Identification

Roman

Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 20 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Folio (Gallimard)

Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson, Folio, janvier 2023, trad. islandais, Éric Boury, 608 pages, 9,70 € . Ecrivain(s): Jon Kalman Stefansson Edition: Folio (Gallimard)

 

Ouvrir un roman de Jón Kalman Stefánsson est la certitude de plonger dans une « islandéité » poétique qui pourtant renvoie, comme toute grande œuvre, à l’universel des ressentis. C’est aussi le cas avec Ton absence n’est que ténèbres, Prix du Livre Étranger France Inter-Le Point en 2022 et aujourd’hui réédité au format poche : on retrouve ce qui a pu envoûter dans la trilogie Entre ciel et terre, La tristesse des anges et Le Cœur de l’homme, ainsi que dans Asta, mais, car il y un « mais », le sentiment qui ressort de Ton absence n’est que ténèbres est que la lumière ne parvient plus que par accident à percer dans une atmosphère appesantie.

Peu importe que la phrase-titre soit en fait l’épigraphe lue sur une tombe par le personnage principal, peu importe que soit composée au fil du roman une « Compilation de la Camarde » (aux choix aussi éclectiques que parfois surprenants) – ce qui marque le plus est une ambiance lourde, où le passé pèse et le présent ne réjouit guère (une réfugiée devenue proche des protagonistes qui a subi un viol drogué et filmé, pour ne citer qu’un seul exemple).

Pas la défaite, Gilles Moraton (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 16 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Editions Maurice Nadeau

Pas la défaite, Gilles Moraton, Editions Maurice Nadeau, janvier 2023, 240 pages, 18 € Edition: Editions Maurice Nadeau

 

Faire d’un déserteur un héros, ce peut paraître un paradoxe, une gageure, une boutade, ou un contresens. Il n’en est rien en ce roman de Gilles Moraton faisant du franco-espagnol Paco un personnage on ne peut plus sympathique qui, se retrouvant seul dans la tourmente et le chaos de la débâcle de 1940, aux environs de Noyon, son régiment ayant été décimé par les Allemands, jette l’uniforme aux orties et le fusil au fossé et tente de rentrer chez lui, dans le sud, en se cachant à la fois des forces ennemies qui avancent sur la même ligne que lui, voire devant lui, des autorités françaises qui pourraient le condamner pour désertion ou le remettre aux forces d’occupation par zèle pétainiste, et de villageois xénophobes enclins en ces temps troublés à agresser tout étranger de passage.

Quant à lui, « Il ne se considère pas comme un déserteur mais comme un vaincu en fuite ».

« Enlever l’uniforme, c’est déjà mettre fin symboliquement à la guerre. A la sienne en tout cas ».

Apprendre à prier à l’ère de la technique, Gonçalo M. Tavares (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 14 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Points

Apprendre à prier à l’ère de la technique (Aprender a rezar na Era da Técnica, 2007), Gonçalo M. Tavares, éd. Points, 2014, trad. portugais, Dominique Nédellec, 384 pages, 7,80 € . Ecrivain(s): Gonçalo M. Tavares Edition: Points

 

Lenz, le personnage central de ce roman, va vous stupéfier. Vous séduire, rarement. Vous dérouter parfois. Vous écœurer souvent. Vous effrayer toujours. Cet homme, médecin de son métier, n’envisage le monde qu’à travers les machines en œuvre – naturelles ou fabriquées – pour le faire fonctionner. Son rapport au monde et sa conception de l’univers et des hommes ne se mesure qu’à l’aune des technologies, dont il distingue deux catégories essentielles ; celles inhérentes au monde, consubstantielles à la vie même : l’univers, les forces physiques, le corps, la maladie, la mort ; celles issues de l’intelligence humaine : outils, machines, organisation de la Cité. Lenz pousse la foi matérialiste jusqu’au bout de sa logique et produit par ce fait une exclusion absolue des sentiments humains qu’il considère comme des parasites de l’ordre du monde, une perte de temps, et le moteur d’erreurs fondamentales dans le traitement des problèmes que l’homme – le médecin qu’il est, le politique qu’il va devenir – se doit de résoudre pour la survie du monde.

Les passantes, Michèle Gazier (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 10 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Mercure de France

Les passantes, Michèle Gazier, Mercure de France, septembre 2020, 174 pages, 16,50 € Edition: Mercure de France

 

Le dernier roman de Michèle Gazier, Les passantes (Mercure de France, 2020), est tissé (le mot et sa métaphore apparaissent souvent sous la plume de l’auteur) de mystères. Et comme chez les romanciers de talent, leur élucidation progressive, loin d’assouvir notre curiosité, nous incite, l’ultime page refermée, à recommencer la lecture.

Mystère de madame Prat d’abord, qui ne se prénomme peut-être pas Marie mais Esther (mais alors, qui est Marie et que lui est-il arrivé ?) et de sa douleur hautaine, parfois méchante, de ses cauchemars, du drame qu’elle porte en elle depuis trente ans.

Mystère de ces infirmières de Montpellier, les narratrices successives, Madeleine, Léonor et Lilas, qui viennent soigner chaque jour madame Prat pour son diabète, et de la fascination que la vieille dame sans douceur exerce sur elles : quels accidents anciens, quelles souffrances enfouies ses silences et ses secrets réveillent-ils pour les conduire à s’attacher à elle bien plus qu’elles ne le devraient et, après sa brusque disparition, à enquêter sur elle ?

The Passenger (Le passager) + Stella Maris, Cormac McCarthy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 07 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA

The Passenger / Stella Maris, Cormac Mc Carthy 2022. Knopf Editor. . Ecrivain(s): Cormac McCarthy

Il avait un peu neigé dans la nuit et ses cheveux gelés étaient d’or et de cristal et ses yeux glacés et durs comme pierre. Une de ses bottes jaunes avait glissé et se dressait dans la neige en dessous d’elle. Son manteau se dessinait saupoudré de neige là où elle l’avait abandonné et elle ne portait qu’une robe blanche et elle pendait parmi les arbres de l’hiver, poteaux gris et nus, la tête inclinée et les paumes légèrement ouvertes comme ces statues œcuméniques qui réclament par leur attitude qu’on prenne en compte leur histoire. Qu’on prenne en compte les fondations du monde qui puise son essence dans le chagrin de ses créatures. Le chasseur s’agenouilla et ficha son fusil bien droit dans la neige et retira ses gants et les laissa tomber au sol et joignit ses mains l’une sur l’autre. Il se dit qu’il devrait prier mais il n’avait pas de prière pour une chose pareille.

 

Le très vieux Cormac McCarthy fait là probablement sa dernière sortie en terre de littérature. C’est en soi un événement essentiel. L’autre événement, peut-être plus essentiel encore, est que cette sortie nous mène en des espaces peu familiers aux lecteurs du maître sudiste.