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Roman

Les Naufragés du Wager, David Grann (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 29 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Editions du Sous-Sol

Les Naufragés du Wager, David Grann, éditions Du Sous-Sol, août 2023, trad. anglais (USA), Johan-Frédérik Hel Guedj, 448 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): David Grann Edition: Editions du Sous-Sol

 

David Grann puise, ouvrage après ouvrage, la matière de son travail dans la réalité. Il met les mains jusqu’aux coudes dans la pâte du réel et en fait des fictions plus fictionnelles que les fictions. L’incroyable matériau qu’il réunit avant d’écrire dépasse toute entreprise d’investigation : plus de 150 ouvrages, textes d’époque, journaux de bord, journaux intimes, rapports maritimes ont été ici utilisés pour construire, mieux pour re-construire, cette folle équipée du Wager et de son escadre de voiliers, cette terrifiante histoire qui rejoint les plus inoubliables récits de marins. Les éléments qui élaborent cette narration sont en effet essentiellement des récits de marins, des témoignages écrits par les acteurs du drame avec une précision, une rigueur en lesquelles Grann fait parfaite confiance car « ces hommes croyaient que leurs vies mêmes dépendaient de ces récits. S’ils échouaient à proposer une version convaincante des faits, ils risquaient de finir pendus ou ligotés à la vergue d’un navire ».

Julie de Carneilhan, Colette (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Jeudi, 24 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Julie de Carneilhan, Colette, Folio 192 p. . Ecrivain(s): Colette Edition: Folio (Gallimard)

 

Il n’y a pas, chez Colette, de guerre des sexes mais des affrontements de personnalités. Colette, une féministe ou pas ? La question n’a guère de sens. Le génie n’est le porte-parole que de l’humanité. Car hors le carcan des conventions et des lois, qui assignent à chaque sexe un statut, un rôle et même un caractère supposé naturel, qu’est-ce qu’être un homme ou une femme ?

« Julie se savonnait comme un homme, tête comprise, dans son bain », raconte la romancière de son héroïne éponyme. Et celle-ci a beau déclarer « Je ne raisonne pas sur la guerre. Ce n’est pas l’affaire d’une femme, de raisonner sur la guerre », c’est plus par dégoût pour ce possible cataclysme que par croyance en une quelconque incapacité naturelle féminine. Les seuls frappés d’incapacité, chez Colette, sont ceux qui ont renoncé au bonheur. Julie n’en est pas.

Parisienne de noble ascendance bretonne, fière et pauvre comme il se doit à cette noblesse, elle n’hésite pas à corriger gentiment un domestique colportant qu’elle a quarante-quatre ans : elle en avoue crânement quarante-cinq ans. Elle a le talent pour faire changer de côté la gêne que la bienséance serait censée lui faire éprouver. C’est sa force et sa fierté de femme déclassée.

Le fils de l’homme, Jean Baptiste Del Amo (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 24 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Le fils de l’homme, Jean Baptiste Del Amo, Gallimard, Folio, mars 2023, 288 pages, 8,70 € . Ecrivain(s): Jean-Baptiste Del Amo Edition: Folio (Gallimard)

 

Prix FNAC 2021, ce roman vaut par l’atmosphère pesante, angoissante que l’auteur y crée et qu’il y maintient du début à la fin.

Une première partie, dont le caractère hors texte est exprimé par l’usage de l’italique, plonge le lecteur dans l’oppressante mise en scène d’une tribu nomade préhistorique en marche en un milieu naturel inhospitalier, voire limbique. L’élément narratif essentiel consiste en un accouchement risqué, dans des conditions élémentaires, et à la naissance d’un enfant, « le fils de l’homme », dont la survie est hypothétique tant les circonstances d’existence sont précaires, périlleuses, en cette avance forcée vers un ouest onirique que jalonnent les cadavres des plus faibles.

Mais pour l’heure, l’enfant appartient encore au néant ; il n’est qu’une infime, une insoutenable probabilité tandis que la horde des hommes avance tête baissée dans la bourrasque, troupeau vertical, opiniâtre et loqueteux.

Le manoir de Kerbroc’h, Léo Koesten (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Mercredi, 23 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres

Le manoir de Kerbroc’h, Léo Koesten, Éditions Baudelaire, février 2023, 243 pages, 19 €

 

La famille de Kerambrun pourrait être une famille comme les autres à cela près que, sans faire d’analyse sociologique poussée, on peut dire qu’elle appartient à la bourgeoisie radicale. Le père Foucault de Kerambrun, ingénieur polytechnicien, fils d’un autre Foucault de Kerambrun aussi polytechnicien comme le furent ses aïeux (Foucault et ingénieur), fait vivre sa famille grâce à ses seules ressources. Son épouse, Éloïse, est femme au foyer, et leurs deux enfants Margaux et Théodore suivent le cursus scolaire habituel d’enfants pubères de leur âge. Ils habitent Versailles et sont de confession catholique. On pressent pour le fils une carrière identique à celle du père. Les grands-parents Foucault et Lucille possèdent un manoir en Bretagne où la famille qui se voit déjà tous les dimanches en cours d’année se rend pour une partie des vacances. Enfin, n’oublions pas les Kerambrun ont défilé contre « le mariage pour tous ».

Chroniques Martiennes, Ray Bradbury (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 22 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, Science-fiction, La Une Livres, USA, Folio (Gallimard), En Vitrine, Cette semaine

Chroniques Martiennes, Ray Bradbury (1946), Folio-SF, trad. américain, Jacques Chambon, Henri Robillot, 318 pages . Ecrivain(s): Ray Bradbury Edition: Folio (Gallimard)

Commençons par un truisme : Les Chroniques Martiennes sont des chroniques au sens strict du terme. Des histoires scandées par le temps calendaire sur une longue période, celle de la colonisation de Mars par les Terriens. Ce n’est pas un roman, ce ne sont pas des nouvelles, mais un tissu de narrations que Bradbury, avec un sens époustouflant de l’épopée, a tramées en un grand récit, donnant à ces moments épars la cohérence d’un roman. Chaque chapitre comporte un titre, référence probable aux chroniqueurs médiévaux de France – Ray Bradbury était un homme d’immense culture, en particulier européenne.

Roman-culte de la Science-Fiction, cet ouvrage pourtant ne ressemble guère à la SF traditionnelle. Les moyens de la conquête de Mars, les technologies mises en œuvre, espaces et machines n’intéressent que peu Bradbury. Ce n’est pas l’épopée d’une conquête planétaire mais l’épopée d’hommes lancés dans des situations nouvelles qui servent de révélateurs de la nature humaine. Le courage moral et physique, la générosité, le sens du sacrifice de l’individu pour le groupe, sont parmi les qualités lumineuses que l’aventure martienne révèle et accentue. Le racisme, la haine, la jalousie en sont le pendant sombre.