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Roman

La Carte postale, Anne Berest (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 26 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Grasset

La Carte postale, Anne Berest, Grasset, août 2021, 512 pages, 24 €

Roman ? Récit autobiographique ? Ou alors essai, et bien plus recherche historique racontée par une documentariste de haut vol ? On se prend à penser aussi : archéologie d’une lignée, enquête. Mais quelle lignée que ces Rabinovitch, Juifs Ashkénazes d’Europe, quelle enquête sinueuse, longue et difficile, de l’après-première guerre mondiale à nos jours ; et quelle archéologue qu’Anne Brest, la descendante, se percevant si peu juive, tellement laïque et intégrée à son sol, mais – oui – juive avec majuscules, par le lien, l’histoire et finalement la culture au bout… On suit donc une démarche, à travers une histoire effarante, pour beaucoup d’entre nous, inouïe.

Le titre – passe partout, modeste – qu’elle a choisi, « la carte postale », est le fil rouge de la recherche, clignotant dans l’immense histoire racontée, tel un signal constant, mais sans éblouissement aucun ; une veilleuse, bien plus sûrement. Anne est celle qui raconte sa famille – première partie du livre, dont on sort sonnés – puis parle depuis son quotidien – seconde partie, enquête encore, d’une autre eau, non moins intéressante.

Au-delà du fleuve et sous les arbres, Ernest Hemingway (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 25 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Folio (Gallimard)

Au-delà du fleuve et sous les arbres (Across The River And Into the Trees, 1950), trad. américain, Paule de Beaumont, 347 pages . Ecrivain(s): Ernest Hemingway Edition: Folio (Gallimard)

L’autre mort à Venise

L’infinie mélancolie qui reste au cœur après la lecture de ce roman tient certes au désespoir de son principal personnage mais aussi à une Venise trouble, fantomatique, hantée par ses lieux mythiques traversés et retraversés ici ; le Harry’s, le Florian, le Palais Gritti, la Piazza San Marco, sont le décor et la métaphore de ce dernier chemin du colonel vieillissant, rongé par les souvenirs de la Guerre et son amour pour la jeune et belle Renata.

Hemingway utilise un flux de conscience décalé dont le héros n’est pas le narrateur. Et la structure de ce roman repose largement sur le support narratif de ce flux : le dialogue, époustouflant de maîtrise, véhicule de l’amour, de la détresse, des regrets, des blessures du corps et du cœur du colonel. Renata est son Autre, celle par qui le discours advient à son esprit et sa mémoire. Renata est son inconscient, son discours inversé qui le renvoie à lui-même : à son désespoir elle oppose sa confiance et son optimisme, à sa réserve son enthousiasme, à sa volonté d’oubli la demande de souvenirs précis et détaillés. La jeune fille fait naître du vieux soldat l’histoire de sa douleur, comme une catharsis vivante et tendre.

Une Sorcellerie, Valentin Retz (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 21 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Une Sorcellerie, octobre 2021, 240 pages, 19 € . Ecrivain(s): Valentin Retz Edition: Gallimard

« Certains gouffres ne sont pas faits pour être mesurés ; ni certains yeux, pour scruter l’innommable. En tout cas, moi, j’aurais voulu ne jamais voir le visage des démons qui nous haïssent et nous abusent, depuis que l’homme est appelé à se trouver et à se perdre ».

Une Sorcellerie est un roman divin, qui comme le fit Dante dans la Comédie, traverse l’Enfer et ses sorcelleries, pour ensuite laisser le Paradis l’illuminer. L’écrivain poursuit cette immersion dans l’Enfer, déjà à l’œuvre dans Noir parfait. Le narrateur de ce roman inspiré et troublant se voit littéralement projeté, il sort de son corps, dans l’esprit d’un sorcier, le maléfique Daxull, un personnage aux mille ressorts et perversions, et qui jette mille sorts mortifères sur ses disciples dans des messes noires dont il est le grand ordonnateur. Le narrateur se retrouve immergé dans ce théâtre orgiaque de la destruction radicale de l’Être, par les yeux d’un démon qui manipule les âmes, les corps, et la science. Cet écart, ce basculement, ce bouleversement, que subit le narrateur, se déroule en 2015, quelque temps avant les attentats islamistes visant le Stade de France, les cafés et restaurants de Paris, et le Bataclan, probablement, comme si le Diable y rodait. De cette immersion dans la tête d’un autre, d’un ange déchu, de cette fantaisie diabolique et échevelée, le narrateur reviendra transformé et avide de lumière et de Lettres. L’obscurité, les forces du mal, les terreurs et les humiliations ne peuvent longtemps l’habiter et le contaminer.

La Gouvernante italienne, Iris Murdoch (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Jeudi, 20 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Folio (Gallimard)

La Gouvernante italienne, Iris Murdoch, Folio, 1964 (première publication en français en 1967, réédition de septembre 2001), trad. anglais, Léo Lack, 220 pages, 6,90 € . Ecrivain(s): Iris Murdoch Edition: Folio (Gallimard)

 

La Gouvernante italienne… Ce titre devient de plus en plus intrigant au fil de la première moitié du roman où le personnage éponyme, entrevu au début, reste quasiment invisible. Murdoch sait créer le suspense avec des riens. D’ailleurs, cette gouvernante italienne est-elle réellement un individu ou bien un genre ?

Giulia, Gemma, Vittoria, Carlotta et à présent Maria, surnommée Maggie, se sont succédé dans la maison de Lydia, laissant aux enfants qu’elles ont élevés des impressions douces et protectrices toutes confondues dans cette fonction qui sonne comme un nom : la gouvernante italienne, sévèrement vêtue et coiffée, logée au dernier étage mais maîtresse dans la cuisine et la lingerie pour veiller silencieusement au confort de tous.

Ne détient-elle cependant pas des pouvoirs qui vont se révéler, en quelques jours, décisifs dans l’existence de la famille Narraway, réunie pour les obsèques de Lydia ?

Les cœurs endurcis, Martyna Bunda (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 19 Janvier 2022. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Pays de l'Est, Editions Noir sur Blanc

Les cœurs endurcis, Martyna Bunda, janvier 2022, 249 pages, 21,50 € Edition: Editions Noir sur Blanc

L’histoire contemporaine de la Pologne est douloureuse, dramatique, souvent cruelle et marquée par de multiples césures, des partages incessants de ce pays, des déplacements de frontière. C’est sans doute ce qu’a voulu illustrer Martyna Bunda dans ce premier roman. Elle y met en scène trois sœurs, Gerta, Truda, et Ilda, toutes trois élevées par leur mère Rozela dans le village cachoube de Dziewcza Gora.

Truda rencontre durant l’hiver 1945 un déserteur allemand, Jakob Richert, qui lui propose de le suivre jusqu’à Berlin. À propos de ce trajet effectué dans les pires conditions, Truda s’interroge sur la nature de leur relation et sur la possibilité d’un enfant à naître : « Ils se cherchaient l’un l’autre avec une telle ardeur, sur ces lits de fortune, qu’un enfant aurait dû naître. Peut-être qu’il aurait mieux valu un Allemand à la maison qu’un bâtard de plus dans la famille ? ».

Ilda est engagée dans un organisme s’occupant du traitement des personnes déplacées. Ces dernières comprenaient les populations originaires des provinces orientales de la Pologne cédées à l’Union Soviétique et transférées dans les nouvelles régions évacuées par l’Allemagne en vertu des accords de Postdam de 1945. Au-delà du drame historique des déplacements de population, Ilda y voit une occasion de s’émanciper de sa famille, de s’éloigner physiquement de sa ville d’origine.