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Roman

L’accordeur de silences (Jerusalém), Mia Couto (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 30 Avril 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Métailié, En Vitrine, Cette semaine

L’accordeur de silences (Jerusalém), Mia Couto, Métailié Suites, 2013, trad. portugais (Mozambique), Elisabeth Monteiro Rodrigues, 236 pages, 10 € . Ecrivain(s): Mia Couto Edition: Métailié

Ce livre est d’abord le roman d’un lieu. D’un non-lieu plutôt, un trou hors du monde, un anti-espace suspendu nulle part. Jérusalem. Le nom dans son étymologie première : la Fondation. Ici, Dieu n’est pas le Grand Architecte, c’est Silvestre Vitalicio, c’est-à-dire, à peu près, la même chose. C’est le Jérusalem, dit Silvestre, où Jésus devrait se décrucifier. Et point final. Il a quitté le monde pour des raisons obscures, pour rejoindre l’autre côté dit-il, accompagné de ses fils, de son frère, d’un soldat, d’une ânesse nommée Jezibela. Plus qu’un désert, un rien, un manque, un tore dont les bords sont introuvables.

En écho, ces vers en épigraphe du premier chapitre.

J’écoute mais ne sais

Si ce que j’entends est silence

Ou Dieu (Sophia de Mello Breyner Andresen).

Un adolescent amoureux, Robin Josserand (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 30 Avril 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Mercure de France

Un adolescent amoureux, Robin Josserand, Mercure de France, mai 2024, 151 pages, 17 € Edition: Mercure de France

Robin Josserand a fait des débuts remarqués (et remarquables) en littérature avec la publication, en 2023, et déjà au Mercure de France, de son premier roman, Prélude à son absence, chroniqué ici-même. Son deuxième livre, Un adolescent amoureux, séduira les lecteurs qui avaient apprécié le précédent. Quant à ceux qui étaient restés un peu sur leur faim, ils seront, je l’espère, davantage conquis.

L’ouverture, bovaryenne, subvertit le schéma flaubertien. Je veux dire que le Narrateur raconte l’entrée dans sa classe (de terminale en l’occurrence) d’un nouvel élève : « Lors du premier cours, le garçon arrive en retard et s’installe au dernier rang en faisant crisser sa chaise sur le carrelage ». Mais pas de « Proviseur » devant qui chacun se lève dans ce récit dont l’action se situe, suppose-t-on, dans la première décennie du vingt et unième siècle. Pas d’« habit-veste de drap vert à boutons noirs » mais « une chemise à carreaux rouges déchirée au niveau du coude ». Et nulle gêne du jeune homme face à son professeur et ses camarades ni de fous rires à l’écoute de son nom (« Charbovari ! Charbovari ! ») puisqu’on apprend, une dizaine de lignes plus loin (nous sommes toujours dans le paragraphe introductif, p.13), qu’il « se roule une cigarette à la vue de tous ».

Pas de larmes, Caroline Tiné (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 29 Avril 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Albin Michel, En Vitrine, Cette semaine

Pas de larmes, Caroline Tiné, Albin Michel, mars 2025, 288 pages, 20,90 € Edition: Albin Michel

 

« Le dernier chant au Père, qui n’écoutait jamais de musique, serait cet hymne magnifique au martyre de Jésus. Victoire est songeuse, elle n’a jamais été initiée à l’art, la culture ou la musique par le Père. Comme si la guerre d’Algérie avait occulté tout autre centre d’intérêt. Mais elle avait pris l’habitude d’aller errer au Louvre pour s’imprégner d’une infinie beauté ».

Pas de larmes est le roman d’un père, le Père disparu et donc retrouvé, sa stature, son élégance, ses mots, son histoire tumultueuse, irriguent ce roman, qui est aussi celui d’une terre aimée, qu’il a fallu quitter : l’Algérie. Ce roman est aussi l’histoire de Victoire, la fille aînée et préférée du Père, qui sera chargée de ramener ses cendres sur cette terre, qu’il a tant aimée. Pas de larmes nous conduit ainsi sur les traces d’une famille, dont le destin s’est étiré, jusqu’à casser, une famille éloignée de la guerre, qui va submerger l’Algérie, et l’irriguer de nostalgie.

Derborence, Charles-Ferdinand Ramuz (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 09 Avril 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset, En Vitrine, Cette semaine

Derborence, Charles-Ferdinand Ramuz, Les Cahiers rouges Grasset, 180 pages, 7,95 € . Ecrivain(s): Charles Ferdinand Ramuz Edition: Grasset

 

C’est la montagne qui est tombée.

Et c’est l’ordre du monde, extérieur et intérieur, qui est changé à jamais. Les géologues diront que cent cinquante millions de pieds cubes se sont détachés de la montagne pour s’effondrer sur Derborence. Mais ça, ce ne sont que des pierres qui tombent, une force prodigieuse qui écrase tout ce qui entrave sa course, un phénomène physique obéissant à la loi de la gravitation universelle. Ça tue, enferme, mutile mais ce n’est pas le pire. Le pire est malédiction, réveil des forces du Mal. Ramuz nous a déjà entretenu du Mal tapi dans la montagne avec sa Grande Peur. Il est encore là, Lui, le Diable sûrement. Celui qui tue et enferme les âmes pour les condamner à la souffrance éternelle.

Coco perdu, Louis Guilloux (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Mardi, 08 Avril 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Coco perdu, Louis Guilloux, Folio, janvier 2025, 128 pages, 8 € . Ecrivain(s): Louis Guilloux Edition: Folio (Gallimard)

 

Louis Guilloux est connu, en France et ailleurs, à juste titre, principalement pour son roman Le Sang noir. Mais l’ensemble de sa volumineuse œuvre littéraire recèle, entre autres talentueux écrits, ce court et curieux roman, qui a été initialement publié chez Gallimard en 1978, soit deux ans avant la mort de l’écrivain, et que Gallimard vient de republier en format Poche.

Le personnage et le narrateur ne font qu’un : Coco, un vieil homme. L’action est minimale : Coco accompagne à la gare, un samedi, comme le ferait banalement un mari, sa femme Fafa qui, avant de prendre le train pour Paris, où elle est supposée effectuer un séjour dont la durée n’est pas prédéterminée, jette dans une boite postale une lettre dont elle a caché à son compagnon le destinataire. Toute la tension narrative repose sur cette lettre que Coco pense lui être destinée, et qu’il s’attend à recevoir le lundi des mains du facteur local, dont il n’apprécie guère les fanfaronnades.