Le Rouge et Laure, Galien Sarde (par Philippe Chauché)
Le Rouge et Laure, Galien Sarde, Éditons Fables Fertiles, février 2025, 230 pages, 18,60 €

« Non loin, tout près, l’orage grondait dans l’air toujours plus électrique, un vent mauvais venait de la mer, morne et houleuse. Le ciel, désormais, était sombre, sombre et brumeux, chargé de pluie. Toutes les fenêtres étaient closes, à Lagord, les stores baissés, les machines à risque, débranchées. L’avis d’orage émis la veille par les médias avait grandement été suivi, le précédent ayant fait des dégâts. Assis dans la cuisine éclairée, survoltée, les enfants de Gaspard en entendaient grossir les signes, bientôt sur le point d’éclater. Leurs visages, semblables, étaient tristes, franchement émus, navrés par la mort de leur père ».
Le Rouge et Laure est un roman policier altier. La mort de Gaspard dans d’étranges conditions pousse un policier à lever, ou tenter de lever quelques voiles familiaux. Gaspard est riche, Laure sa compagne, qu’il devait épouser avant de subitement quitter la terre, dans sa maison de Lagord, trouble tous ceux qui la croisent, elle incarne la séduction et l’attirance volcanique.
Les enfants de Gaspard, Julien, Blandine et Baptiste vont se retrouver et tenter de tisser des fils familiaux distendus par le temps et le caractère vif du père, le récit romanesque se déployant, ils vont se révéler, car le roman est une plaque tectonique sensible au moindre mot, au moindre geste, à la remémoration de souvenirs, parfois douloureux. L’enquête va devoir dire et surtout prouver que cette disparition n’a rien de naturel jusqu’aux dernières pages sacrificielles du roman. Galien Sarde a en main toutes les cartes du roman policier, du roman d’enquête et d’intrigue familiale, ouvrant des pistes, misant sur les tensions, le choc des souvenirs et des suppositions. Il est des écrivains comme des musiciens qui, attachés à l’art de la composition, ici du roman, s’attachent dans les phrases qu’ils écrivent, dans les grilles d’accords qu’ils composent, à glisser des notes, des verbes, des mots, qui étonnent, troublent, mais qui rendent au roman, à la musique, une étrange force, un vertige qui électrifie le récit. Cet art singulier c’est celui de la composition, elle demande au lecteur une attention particulière, la même qu’il réserverait à une pièce du clarinettiste américain Jimmy Giuffre, qui possédait l’art singulier de la mélodie distanciée, incendiée, sans que jamais elle ne soit abandonnée aux affres d’une dissonance hasardeuse. Comme tout roman policier, qui se veut avant tout un roman, Le Rouge et Laure nous invite à douter de tel ou tel témoignage, à imaginer que derrière la mort de Gaspard, se cache tel personnage, d’essayer d’aller plus vite que le récit, mais Galien Sarde retourne nos hypothèses, et nous entraîne sur d’autres pistes, un roman disais-je, nourri d’intrigues policières, mais un roman, vif et captivant.
« Devant lui, plusieurs têtes sont baissées, dont celles, difficiles à voir, des enfants de Gaspard, collés les uns aux autres et qui donnent, n’étaient quelques signes de tension infimes, l’image d’une famille unie dans le deuil comme jamais, par une télépathie des abîmes ».
Le roman de Galien Sarde est marqué par ces signes de tension infimes qui se conjuguent au présent et au passé, mais aussi par la troublante force attractive de Laure. L’une des forces du roman, évoquée plus haut, est sa fidélité à un style littéraire, le roman policier, plus ou moins noir, plus ou moins rouge sang, l’auteur s’en approprie les règles d’or, en y ajoutant sa marque, sa signature stylée et stylisée. Le monde du roman : les enfants du disparu et Laure, sa prédestinée mariée en noir, sont remarquablement décrits, dans leurs face à face, dans le regard que leur porte le commissaire Bloom, qui doit être un expert en stratégie, animé par l’art de la fausse piste, devant conduire à résoudre cette bien étrange affaire, pour un bien étrange et passionnant roman.
Philippe Chauché
On doit à Galien Sarde : Échec et Mat ; et Trafic (Editions Fables Fertiles).
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