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Critiques

Un rêve américain (An American Dream, 1966), Norman Mailer (par Leon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 20 Août 2025. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Grasset, En Vitrine, Cette semaine

Un rêve américain (An American Dream, 1966), Norman Mailer, Cahiers Rouges Grasset, trad. américain, Pierre Alien, 336 pages, 10,40 € Edition: Grasset

 

Un rêve américain, sous la plume de Mailer, est évidemment un effroyable cauchemar. La violence du propos n’a d’égale que celle de l’écriture, conçue comme une lapidation avec des mots, une logorrhée brutale et morbide. Mailer érige dans ce roman un monument à la gloire de sa propre œuvre, faite de bruit et de fureur, mais il déploie aussi une machine de guerre contre son pays hypocrite qui masque sa violence originelle dans les oripeaux de la liberté et de la réussite. La lecture de cet ouvrage aujourd’hui résonne d’une puissante évocation prophétique de l’Amérique de Donald Trump, furieusement individualiste et libertarienne.

Rojack, le héros du roman, est l’incarnation de cette Amérique : Mailer crée un personnage ambivalent, intelligent et brutal, prototype des contradictions d’une Amérique écartelée entre son vernis de respectabilité et ses pulsions les plus sombres. Il navigue entre culpabilité et autojustification, baigne dans l’hypocrisie morale et l’obsession du pouvoir sous toutes ses formes.

Ce que je sais de Monsieur Jacques, Leila Bahsain (par Abdelmajid Baroudi)

Ecrit par Abdelmajid Baroudi , le Lundi, 18 Août 2025. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Maghreb, Albin Michel

Ce que je sais de Monsieur Jacques, Leila Bahsain, Albin Michel 2024, 224 p. 19,60 € Edition: Albin Michel

 

Il va sans dire que la notion du corps traverse les écrits littéraires, en l’occurrence le roman. Sa présence dans les récits est à mon avis une contribution et ajout à ce que la philosophie, la psychanalyse et l’anthropologie ont développé sur cette notion. La relation au corps, le corps sujet, le corps texte et nature, le corps en tant que communicateur et acteur de corporéité, tous ses aspects démontrent que les messages que peut transmettre le corps sont parfois plus audacieux et plus clairs que la langue. D’autant plus que la relation du corps avec le sujet pris dans sa dimension identitaire suscite le questionnement. Suis-je mon corps ? L’identité de la personne est-elle d’ordre corporel ? Si c’est le cas, quels sont les caractères selon lesquels on identifie le corps ? Quelle est la relation entre le corps et la liberté ? Autrui, préserve-t-il cette relation ou bien la chosifie-t-il ?

Mon objectif est de capitaliser sur la complexité de ces questions en vue de tenter de dégager la dynamique de ce réseau conceptuel qui tourne autour de la notion du corps dans le roman Ce que je sais de Monsieur Jacques, écrit par la romancière Leïla Bahsain. (1)

Les nouveaux Moutons de Panurge, Myriam Ackermann-Sommer (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 08 Juillet 2025. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Albin Michel

Les nouveaux Moutons de Panurge, Myriam Ackermann-Sommer, Albin Michel, 2025, 172 pages, 17,90 € Edition: Albin Michel

 

En 1952 parut un livre auquel, toute révérence gardée, on pourrait appliquer ces paroles de Dieu à Abraham : « je multiplierai ta race comme les étoiles du ciel et comme le sable du rivage de la mer » (Genèse/Berechit 22, 17 ; traduction Bible du Rabbinat) : La Puissance de la pensée positive de Norman V. Peale. L’ouvrage fut en effet au point de départ d’un genre appelé à une brillante et nombreuse postérité : les traités de développement personnel, un domaine qui occupe désormais des rayonnages entiers dans les librairies et dont les innombrables stolons, qui reprennent et modulent à peu près tous les mêmes considérations, connaissent une rotation très rapide – ceci expliquant cela.

À première vue, le livre de Myriam Ackermann-Sommer n’est qu’un traité de développement personnel supplémentaire et sans doute sera-t-il rangé dans cette catégorie par plus d’un libraire (qui, le fait est notoire, n’ont plus le temps de lire les livres qu’ils proposent au chaland).

La mémoire délavée, Nathacha Appanah (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Mercredi, 02 Juillet 2025. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Mercure de France

La mémoire délavée, Nathacha Appanah, Mercure de France, collection Folio, 6 février 2025, 150 pages, 7,60 € . Ecrivain(s): Nathacha Appanah Edition: Mercure de France

 

La République de Maurice se qualifie de « nation arc-en-ciel » en référence à la pluralité, à la diversité des composantes de sa population, officiellement classée en quatre catégories de citoyens : les Sino-Mauriciens, les Musulmans, la Population Générale (dont les Cafres descendants des esclaves africains et les Franco-Mauriciens issus des colons), et les Indo-Mauriciens, catégorie à laquelle appartient Nathacha Appanah, journaliste et  romancière bien installée dans le paysage littéraire francophone.

C’est à l’occasion de l’observation des complexes, inextricables, inexplicables circonvolutions du vol migratoire d’une nuée d’étourneaux que l’autrice est saisie par la résurgence de la blessure plus ou moins refoulée, néanmoins toujours latente, de l’angoissante présence de larges zones d’ombre contrastant avec des bribes ténues, fragiles, de rares faits connus dans la chaîne nébuleuse de la migration familiale dont elle constitue l’un des maillons actuels.

J’écris l’Illiade, Pierre Michon (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Lundi, 30 Juin 2025. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

J’écris l’Illiade, Pierre Michon, Gallimard 269 p. 21 € Edition: Gallimard

 

J’écris Michon

Ou plutôt je le crie !

Car Michon peut crier aussi. On le savait savant. On le savait minuscule et immense, on le savait montagnard des montagnes, ombré de vallées d’arbres, profondes, obscures, et on savait, grâce à lui, de savants pas moins les zincs où boire et apprendre, les rivières de sources blanches et les Beunes, bon, on savait tout ça de Michon, mais de Pierre que savait-on ?

Le lire s’impose plus que jamais. Il est vieux, il a son âge, deux mille ans pas moins.

Il est jeune, pubère à peine. Il baise en fontaines les princesses de jupes courtes, d’ailées jarretelles. Il n’est pas politiquement ni wokement correct. Il se moque de woke et se fout de MeToo, il est Pierre et sur ce royaume, in saecula saeculorum, Pierre Michon est notre Grand Auteur et Lecteur Difficile.