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Roman

Adieu Tanger, Salma El Moumni (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 06 Octobre 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Grasset

Adieu Tanger, Salma El Moumni, Grasset, août 2023, 175 pages, 18 € Edition: Grasset

 

Le thème du premier roman de Salma El Moumni est ambitieux : le pouvoir et l’influence du regard des autres sur soi, sur les choix de sa propre vie.

Alia est marocaine, vit à Tanger. Elle fréquente Quentin, un jeune garçon scolarisé comme elle dans le même lycée. Ce qui préoccupe gravement Alia, ce qui l’obsède dès le départ de ce récit, c’est la sensation qu’elle éprouve de se voir scrutée, épiée, déshabillée du regard, méprisée de ses compatriotes. Serait-ce de la paranoïa ? Alia a le sentiment qu’elle dérange, que ses tentatives d’émancipation et d’ajout d’un peu de liberté dans sa vie sont vouées à l’échec.

Alia relève ce défi en postant des photos sur la toile, ce qui est passible de l’article 483 du Code pénal marocain, qui punit l’outrage public à la pudeur d’un mois à deux ans d’emprisonnement. C’est la résolution de ce dilemme qui va occuper Alia dès sa reprise de contact avec Quentin, qui ne l’aide pas vraiment : « Il t’a toisée du regard avec ses yeux bleus liquides en mordant dans sa fajita (…) Tu as immédiatement regretté d’être venue chez lui, tu n’avais soudain plus faim, tu voulais partir ».

La Nuit de Gigi, Dominique Dussidour (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Mercredi, 04 Octobre 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Table Ronde

La Nuit de Gigi, Dominique Dussidour, La Table Ronde, avril 2022, 272 pages, 20 € Edition: La Table Ronde

 

La nuit et les jours

Le livre La Nuit de Gigi n’est pas à lire seulement parce que Dominique Dussidour est morte peu après avoir posé son point final. Pas non plus parce que le livre livre la mort, noyade infinie, fleuve sombre, Léthé, Styx ou Seine, mais bel et bien à lire parce que le livre s’illumine du vivant.

Les conversations nombreuses, infinies, adolescentes, futiles et sensibles sont des dialogues qui vibrent l’aujourd’hui. On sent la vapoteuse tout parmi ou les effluves par moment de joints qui flottent.

Les escarmouches sont vives, acides, les effusions l’emportent mais l’une et l’autre sont surtout nimbées d’une fraternité, amoureuse, amicale, on aurait dit bien avant camarade.

Le roman déroule une cour parisienne. Un quartier. La rue bien nommée des Martyrs et ses bars-tabacs célèbres. Le récit est, c’est là que Dussidour innove, jeune. On dirait djeun si ce n’était carrément démodé !

Ubik, Philip K. Dick (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 03 Octobre 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, Science-fiction, La Une Livres, USA, J'ai lu (Flammarion)

Ubik, Philip K. Dick, éd. J’ai Lu, janvier 2023, trad. anglais, Hélène Collon, 320 pages, 7,40 € . Ecrivain(s): Philip K. Dick Edition: J'ai lu (Flammarion)

 

Publié en 1969, mais écrit en 1966, Ubik est considéré comme le chef-d’œuvre de Philip K. Dick, et est régulièrement cité parmi les meilleurs romans de science-fiction, voire, à en croire le magazine Time, parmi les meilleurs romans écrits en anglais au vingtième siècle. Et il est vrai que la première lecture de ce roman a été marquante, voire troublante. En effet, il s’ouvre sur une situation qu’on pourrait considérer comme conventionnelle dans le cadre de la science-fiction des années soixante : en 1992, la Lune a été conquise, la société est aux prises avec des personnes possédant des pouvoirs « psi » (télépathes, précogs – dont il faut contrer les agissements) et les morts sont maintenus dans une « semi-vie » qui permet à leurs proches de rester en contact avec eux. Dans ce contexte, Joe Chip travaille pour une « agence prudentielle » : sa fonction est de tester les « inertiels » (ceux qui peuvent neutraliser les « psis ») pour son patron, Glen Runciter ; Chip tient un rien du détective privé à la vie ratée des « hard-boiled novels » et son quotidien permet une critique sarcastique du capitalisme dans son ultime aboutissement, puisqu’il est confronté à la porte de son appartement refusant de s’ouvrir faute d’une pièce de monnaie, chaque élément électro-ménager fonctionnant (ou pas…) de même.

Fontamara, Ignazio Silone (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 29 Septembre 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset, Italie

Fontamara, Ignazio Silone, Grasset, Coll. Les Cahiers Rouges, 2021, trad. italien, Jean-Paul Samson, Michèle Causse, 256 pages, 12,90 € Edition: Grasset

 

Préfacé magistralement par Maurice Nadeau, ce roman social, ou conte politique, publié initialement en 1934, met en scène la montée de l’arbitraire de l’ordre fasciste au profit des possédants auquel sont confrontés, jusque dans leurs montagnes reculées, les cafoni, humbles paysans des Abruzzes, après la prise du pouvoir par Mussolini.

Le récit a pour cadre le pauvre village de Fontamara. Trois personnages narrateurs prennent la parole à tour de rôle : l’un des paysans de la communauté villageoise, son épouse, et son fils, ce qui autorise la variation des points de vue : celui des hommes, celui des femmes, celui des jeunes.

Naïfs, crédules, non-initiés aux questions juridiques, peu au courant des affaires politiques, et plus ou moins ignorants des évolutions techniques, les villageois de Fontamara vivent selon une organisation sociale ancestrale de répartition des terres et de l’eau qui leur est propre et qui les satisfait.

Le Fruit le plus rare, ou la vie d’Edmond Albius, Gaëlle Bélem (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Jeudi, 28 Septembre 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Gallimard

Le Fruit le plus rare, ou la vie d’Edmond Albius, Gaëlle Bélem, Gallimard, Coll. Continents Noirs, août 2023, 238 pages, 20 € Edition: Gallimard

 

Il y a deux bons et puissants romans en un dans ce deuxième ouvrage que publie Gaëlle Bélem.

« Il s’appelle Edmond, il a douze ans. Dans un XIXe siècle fade comme la pluie, où le peuple mange utile, loin de tout souci de goût, de présentation ou de parfum des aliments, Edmond vient de produire une nouvelle épice. Dans un siècle donc où on n’a l’habitude que de deux saveurs, l’amer des margozes et l’acide du citron-galet, où le sucre de canne est rare, dans un siècle disions-nous où la patate douce, le pain et les aigreurs d’estomac triomphent, lui Edmond, douze ans, apporte au monde occidental une saveur nouvelle, un arôme oublié depuis le XVIe siècle. L’arôme vanille ».

Edmond – il aura un patronyme bien plus tard, après l’abolition de l’esclavage en 1848 – est né de parents esclaves sur l’île Bourbon (La Réunion) au début du XIXe siècle. Orphelin précoce, il est recueilli et gardé avec lui dans son jardin de botaniste amateur et passionné par le maître Ferréol Beaumont…