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Roman

Il n’y aura pas de sang versé, Maryline Desbiolles (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Jeudi, 23 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Sabine Wespieser

Il n’y aura pas de sang versé, Maryline Desbiolles, éd. Sabine Wespieser, mars 2023, 148 pages, 18 € Edition: Sabine Wespieser

 

Les sans-grades, les oubliés de l’histoire, les invisibles, ne souffriront pas de ce statut dans le roman de Maryline Desbiolles, Il n’y aura pas de sang versé. Celui-ci met en scène quatre femmes, Toia, Rosalie Plantavin, Marie Maurier, Clémence Blanc. Elles ont peu de points communs quant au parcours initial de leurs vies, souvent caractérisé par la misère, une souffrance familiale, un manque d’éducation. Pour Maryline Desbiolles, c’est une comparaison sportive qui s’impose pour éclairer et expliciter le sort de ces femmes, et les relier entre elles, celle des relayeuses d’un parcours athlétique. Ces femmes ont en commun d’être des ouvrières ovalistes, lorsqu’elles sont embauchées à différents moments dans les usines textiles de l’agglomération lyonnaise. Leur rôle est de garnir les bobines des moulins ovales et de surveiller la torsion nécessaire à donner au fil grège.

Chasse à l’homme, Alejo Carpentier (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 21 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Folio (Gallimard)

Chasse à l’homme (El acoso, 1956), Alejo Carpentier, Folio Bilingue, 2014, trad. espagnol (Cuba), René L. F. Durand, 284 pages, 7,80 € . Ecrivain(s): Alejo Carpentier Edition: Folio (Gallimard)

 

La volonté du titre français de tirer ce roman vers le roman noir n’est pas totalement erronée. Carpentier, fasciné par le polar tant en romans qu’au cinéma, donne pleinement à ce roman le rythme, le cadre, le thème d’un pur roman policier. Cependant « l’homme traqué » eût été à la fois plus proche du titre original « El acoso » et surtout évocateur du halètement, de l’oppression qui pèsent de bout en bout sur le personnage principal et – par là-même – sur le lecteur. L’écriture de Carpentier, baroque, explosive, flamboyante mène tambour battant cette traque d’un homme devenu la cible du pouvoir dictatorial qui régit alors Cuba sous le régime de Machado (1925-1933). Le roman est écrit dirait-on pour pouvoir tenir narrativement dans le temps exact de l’exécution de la Troisième Symphonie de Beethoven, L’Héroïque, soit environ 45 minutes, dans la salle des concerts de La Havane où elle est donnée. Attachement ancien de Carpentier au compositeur allemand qu’il évoquera de nouveau dans Le Partage des eaux avec la Neuvième symphonie.

Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 20 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Folio (Gallimard)

Ton absence n’est que ténèbres, Jón Kalman Stefánsson, Folio, janvier 2023, trad. islandais, Éric Boury, 608 pages, 9,70 € . Ecrivain(s): Jon Kalman Stefansson Edition: Folio (Gallimard)

 

Ouvrir un roman de Jón Kalman Stefánsson est la certitude de plonger dans une « islandéité » poétique qui pourtant renvoie, comme toute grande œuvre, à l’universel des ressentis. C’est aussi le cas avec Ton absence n’est que ténèbres, Prix du Livre Étranger France Inter-Le Point en 2022 et aujourd’hui réédité au format poche : on retrouve ce qui a pu envoûter dans la trilogie Entre ciel et terre, La tristesse des anges et Le Cœur de l’homme, ainsi que dans Asta, mais, car il y un « mais », le sentiment qui ressort de Ton absence n’est que ténèbres est que la lumière ne parvient plus que par accident à percer dans une atmosphère appesantie.

Peu importe que la phrase-titre soit en fait l’épigraphe lue sur une tombe par le personnage principal, peu importe que soit composée au fil du roman une « Compilation de la Camarde » (aux choix aussi éclectiques que parfois surprenants) – ce qui marque le plus est une ambiance lourde, où le passé pèse et le présent ne réjouit guère (une réfugiée devenue proche des protagonistes qui a subi un viol drogué et filmé, pour ne citer qu’un seul exemple).

Pas la défaite, Gilles Moraton (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 16 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Editions Maurice Nadeau

Pas la défaite, Gilles Moraton, Editions Maurice Nadeau, janvier 2023, 240 pages, 18 € Edition: Editions Maurice Nadeau

 

Faire d’un déserteur un héros, ce peut paraître un paradoxe, une gageure, une boutade, ou un contresens. Il n’en est rien en ce roman de Gilles Moraton faisant du franco-espagnol Paco un personnage on ne peut plus sympathique qui, se retrouvant seul dans la tourmente et le chaos de la débâcle de 1940, aux environs de Noyon, son régiment ayant été décimé par les Allemands, jette l’uniforme aux orties et le fusil au fossé et tente de rentrer chez lui, dans le sud, en se cachant à la fois des forces ennemies qui avancent sur la même ligne que lui, voire devant lui, des autorités françaises qui pourraient le condamner pour désertion ou le remettre aux forces d’occupation par zèle pétainiste, et de villageois xénophobes enclins en ces temps troublés à agresser tout étranger de passage.

Quant à lui, « Il ne se considère pas comme un déserteur mais comme un vaincu en fuite ».

« Enlever l’uniforme, c’est déjà mettre fin symboliquement à la guerre. A la sienne en tout cas ».

Apprendre à prier à l’ère de la technique, Gonçalo M. Tavares (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 14 Mars 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Points

Apprendre à prier à l’ère de la technique (Aprender a rezar na Era da Técnica, 2007), Gonçalo M. Tavares, éd. Points, 2014, trad. portugais, Dominique Nédellec, 384 pages, 7,80 € . Ecrivain(s): Gonçalo M. Tavares Edition: Points

 

Lenz, le personnage central de ce roman, va vous stupéfier. Vous séduire, rarement. Vous dérouter parfois. Vous écœurer souvent. Vous effrayer toujours. Cet homme, médecin de son métier, n’envisage le monde qu’à travers les machines en œuvre – naturelles ou fabriquées – pour le faire fonctionner. Son rapport au monde et sa conception de l’univers et des hommes ne se mesure qu’à l’aune des technologies, dont il distingue deux catégories essentielles ; celles inhérentes au monde, consubstantielles à la vie même : l’univers, les forces physiques, le corps, la maladie, la mort ; celles issues de l’intelligence humaine : outils, machines, organisation de la Cité. Lenz pousse la foi matérialiste jusqu’au bout de sa logique et produit par ce fait une exclusion absolue des sentiments humains qu’il considère comme des parasites de l’ordre du monde, une perte de temps, et le moteur d’erreurs fondamentales dans le traitement des problèmes que l’homme – le médecin qu’il est, le politique qu’il va devenir – se doit de résoudre pour la survie du monde.