About Alice, Pat Andrea (par Yasmina Mahdi)
About Alice, Pat Andrea, éditions Les Arts dessinés, mai 2025, 128 pages, 35 €

Ce que Pat Andrea trouva chez Alice
L’ouvrage luxueux About Alice réunit une sélection de planches et d’images tirées de 3 carnets de croquis réalisés par Pat Andrea (né en Hollande en 1942 au sein d’une famille d’artistes, diplômé d’une des plus anciennes écoles d’art du monde, l’Académie royale des Beaux-Arts de La Haye). Nous faisons la connaissance de l’homme, photographié dans son atelier, au cours d’un entretien mené par Frédéric Bosser (fondateur des Arts dessinés). Pat Andrea est à l’initiative d’un atelier de dessin et de collage à l’École de Recherche Graphique à Bruxelles. En 1998, il est nommé professeur aux Beaux-Arts de Paris où il enseignera jusqu’en 2007. Le 6 mars 2002, il est élu membre Correspondant à l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France.
Pat Andrea crée des personnages céphalopodes pour toutes les étranges créatures de l’univers fantasmatique des Aventures d’Alice au pays des merveilles, écrites en 1865, suivies du roman de 1871, De l’autre côté du miroir, de Lewis Carroll (1832-1898). L’artiste admire Jérôme Bosch, les primitifs flamands, les expressionnistes allemands, Piero Della Francesca, Goya, et Bonnard ; plus proche de nous, il cite l’anglais Peter Blake, « l’outsider américain Henri Darger et l’artiste allemand Neo Rauch ». Pat Andrea affirme (avec justesse) : « La création est un miracle ». Il a été influencé par les dessins de « Saul Steinberg, Pablo Picasso, les gravures de Rembrandt, les eaux-fortes de Goya ».
49 images sur 607 pages de recherches ont été choisies initialement par l’éditrice Diane de Selliers lors d’une commande. L’artiste hollandais a finalisé son œuvre sur de petits et grands formats, usant de techniques sobres – mine de plomb, rotring, plume, crayons de couleurs. Ainsi, le personnage d’Alice change de dimensions, en lévitation ou chutant dans le pays des merveilles, pleure ou crie, face à des objets familiers et des animaux fantastiques, lors de la « Caucus Race » dans laquelle tout vacille et se retourne.
Le procédé figuratif de Pat Andrea rend fortement le monde abracadabrantesque du rêve-cauchemar d’Alice, par exemple, quand elle surnage dans une piscine de larmes, en compagnie de la chatte et du rat. Le plasticien quadrille certains de ses dessins avant de les agrandir. La figure, le corps et les postures d’Alice sont intégrés dans des espaces architecturés. Des ajouts colorés, des « gribouillis » se marient à la maîtrise du trait, très épuré. Des études librement menées représentent les scènes du cochon, du chat de Cheshire, des reines blanches et des reines rouges du jeu d’échecs – clé du texte de Carroll, foisonnant d’allusions satiriques et de comptines populaires. Les objets se déforment, copiés sur les horloges coulantes de Dalí, les visages géométriques et réassemblés de Picasso, comme les pièces d’échecs humanisées, les fragments d’Alice (au sexe apparent mais stylisé) traversant le miroir ou face à Humpty Dumpty… Et l’artiste l’affirme : « Je fais en sorte que l’œuvre soit visuellement belle, d’autant plus quand l’image est violente ».
Les péripéties d’Alice dans le royaume enchanté prennent une tournure initiatique, parfois dangereuses, et Pat Andrea a su restituer par sa solidité graphique l’ampleur de cette aventure fantastique. Tout au long de ce work in progress, la jeune fille, en fait, n’est jamais la même ; elle change d’yeux, de traits, de silhouette, de taille, et c’est formidable. C’est l’Alice de pat Andrea.
Yasmina Mahdi
- Vu : 530