Pas de larmes, Caroline Tiné (par Philippe Chauché)
Pas de larmes, Caroline Tiné, Albin Michel, mars 2025, 288 pages, 20,90 €
Edition: Albin Michel
« Le dernier chant au Père, qui n’écoutait jamais de musique, serait cet hymne magnifique au martyre de Jésus. Victoire est songeuse, elle n’a jamais été initiée à l’art, la culture ou la musique par le Père. Comme si la guerre d’Algérie avait occulté tout autre centre d’intérêt. Mais elle avait pris l’habitude d’aller errer au Louvre pour s’imprégner d’une infinie beauté ».
Pas de larmes est le roman d’un père, le Père disparu et donc retrouvé, sa stature, son élégance, ses mots, son histoire tumultueuse, irriguent ce roman, qui est aussi celui d’une terre aimée, qu’il a fallu quitter : l’Algérie. Ce roman est aussi l’histoire de Victoire, la fille aînée et préférée du Père, qui sera chargée de ramener ses cendres sur cette terre, qu’il a tant aimée. Pas de larmes nous conduit ainsi sur les traces d’une famille, dont le destin s’est étiré, jusqu’à casser, une famille éloignée de la guerre, qui va submerger l’Algérie, et l’irriguer de nostalgie.
Victoire va dérouler l’histoire du Père, ses aventures algériennes, son soutien à l’indépendance, ses amitiés kabyles, sa lucidité sur l’avenir de la nouvelle Algérie, mais aussi sa clandestinité pour échapper aux griffes de l’OAS. La terre est là, la ville, Alger la blanche, qui illumine la mémoire des pieds-noirs, des déracinés d’hier, nostalgiques d’un passé qui ne passe pas. Une ville, des visages, des accents, une langue, retrouvés par Victoire sur le chemin de la tombe familiale, elle aussi oubliée, dans un cimetière dévasté par le temps et les hommes. Le Père racontera sa vie à Victoire, sa voix résonne dans ce roman de fidélité et de colère, souhaitant qu’elle l’écrive, qu’elle en fasse un livre. C’est tout cela Pas de larmes, des larmes qu’il ne faut verser ni sur les chers disparus, ni sur cette terre abandonnée, cette plaie qui ne se referme pas.
« Victoire reprend son pèlerinage, emploie d’une énergie nouvelle qui apaise ses os ankylosés. Comme si l’univers lui envoyait des signes, elle se sent forte malgré la canicule sans air, vivante dans le monde des morts, portée par une sensation d’éternité ».
Pas de larmes tient dans la tempête des histoires qu’il fait se croiser, par la justesse, la finesse d’orfèvre de sa composition, par ces éclairs qui traversent le regard de Victoire, un regard qui même dans la tourmente sait, et c’est aussi la force de ce personnage, tenir à la vie, comme un marin tient la barre de son fragile esquif. Pas de larmes ne se complaît pas dans les lieux communs qui hantent la guerre d’Algérie, dans une littérature engagée dans le prêt à penser, préférant cet art singulier du roman où les personnages nous éblouissent par leurs contradictions et leurs raisons singulières. Ce voyage dans le temps perdu, et les temps retrouvés d’une famille en perdition, est aussi celui d’un retour sensoriel et romanesque dans un pays qu’il est impossible d’oublier, ses parfums, ses ciels, ses hommes et ses femmes qui peuplent les souvenirs de Victoire et du Père. Ainsi porté le roman est toujours une victoire.
Philippe Chauché
Caroline Tiné est l’auteur de : L’Immeuble ; Le Roman de Baltazar (Albin Michel) ; Le Fil de Yo (JC Lattès) ; et de Tomber du Ciel (Presse de la Cité).
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