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Roman

La Grande Maison, Mohammed Dib (par Léon-Marc Levy)

, le Jeudi, 25 Avril 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb, Points, En Vitrine, Cette semaine

Edition: Points

En Algérie, Omar, le petit héros de ce roman-culte, est un peu le Gavroche tlemcénien. Bouillant de vie, grand cœur, hardi, insolent quand il veut, il est le titi de la Rue Basse, de la Rue Lamoricière et du Bélik. Figure hugolienne à plus d’un titre, Omar s’inscrit dans un cadre où sourd, lente mais inéluctable, une révolution, celle qui mènera l’Algérie à sa naissance. Nous sommes en 1952 et Mohammed Dib distille dans les interlignes des cavalcades d’Omar dans les rues et ruelles, les signes du réveil des consciences, des embryons d’organisation, de la montée de l’espoir d’un peuple tenu alors sous la férule colonialiste depuis 120 ans.

Tlemcen la belle, Tlemcen la rebelle, offre un décor parfait à l’histoire du garçon pêchant çà et là les bruits de la maison, les bruits de la rue, de la ville, du pays qui se lève. La puissance de Mohammed Dib est dans sa retenue. Jamais le roman ne tend vers le manifeste, il suggère, pointe, sécrète. Omar est son oreille, parfois sa voix mais toujours dans le murmure d’un pays qui gronde. L’infâmie coloniale s’insinue dans les lignes, entre les lignes comme elle tentait de s’insinuer dans les têtes à travers le discours des écoles « républicaines » et de leurs maîtres.

La Deuxième Vie, Philippe Sollers (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 24 Avril 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

La Deuxième Vie, Philippe Sollers, Gallimard, mars 2024, Postface, Julia Kristeva, 80 pages, 13 € . Ecrivain(s): Philippe Sollers Edition: Gallimard

 

« Dans la Deuxième vie, tout est double et se répète indéfiniment. Les éléments négatifs sont éliminés et chaque moment est perçu instantanément pour la deuxième fois. Le caractère le plus inattendu de l’éternité est donc la vivacité. C’est d’un vif mouvement que la mer se mêle au soleil ».

La Deuxième Vie s’offre, car il s’agit d’une offrande, comme le dernier roman de Philippe Sollers, un roman suspendu par la mort physique, par les ténèbres, qui une nouvelle fois ne voient rien de la lumière. Au principe était le roman, et le roman était chez Sollers, le roman était Sollers, et qu’il ne soit plus là physiquement ne change rien à l’histoire (1). La Deuxième Vie est un roman solaire, inspiré et béni des dieux de l’Atlantide, et évidemment du Dieu revenu des ténèbres, comme devrait l’être tout testament, toute dernière et provisoire incursion dans la vie réelle et romanesque, avant que le souffle et la main ne soient suspendus.

Le Triomphe de la nuit + Grain de grenade, Edith Wharton (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mardi, 02 Avril 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Joelle Losfeld

Le Triomphe de la nuit + Grain de grenade, Edith Wharton, Éditions Joëlle Losfeld, trad. anglais, Florence Lévy-Paoloni, 408 pages (2 volumes) . Ecrivain(s): Edith Wharton Edition: Joelle Losfeld

 

Entre 1902 et 1937, Edith Wharton a écrit plusieurs histoires de fantômes, qui seront réunies dans un volume intitulé Ghosts, paru peu de temps après la mort de la nouvelliste. Ce recueil sera traduit pour la première fois en français grâce aux Éditions Terrain Vague, entre 1989 et 1990, sous la forme de deux volumes qui font l’objet de notre article.

« Ce n’est pas de couloirs sonores ou de portes dissimulées derrière des tentures dont a besoin un fantôme, mais de continuité et de silence » (préface d’Edith Wharton). En cette première moitié du vingtième siècle, les évolutions techniques rendent les gens imaginatifs moins réceptifs à l’apparition de fantômes. Moins réceptifs ? Reste à déterminer de quel genre de fantôme on parle. Car ne s’agirait-il pas plutôt d’une perception propre à un esprit singulier – souvent terre à terre, d’ailleurs ? Ne s’agit-il pas d’une intuition, encore indéterminée, et pourtant obsédante ?

Peter Pan, James Matthew Barrie (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 01 Avril 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Folio (Gallimard)

Peter Pan, James Matthew Barrie, Folio/Bilingue, octobre 2023, trad. anglais, Henri Robillot, 464 pages, 13,70 € Edition: Folio (Gallimard)

 

De l’œuvre de l’Écossais James Matthew Barrie, la postérité n’a retenu qu’une seule œuvre : Peter Pan. C’est aussi celle qui a échappé à son auteur comme peu d’œuvres le font, entre autres grâce à l’adaptation qu’en a réalisé Walt Disney en 1953. Avec Peter Pan, à l’origine une pièce de théâtre devenue roman en 1911, Barrie crée un archétype, celui de l’enfant qui refuse de grandir, dont la crainte se résume à ceci : « si j’allais me réveiller et sentir que la barbe pousse à mon menton ! ».

L’enfant ? Pas si sûr : il se pourrait que Barrie ait écrit le roman de la modernité, de l’homme moderne qui, pris dans les rets d’une vie mécanique, refuse son âge, refuse la vieillesse – refuse au fond la mort. Car même s’il la donne de bon cœur, Peter Pan craint au fond l’inéluctable, au point de se montrer cruel au possible, ainsi que Barrie l’explique lors de son retour au Pays de Nulle Part en compagnie de Wendy, Michael et John, alors qu’une sarabande infernale entoure l’île :

Le Cheval en Feu, Anuradha Roy (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian , le Lundi, 01 Avril 2024. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Asie, Actes Sud

Le Cheval en Feu, Anuradha Roy, Actes Sud, novembre 2023, trad. anglais (Inde), Myriam Bellehigue, 271 pages, 22,50 € Edition: Actes Sud

« Il était une fois, il y a fort longtemps, un potier, qui était tombé amoureux d’une femme. Ils vivaient dans le même quartier, il la croisait tous les jours, mais il ne pouvait aller la trouver pour lui dire ce qu’il ressentait. Cet homme et cette femme appartenaient à deux tribus qui se détestaient. Il savait bien que jamais ils ne pourraient vivre ensemble. Une nuit, un cheval de terre cuite le visita en songe : ses naseaux crachaient du feu, il avait des yeux de braise et il s’adressa à lui si clairement que le potier comprit chacun de ses mots. S’il apprenait à chevaucher ce cheval de feu sur la terre et sous l’eau, la femme serait à lui. Il se réveilla avec la certitude que ce cheval devait voir le jour et que c’était à lui de le créer ».

Nous sommes en Inde, le potier se nomme Elango. Il a dans les mains un savoir-faire hérité de ses ancêtres, il ne cède en rien aux modes du moment, ce qui pourrait pourtant le sortir de la misère. C’est son histoire que raconte Sara, étudiante à Londres, qui, pour tromper l’ennui et la solitude, pratique l’art traditionnel de la poterie que lui a enseigné Elango, alors qu’elle était petite fille dans un village en Inde.