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Critiques

Penser avec Marc Fumaroli, Antoine Compagnon (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 19 Décembre 2023. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Penser avec Marc Fumaroli, Antoine Compagnon, Librairie Droz (Genève), juin 2023, 218 pages, 42 € . Ecrivain(s): Antoine Compagnon

 

Motus in fine velocior, dit le vieil adage scolastique. De plus en plus malade, Marc Fumaroli a vécu ses dernières années dans une frénésie de publications, qu’il s’agisse de livres-bilans, comme Partis pris, Littératures, esthétique, politique (Bouquins Laffont) ou Lire les arts dans l’Europe d’Ancien Régime, mais également d’un ouvrage neuf, Dans ma Bibliothèque, paru après sa mort, et dont Antoine Compagnon écrit, faisant écho à ses propres recherches (La Vie derrière soi, Fins de la littérature), qu’il « s’offre l’audace géniale des œuvres ultimes » (p.11).

En cinquante années de vie intellectuelle (il participa dans les années 1970 à la fondation de la Revue Contrepoint, avec Raymond Aron. Il y publia son premier article, en 1971, sur la crise universitaire), Marc Fumaroli eut un parcours académique à la fois impeccable (il collectionna les titres, les honneurs, les récompenses) et paradoxalement sinueux, puisqu’il partit d’une thèse (jamais écrite en tant que telle) consacrée à Corneille, laquelle se métamorphosa en un maître-livre sur la rhétorique, L’Âge de l’éloquence (1980), qui fonda à lui seul une discipline.

Chien sauvage, Pekka Juntti (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 18 Décembre 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Gallmeister

Chien sauvage, Pekka Juntti, éd. Gallmeister, septembre 2023, trad. finnois, Johanna Kuningas, 464 pages, 25,40 € Edition: Gallmeister

 

Ce premier roman d’un journaliste finlandais impliqué dans la cause environnementale raconte une belle aventure humaine : celle de Samuel, jeune homme âgé de dix-neuf ans, qui part vers le Grand Nord, la Laponie, pour vivre son rêve, devenir meneur de chiens de traîneau. Arrivé dans l’élevage tenu par Matti et Sanna, il est confronté à la réalité la plus crue, celle du nettoyage des cages, de la mise à mort d’un chien incapable de survivre dans ces terres sauvages, mais aussi celle des visiteurs à qui il faut sourire et parler – mais le plaisir des chiens l’emporte. L’aventure se concrétise lorsque Trond, un autre musher, perd deux chiens qui s’ensauvagent aussitôt, Nanok et Inuk. Pour Samuel, qui désire avant toute chose échapper au sort familial, celui de la mine, c’est l’envol vers son rêve : après avoir capturé Inuk, retrouver Nanok en respectant la forêt, les us des éleveurs de rennes, bref être l’égal des personnages du roman Baldy de Nome, signé Esther Birdsall Darling, qui l’a envoûté enfant.

Sa seule épouse, Peace Adzo Medie (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 15 Décembre 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Afrique, Roman, Editions de l'Aube

Sa seule épouse, Peace Adzo Medie, Éditions de l’Aube, août 2023, trad. anglais (Ghana), Benoîte Dauvergne, 296 pages, 22 € Edition: Editions de l'Aube

 

Afi et Elikem sont mariés par leurs deux familles aux toutes premières pages du roman… en l’absence d’Elikem (le marié). Les jeunes époux ne se verront qu’à la page 78 ; et leur tout premier baiser (réciproquement vrai et sensuel) n’aura lieu qu’à la page 127 (sur 296 pages donc). Entre ces différentes étapes, pour le dire ainsi, il s’écoule à peu près trois mois. Et pourtant, malgré ce commencement tout à fait inhabituel et même insolite, c’est d’un conte de fées prenant et passionnant qu’il s’agit ici pour le lecteur.

« Eli arriva à treize heures trente-six. Si je m’en souviens avec autant de précision, c’est que mes yeux étaient fixés sur l’horloge de mon portable lorsque la sonnette retentit. Je sursautai et laissai tomber l’appareil ; je n’avais pas entendu l’ascenseur s’arrêter ni s’ouvrir à notre étage. Ma mère sortit précipitamment de la salle de bains et articula “Vas-y !” tout en pointant la porte du doigt. J’hésitai, tenant bêtement à récupérer mon portable sous la chaise avant d’aller ouvrir. (…) Je me levai et lissai ma robe sur mes hanches. Mes aisselles étaient humides ».

Le voyage empêché, Tassadit Imache (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 15 Décembre 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Le voyage empêché, Tassadit Imache, éditions Hors d’atteinte, octobre 2023, 135 pages, 15 €

 

Perambulation

« Écrivaine discrète et pudique, Tassadit Imache ne cesse depuis plus de vingt-cinq ans d’interroger ce qu’il y a d’humaniste dans sa double appartenance. Née dans le conflit, d’une mère française et d’un père algérien, en pleine guerre d’indépendance, elle porte ces traces dans sa chair et naturellement dans ses romans » (Arezki Metref, Le Soir d’Algérie, 2010).

Tassadit Imache, née en 1958 à Argenteuil, a choisi pour son huitième roman un titre ambivalent, Le voyage empêché. Il s’agit en l’occurrence d’un déplacement limité dans l’espace environnant, un voyage désiré par une personne en retrait mais retenue par un mystérieux obstacle, suivi d’un retour à la nature à la manière de Thoreau. Ce qui fait écrire à l’autrice : « Tous ceux qui prétendaient franchir l’horizon sont assignés à quai par les lois des hommes ». Apophtegme toujours d’actualité. Tassadit Imache est travaillée sans cesse, en filigrane, par un retour vers l’Algérie, Tizi-Ouzou, la capitale du Djurdjura, le « Col des genêts ».

Shorts, Wystan Hugh Auden (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 08 Décembre 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Poésie, Rivages poche, Cette semaine

Shorts, Wystan Hugh Auden, Rivages Poche, 2003, trad. anglais, Frank Lemonde, suivi d’un essai de Hannah Arendt, 142 pages, 7 € Edition: Rivages poche

 

L’occasion du cinquantenaire de la mort d’Auden fait rouvrir ici un de ses recueils les plus denses et délicieux (mais malheureusement difficile à dénicher), Shorts, en nous sortant du seul poème Funeral blues, rendu célèbre (« Stop all the clocks, cut off the telephone… ») par sa lecture (bouleversante) dans le film Quatre mariages et un enterrement.

Auden (1907-1973) est toujours, avec bonheur, en poésie juge et partie : comme juge, il délimite la stricte fonction du poète (« exprimer avec exactitude ce qu’il eut l’honneur de contempler », et en laisser aux autres l’appréciation, p.85) ; comme partie prenante, il s’y tient, rigoureusement, lui-même. Si la contemplation arrive trop tard, si l’exactitude se pointe trop tôt, elles repasseront, voilà tout. Auden entend rester maître de l’agenda de ses chefs-d’œuvre, et contrôler (de sa toujours ironique sévérité) l’emploi du temps de sa Muse :