun faux-pas (il faut donc faire confiance à la traductrice qui a restitué en français ces textes depuis l’italien). Textes de l’épure, plume aussi retenue que celle d’Emily Dickinson, emplis d’une spiritualité sans emphase. Voilà pour l’ordre d’idée auquel nous convie cette littérature, simplicité non affectée, peuplée du petit dieu ailé de l’opportunité du Kairos qui surgit çà et là, témoin d’une activité de création toujours en mouvement.