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Roman

La pluie jaune, Julio Llamazares (Par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 18 Avril 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Verdier

La pluie jaune (La Lluvia amarilla, 1985), Julio Llamazares, Verdier Poche, 2009, trad. espagnol, Michèle Planel, 141 pages, 10 € Edition: Verdier

 

Le vieil homme meurt. C’est sa dernière nuit dans le village fantôme dont il est le dernier vivant. Avec lui, va s’envoler la dernière âme, le dernier cœur battant, les dernières souffrances. Le bonheur, l’espoir, la joie, eux étaient partis depuis très longtemps, depuis que Sabina, la femme du vieil homme, est morte. Ils étaient les derniers habitants du village, tous les autres étaient déjà partis au fil des années, morts ou émigrés ici ou là.

La mort traverse ce court roman, celle du vieux comme un point d’orgue à celle du village de montagne dont il est le dernier souffle vivant. La mort non comme un événement mettant fin, mais comme un lent progrès de la décrépitude, du pourrissement, de la chute. Murs, toits, poutres, portes, fenêtres font écho dans leur anéantissement à celui des êtres qui, naguère, ont vécu ici, travaillé, parlé, aimé. La mémoire du vieil homme, comme un long thrène lugubre, résonne comme la malédiction inéluctable qui s’est abattue sur le village dans un destin ténébreux : après la rudesse des hivers, la dureté des travaux, la pauvreté extrême, toutes les plaies d’une humanité oubliée, est venu l’exode inexorable, le départ des jeunes rêvant d’ailleurs, puis celui des vieux, ne pouvant plus subsister dans ce mouroir abandonné qu’est devenu Ainielle (1).

A ceux qui ont tout perdu, Avril Bénard (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Jeudi, 13 Avril 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres

A ceux qui ont tout perdu, Avril Bénard, Editions des Instants, janvier 2023, 195 pages, 19 €

 

Que feriez-vous si demain des soldats vous demandaient de faire vos bagages en 2 heures pour prendre un bus et se sauver ? Comment « faire le bagage d’une vie » ? C’est ce qu’a imaginé l’auteure à travers 8 personnages : Manon et Jeanne (sa fille), Louis (son mari), Paul, Marek, une dame âgée, Shoresh (sourd de naissance), Guy (« SDF ») et Totem (son chien). Ainsi qu’une famille nombreuse, qui forme la psyché d’une famille unie et un « je », né comme l’auteure en 1986. La date est importante car elle témoigne du début d’un certain désenchantement du monde industriel. Les années 80 ont créé de jeunes adultes fragiles, une génération qui croit en l’avenir et non pas en dieu. Mais à quel saint se vouer une fois que l’avenir se dissout et que l’on ne réussit plus à l’imaginer ?

Ce roman est particulièrement incisif car il reflète à la fois la légèreté de la vie moderne et sa fragilité. Tout peut basculer du jour au lendemain. L’auteure arrive à jouer plusieurs partitions à partir d’un même évènement. Elle sait mettre en valeur la différence de coloration psychique d’un fait identique qui rebondit de chapitre en chapitre à travers chaque personnage.

La Côte Sauvage, Jean-René Huguenin (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 12 Avril 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Points

La Côte Sauvage, Jean-René Huguenin (1960), Points, 1995, 172 pages, 6,50 € Edition: Points

 

Une vie foudroyée, un succès foudroyant, un oubli qui ne l’est pas moins. Voilà résumé le passage de Jean-René Huguenin sur cette terre, passage marqué au fer rouge par cet ouvrage en particulier, roman de la jeunesse traversé par les lumières et les ombres qu’elle implique, inévitablement. Huguenin est mort broyé dans une voiture le 22 septembre 1962, à 26 ans, à toute vitesse, dans la cruelle ardeur de son âge. La lecture de son brûlant Journal (Points Signatures) nous découvre un jeune homme ardent, blessé par la mollesse de son époque, fasciné par le dépassement de soi et la recherche de la force de caractère. Tous les témoignages de ceux qui l’ont connu concordent pour dresser le portrait d’un garçon redoutablement séduisant, exerçant une forte influence sur ses camarades, cassant et hautain. Ce jeune homme ressemble fort au héros de ce roman, Olivier, personnage doté d’une grande puissance mais souffrant de blessures intimes aussi irréparables que d’origine mystérieuse.

Elizabeth Finch, Julian Barnes (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Mardi, 11 Avril 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Iles britanniques, Mercure de France

Elizabeth Finch, Julian Barnes, Mercure de France, septembre 2022, trad. anglais, Jean-Pierre Aoustin, 197 pages, 19 € . Ecrivain(s): Julian Barnes Edition: Mercure de France

 

Neil, la trentaine, ex-comédien qui a du mal à se trouver s’est inscrit à un cours pour adultes. Son professeur, Elizabeth Finch, cadre d’emblée la teneur de ses interventions. Son enseignement de « culture et civilisation » fera plus référence à la maïeutique, au dialogue socratique qu’au bourrage de crâne et à la prise de notes. Elle s’adresse à des adultes et souhaite une classe active. Malgré ou à cause de sa vêture : ses chaussures plates, sa jupe qui descend juste au-dessous du genou mais aussi grâce à sa langue juste, précise, son intelligence aiguisée, il émane de sa personne une aura très particulière qui attire entre autres Neil. Ce dernier captivé très vite par ses cours devient un inconditionnel d’E.F. Ainsi, celui qui passait pour un instable, devenu platonicien en herbe ne tarde pas à succomber à ce qu’il faut bien appeler le charme singulier de son professeur. Après avoir entendu un peu de son message sur sainte Ursule et ses onze mille vierges, puis beaucoup plus sur Julien l’Apostat, source inépuisable de « dialogues » il osera l’inviter à déjeuner.

Le Corsaire Rouge, James Fenimore Cooper (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 07 Avril 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, USA, Folio (Gallimard)

Le Corsaire Rouge, James Fenimore Cooper, Gallimard, Folio Classique, juin 2021, trad. anglais, Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret, 690 pages, 11,50 € Edition: Folio (Gallimard)

Présentée, préfacée et commentée par Philippe Jaworski, cette édition, magnifiquement servie par la traduction, dans un français d’une magistrale pureté classique, de Defauconpret de Thulus, permet à tout lecteur, au prix modeste du format Poche, d’embarquer pour une odyssée marine prodigieuse et conséquemment inoubliable.

L’action commence en 1759, précisément le jour où les habitants du lieu, fidèles sujets de la monarchie anglaise, célèbrent la victoire de l’Angleterre sur la France, laquelle perdait là ses colonies américaines et canadiennes, à Newport, alors petit port de Rhode Island, où mouillent deux navires, le Dauphin et la Royale Caroline, dont la présence, la nature, l’équipage, les qualités opératives, l’élégance, la provenance, la destination, l’activité hypothétique constituent, ponctués d’allusions répétées sur les faits et gestes d’un pirate quasi légendaire qui sillonne et écume l’océan en accumulant prises, massacres et autres forfaits, le sujet principal des conversations qui se nouent sur terre, à l’occasion récurrente de rencontres aux circonstances provoquées ou semblant relever du hasard, entre des personnages qui vont et viennent, en un chassé-croisé dont l’intrigante durée narrative suscite une attente croissante d’il ne sait quoi chez le lecteur littéralement (littérairement) captivé.