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Roman

Jamais par une telle nuit, Magali Brénon

Ecrit par Frédéric Aribit , le Jeudi, 17 Avril 2014. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Le Mot et le Reste

Jamais par une telle nuit, février 2014, 140 pages, 17 € . Ecrivain(s): Magali Brénon Edition: Le Mot et le Reste

 

De chair, de sueur, de sexe, de sang, de larmes, l’amour est toujours un monde personnel. L’infinitif, au contraire, un mode impersonnel.

Toute la beauté du livre de Magali Brénon vient sans doute de cette contradiction-là. Un tragique d’ordre quasi-grammatical mine ainsi cet audacieux roman qui invente un nouveau lyrisme de l’échec amoureux. Disons donc roman, pour faire simple : « elle », qui dit « je », rencontre un homme, Marcello, puis le perd. Autant résumer la Recherche en 15 secondes, comme l’avaient proposé jadis les Monthy Python. Du reste, il y a sans doute autant de Proust que de Duras dans ce livre-là, qui déroule une étonnante partition musicale faite de silences et d’échos, de bruissements hurlants et de cris retenus, de halètements courts et rythmés et soudain de souffle sans virgule, sans ponctuation, de souffle coupé et perdu. Luxuriance et luxure : d’une sensualité toujours frissonnante, la déambulation éperdue de la narratrice à la recherche de l’autre et donc d’elle-même, dessine sous ses pas parfois perdus un paysage d’une rare efflorescence littéraire où, d’Orcival à Rome, de Rome à Montevideo, le corps se parcourt comme une géographie du désir. Tout y est fragile, ténu, sensible. La matière durcie du monde ne se donne qu’à la subtilité des mots pour le dire, qu’au corps du texte qui le suggère, veut le donner à voir, à entendre, à saisir et ressentir.

Le sang des papillons, Vivian Lofiego

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 16 Avril 2014. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Jean-Claude Lattès

Le sang des papillons, mars 2014, 284 pages, 20 € . Ecrivain(s): Vivian Lofiego Edition: Jean-Claude Lattès

 

Peut-on évoquer les horreurs de l’histoire récente de son pays par le biais romanesque ? C’est le choix fait par Vivian Lofiego dans son premier roman, Le Sang des papillons. Nous sommes en Argentine en 1976. Tamara, très jeune enfant, voit son père se faire emmener de force vers un probable lieu de détention ou d’exécution, elle ne le sait pas encore. Très vite, le roman, qui a la particularité de n’inclure que très peu de dialogues directs, s’imprègne du sentiment de la peur, de l’omniprésence de la mort. Après avoir évoqué la situation d’un lieu à Buenos Aires, La ESMA, l’auteure rappelle ce que ce lieu a représenté pour les Argentins qui y furent internés : un centre de torture, d’internement. Vivian Lofiego précise les méthodes de répression :

« Ces terres donnèrent une fleur atroce. Une fois que les prisonniers avaient été interrogés, humiliés, torturés, on les assassinait. (…) En réalité, ils montaient dans les vols de la mort. Endormis, nus on les jetait, on les précipitait en plein vol dans le fleuve. On appela ce crime une forme chrétienne de mort ».

En remontant vers le Nord, Lilyane Beauquel

Ecrit par Theo Ananissoh , le Mardi, 15 Avril 2014. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

En remontant vers le Nord, janvier 2014, 235 pages, 18 € . Ecrivain(s): Lilyane Beauquel Edition: Gallimard

 

 

La trame est claire et épurée, à l’image d’un conte comme le qualifie du reste le bandeau. Mais c’est une histoire dense, avec des personnages intenses, qu’ils soient principaux ou secondaires. Au point que le lecteur, tout le long, suppose sans cesse un sens métaphorique qui ne se laisse pas aisément saisir.

Un pays nordique, à la fin du XIXè siècle. Sven, le narrateur, a fui sa vallée natale à l’âge de dix-sept ans. Pendant dix ans, il erre à travers le monde, étudie, devient ingénieur ; puis le voici de retour, chargé d’une mission : creuser un tunnel qui désenclavera ces vallées recluses.

Les tout premiers chapitres du roman décrivent avec un surprenant mélange de vigueur et de poésie la fuite de Sven puis ses retrouvailles avec le pays.

Clair de femme, Romain Gary

Ecrit par Sophie Galabru , le Vendredi, 11 Avril 2014. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Clair de femme, 180 p. 7,90 € . Ecrivain(s): Romain Gary Edition: Folio (Gallimard)

 

Le désespoir c’est n’avoir plus foi en rien, même en ses « incroyances ». C’est ainsi que nous pourrions donner la note de Clair de femme, à partir de laquelle se décline un véritable hymne à la vie envers et contre tout. Le livre porte très haut ce ton si particulier à Gary, du désespoir heureux, loin du cynisme et de l’ironie de ceux encore trop attachés à leurs illusions. Le désespoir sans gravité ni aigreur, celui qui n’est que la vie qu’on porte malgré soi.

Et parce qu’il y a d’innombrables vies, il y a autant de façons de vivre son désespoir. Il y a la possibilité du pathétique, à l’image de Señor Galba que rencontre le narrateur, Michel, dès le début du livre, pauvre clown dresseur, si fier de son caniche teint en rose à qui il apprend à danser un sublime paso-doble avec un chimpanzé « un numéro mondialement connu. Des années d’efforts… L’œuvre d’une vie ». L’humour immanquable de Gary, au creux des délires, des croyances, et des petits combats toujours un peu minables face à l’imperturbabilité de la vie, de ses forces obscures, anonymes, sans égard pour chacun.

Théorie générale de l’oubli, José Eduardo Agualusa

Ecrit par Martine L. Petauton , le Vendredi, 11 Avril 2014. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Métailié

Théorie générale de l’oubli, traduit du Portugais (Angola) Geneviève Leibrich, février 2014, 171 pages, 17 € . Ecrivain(s): José Eduardo Agualusa Edition: Métailié

 

Il y a la littérature portugaise métropolitaine, magnifique de lumière et de mystère – de « saudade », aussi ; et puis il y a la littérature portugaise africaine – celle des anciennes colonies ; presque une autre langue, une autre lumière, des mystères et de la magie – encore plus. Les deux, une littérature sublime.

Cet Agualusa là – la jeune garde lusitano-africaine – est justement de ce tonneau : éclatant de lumière, larmes et rires, touillant merveilleusement les vieux mythes, les contes, la guerre civile, les coups d’Etat, la peur dans le ciel aveuglant de l’Angola au bord de son indépendance. D’autres y avaient mis la plume, et avec quel talent !

Le cul de Judas de Lobo Antunes nous avait laissé l’impression que la page était tournée pour la littérature, sur le conflit postcolonial. Et revoilà, pourtant, l’Angola, ses rues poussiéreuses, les milices cubaines, la fuite des colons… la guerre, mais autrement, et pas moins réussi.