La Punition d’Arles, Emma Santos (par Yasmina Mahdi)
La Punition d’Arles, Emma Santos, éd. des femmes – Antoinette Fouque, juin 2025, 150 p., 6,50 €
Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque
Ô triste, triste était mon âme
À cause, à cause d’une femme.
Verlaine, Romances sans paroles, Ariettes oubliées VII
La réfutation
La Punition d’Arles est le récit d’une rupture amoureuse, ainsi que d’une lente reconstruction, écrit en 1975 par Emma Santos. L’autrice fait le portrait d’un individu odieux, une espèce de maître-chanteur et d’une relation amoureuse à sens unique, à l’instar du monodrame, La Voix humaine de Jean Cocteau. En effet, Emma S. implore le retour du photographe infidèle, jamais prénommé.
La maladie (opération de la thyroïde), une convalescence douloureuse à la suite d’un avortement, des rechutes, la précarité, la solitude, l’internement en institution accablent le quotidien de la narratrice du roman, qui se voit privée de respect et de reconnaissance sociale. Là est tout le sujet de La Punition d’Arles. Emma S. s’enferme dans la douleur, s’auto-mortifie : « J’ai l’air bête. J’ai l’air d’une vraie avortée, le regard idiot d’une accouchée. L’avortée volée ». C’est l’histoire d’une femme dépossédée d’elle-même, à l’existence fracassée. L’ensemble est écrit dans un style sténographique, comme soufflé au dictaphone.
Les faits sont consignés presque au jour le jour ou de façon rétrospective, par le biais de la répétition, la scansion d’un même mot, l’épanalepse, proche de la poésie : « Le spectre d’Emma Santos. L’horreur d’être Emma Santos. (…) La pitié toujours plus et plus toujours. (…) Un café et il fuit. On se retrouve par hasard, on se sépare après un café et plein de promesses et plein de mensonges. J’ai mal. Un accord… J’ai mal mal mal ». Le texte, une forme de journal autobiographique, est l’histoire d’une destruction, d’une relation sadomasochiste. C’est également le constat de l’institution psychiatrique de la fin des années 1960 et du début des années 1970, car l’on suit les diagnostics prononcés par les psychiatres et les soins recommandés par eux, qui ont engendré des rechutes fatales pour l’autrice.
Quelque chose parle dans la tête de la narratrice, en proie à des « hallucinations auditives », à des crises douloureuses, tiraillée par des sentiments divers, extrêmes, entre acceptation et réfutation, un état intérieur qualifié par le médecin de « folle normale ». La jeune femme délaissée, abusée, martyrisée par des pulsions antagonistes d’amour puis de haine, s’adresse à un double absent, un double de son invention, un faux miroir, un compagnon lâche et égotiste : « Je t’ai ramassé cent fois, peut-être ou moins, sans compter. Tu ne m’as jamais ramassée ; l’amour à sens unique tout donner sans rien recevoir, l’amour sous neuroleptique rend l’amour fou. (…) Le froid à perpétuité. Septembre 1974. Oublier ton nom. Notre nom de Santos. »
Emma Santos était le nom de plume de Marie-Annick Le Goff, née en 1946, et qui s’est donnée la mort en 1983.
Yasmina Mahdi
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