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Ecriture

Les travaux et les jours (extraits 11) (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mardi, 07 Juillet 2020. , dans Ecriture, La Une CED, Bonnes feuilles

 

Le fils

Son sabre en plastique à la main, tout de noir vêtu, il descend à pas comptés l’escalier de la maison et s’immobilise à chaque craquement de marche. Une fois en bas, il remonte en une reptation prudente, se hissant à la force des coudes, balançant ses hanches de droite et de gauche, les chaussettes glissant sur le bois ciré. Il redescend, déroulant prudemment le pied, tâtant chaque marche des orteils, à la recherche de l’emplacement précis où le bois ne grincera pas sous son poids, persuadé autant que de l’existence de Dieu qu’il y a sur cet escalier un cheminement parfait où, dans un silence complet, ses pieds se poseraient alternativement sur les marches avec la grâce conjuguée du ninja et de Spiderman.

 

Images du monde

Sur un poème de Bernard Delvaille, Histoire portuaire (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 02 Juillet 2020. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

« Il avait le regard à la fois ébloui et inquiet de ceux qui voient tout – et au-delà – et sont incapables de transmettre. Rien ne lui échappait ».

 

Le Vague à l’âme de la Royal Navy est un poème de Bernard Delvaille (éd. La Répétition, 1978). C’est un assez court texte d’une douzaine de pages construit sur les notes en vers du personnage principal, Mark. B. Thompson, « enseigne de vaisseau au service de Sa Majesté », et sur les commentaires en italique et en prose d’un exégète anonyme. Il faudrait d’ailleurs plutôt parler d’un poème-récit comme pour Un jour à Durban de Claude Michel Cluny (La Différence, 1991), dont Delvaille est proche à plus d’un titre, puisqu’une mince trame narrative s’y développe, suffisamment précise et lacunaire pour susciter la rêverie.

Tintement (par Alix Lerman Enriquez)

Ecrit par Alix Lerman Enriquez , le Lundi, 22 Juin 2020. , dans Ecriture, Création poétique, La Une CED

 

Dans le ciel gris bleu,

sourd le bruit des tourterelles

à mes oreilles.

Et m’émeut le cri des corneilles

dans ce jour silencieux.

 

Frissonnent les colchiques

dans les prés

et mon corps désarticulé.

Résonne le carillon de la cloche

dans le village d’à côté.

Sur une phrase de Stendhal - Histoire fugitive (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 10 Juin 2020. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

Je suis un lecteur minutieux, voire maniaque, souvent négligent aussi ou aveugle devant des évidences communes. Une phrase de la Vie de Henry Brulard a retenu mon attention, il y a un an environ. On la trouvera à la page 153 de l’édition Folio : « Quel abîme de bassesse et de lâcheté morales que les Pairs qui viennent de condamner le sous-officier Thomas à une prison perpétuelle, sous le soleil de Pondichéry pour une faute méritant à peine six mois de prison ! ». Le narrateur évoque la répression d’une conspiration républicaine en 1834. Cette phrase a troublé mon sommeil. M’a d’abord interloqué le fait que Pondichéry, à l’inverse de l’Algérie et de la Guyane, ne fut jamais un lieu de relégation ou de déportation : le professeur Malangin, du CNRS, me l’a confirmé. Il faudrait donc supposer une petite erreur de Stendhal. J’ai enquêté. « Thomas » se nommait en vérité Jacques Léonard Clément-Thomas et connut une destinée tumultueuse, sinon édifiante. Je tire ces renseignements d’une note de Jean Bourcart dans sa thèse Lunéville : une garnison de cavalerie dans l’espace frontalier lorrain. Représentation et évolution d’une division de cavalerie aux avant-postes (Université de Lorraine, mars 2018).

Le Poète de Pondichéry – Histoire spectrale (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 15 Mai 2020. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

« – Vieux, pauvre et mauvais poète, ah ! monsieur, quel rôle ! – Je le conçois, mais je suis entraîné malgré moi… ».

Diderot, Jacques le Fataliste

 

Le Poète de Pondichéry, après sa deuxième déconvenue, puisqu’il est suffisamment riche maintenant et qu’il n’a l’intention ni de renoncer à écrire ni de vivre au milieu de barbouilleurs dont les succès et les prétentions l’humilient (il n’a en réalité presque rien lu de Diderot et ne lui a témoigné de l’admiration, lors de ses visites, à douze ans d’intervalle, que par tactique), décide de retourner dans ce comptoir indien où, somme toute, s’il s’est ennuyé en édifiant sa fortune, il ne s’est pas trop déplu. Il n’emporte aucune pacotille dans ce second voyage.