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Tais-toi, je t’en prie, Raymond Carver

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 17 Mars 2017. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Points

Tais-toi, je t’en prie, trad. anglais (USA) François Lasquin, 336 pages, 7,30 € . Ecrivain(s): Raymond Carver Edition: Points

 

Pourquoi lit-on les nouvelles de Raymond Carver (1938-1988) ? Pourquoi lit-on, ses poèmes ? Peut-être pour une raison très simple : comme le chante Gérard Manset nous avons des vies monotones, et celles que raconte Carver leur ressemblent par cette vertu de l’éclat soudain, de l’impression, occasionnelle mais prégnante, d’une faille dans l’univers dans laquelle s’engouffre un mal-être qui prend à la gorge, un peu comme ce que ressent Al, le père au bord du gouffre de la nouvelle Jerry et Molly et Sam : « Il lui semblait que l’univers entier s’écroulait autour de lui. Pendant qu’il se rasait, il s’immobilisa, le rasoir suspendu dans l’air, et fixa son image dans la glace. Son visage était pâteux, informe. Il suait l’immoralité. Il reposa son rasoir. Cette fois, je me suis planté pour de bon. J’ai commis la plus grave erreur de ma vie. Il saisit le rasoir, le plaça contre sa gorge et acheva de se raser ».

No home, Yaa Gyasi

Ecrit par Theo Ananissoh , le Samedi, 11 Mars 2017. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Calmann-Lévy

No home, janvier 2017, trad. anglais (USA) Anne Damour, 408 pages, 21,90 € . Ecrivain(s): Yaa Gyasi Edition: Calmann-Lévy

 

Une idée simple – un peu biblique – et un accomplissement ample, très ample. Prendre ce jeune étudiant américain apparemment noir et la jeune femme, également noire, à côté de lui, là, dans ce musée de San Francisco, et remonter la généalogie de chacun des deux. Non ; pas remonter, mais faire un saut dans le passé lointain puis reconstituer à partir de là la trame respective des multiples existences, des multiples histoires, des multiples lieux qui précèdent l’un et l’autre. Chaque être a dans son dos une foule d’autres vies, une infinie ramification.

Au milieu du XVIIIe siècle, sur la côte de ce qui, quelque deux cents ans plus tard, sera nommé le Ghana, les peuples, les ethnies ou les tribus comme on veut, minuscules ou grands, se font sans cesse la guerre. Et comme partout ailleurs et de tout temps dans les affaires humaines, les vainqueurs de la veille sont à leur tour vaincus le lendemain à la faveur d’un changement d’alliance, d’une ruse ou d’un intense désir de vengeance. Yaa Gyasi, vingt-huit ans, est une romancière disons de la tradition balzacienne. Elle sait qu’un roman, ce sont des personnages. Au cours d’une de ces guerres à répétition et du lot des captifs du moment, elle isole une femme nommée Maame. Horreur encore bien de notre époque évoluée, Maame est violée par un des hommes de la tribu victorieuse. Elle accouche d’une fille prénommée Effia.

Petite sœur la mort, William Gay (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 02 Mars 2017. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Fantastique, Seuil

Petite sœur la mort (Little Sister Death), trad. américain Jean-Paul Gratias, mars 2017, 270 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): William Gay Edition: Seuil

Et l’arbre couleur de feuilles de mille couleurs différentes

Parla, et toutes les feuilles voltigèrent en l’air

Et tournoyèrent autour du tronc ; et l’arbre était un

Vieillard à la barbe blanche resplendissante comme

Une cuirasse d’argent, et les feuilles étaient des oiseaux.

« Que dis-tu, bon saint François ?

Petite Sœur la Mort » dit le bon saint François

William Faulkner, Mayday

(Extrait de l’épigraphe du roman)

 

Le titre français, et le titre original (Little Sister Death), sont donc une référence à un texte peu connu de Faulkner.

Ton cœur comme un poing, Sunil Yapa

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 10 Février 2017. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Rivages

Ton cœur comme un poing, janvier 2017, trad. anglais (USA) Cyrielle Ayakatsikas, 352 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Sunil Yapa Edition: Rivages

C’est un roman puissant, un roman américain dans ce qu’il donne de meilleur, écrit au présent de narration, comme si les événements se déroulaient devant nos yeux, immédiatement.

L’intrigue prend place lors d’une des premières manifestations altermondialistes, la fameuse marche de protestation qui a lieu à Seattle en novembre 1999. Deux camps se font face : les manifestants, pacifistes de tous bords, et les forces de police, prêtes à tout pour maintenir l’ordre.

Plusieurs personnages sont approchés en multifocale : Victor le junkie, John Henry l’ancien homme d’Eglise, l’agent de police Timothy Park au visage balafré, patrouillant sur son cheval, Julia, dite Ju, la fliquette armée pour tuer, le Major Bishop, à la tête des forces de l’ordre en charge de la sécurité, menant les troupes au combat, King, la spécialiste de la non-violence. Il y a aussi le Dr Charles Wickramsinghe, ministre adjoint des Finances et de la Planification du Sri Lanka, délégué pour participer à une rencontre avec Clinton afin d’obtenir la quarantième et dernière signature de son traité régulant le commerce extérieur de son pays, et malencontreusement pris dans le maëlstrom. Tous ces personnages, le lecteur les suit pas à pas, heure après heure, dans leurs déplacements, les scansions de leurs slogans, leurs pensées et leurs agissements.

Attachement féroce, Vivian Gornick

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 31 Janvier 2017. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Récits, Rivages

Attachement féroce (Fierce Attachments), traduit de l’américain par Laetitia Devaux, Février 2017, 222 p. 20 € . Ecrivain(s): Vivian Gornick Edition: Rivages

Quelques clichés dans les premières pages, inévitables dans la période où le livre a été écrit (1985) : la mère juive, les rues juives de New York. Mais qu’on se rassure pleinement, l’intelligence et la justesse du trait de Vivian Gornick emportent très vite l’adhésion, et s’éloignent de tout pathos pour bâtir le superbe récit d’une terrible histoire de femmes.

Une mère juive prototypique (et communiste au demeurant, dans les années 50 ça se faisait beaucoup). Une fille juive qui ne l’est pas moins mais que la modernité aspire vers l’émancipation sociale, sexuelle. Toutes les deux sont soudées par un lien monstrueux, fait de passion. Passion filiale et maternelle, tissée par un authentique amour et une haine farouche non moins authentique.

Le cadre de cette liaison – on peut parler de liaison au sens amoureux du terme – c’est New York. Pas le New-York gigantesque et flamboyant dont on a l’habitude en littérature. Un New York-Village, provincial, presque rural, dans lequel les deux femmes habitent le quartier juif, entre le Bronx, Brooklyn et Manhattan. Un village que mère et fille arpentent avec conviction, rue après rue, à pied le plus souvent, parfois en bus et qui, peu à peu, se constitue en décor topographique au roman.