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La Une CED

Le cimetière monumental

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 03 Septembre 2012. , dans La Une CED, Ecriture, Récits

 

A l'entrée d'Iglesias, apparaît l'enceinte, la haute ceinture qui emmure les trépassés. Les cigales stridulent. Est-ce bien le cimitero ? Ou un jardin de sculptures ? La mort est si belle. Le marbre vient de Carrare. La mort est un signe ostentatoire. Dans l'éclat de juillet, des promeneurs suivent les sentes entre les tombes. Les proches fleurissent, entretiennent les architectures post mortem. Une femme se tient immobile devant la tombe de son époux. Elle lui raconte que la vie continue après lui mais que rien ne compte. Elle porte le deuil : voyez, je suis de noir vêtue  pour lui, vierge à nouveau sans homme. Il ne reconnaît plus sa voix.  Parle-t-elle trop bas ? Elle sait que les morts restent avec nous. Elle s'attendrit en pensant à tous ceux qui sont réunis dans cette ville à l'écart de l'autre ville. Deux photos. Etre à nouveau jeunes mariés. Elle a lu maintes fois l'histoire de Giuseppe rejoint par sa veuve. Leurs enfants les pleurent. Un peu plus loin ; contre le mur de l'enceinte, elle passe souvent devant le jeune Lecca 1903 à l'air canaille des années trente, la main gauche sur la hanche et un chapeau citadin sur la tête, à la conquête de la vie. Elle sourit toujours en pensant aussi à Sergio qui aimait le foot. Il n'a pas eu le temps de se fiancer. A-t-il eu un accident de voiture sur une mauvaise route de montagne ; avait-il une maladie incurable malgré sa vigueur sportive ? Ses parents ont dépensé une petite fortune pour son monument.

Art de consommer - 1

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 31 Août 2012. , dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

 

La Cause Littéraire commence aujourd'hui la publication - sous forme de feuilleton - d'un roman original de Matthieu GOSZTOLA. Cette publication s'étendra sur plusieurs mois.

NDLR

 

Roman-puzzle.

 

Définition :

Un puzzle, même achevé, laisse toujours visibles les différentes parties qui le constituent.

Le morcellement n’exclut pas l’unité ; il s’en nourrit, car le regard est lui-même morcellement ; la totalité de la lecture, qui confère au livre son caractère d’œuvre achevée, n’est qu’une illusion rétrospective.

 

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Interview de Claro, à propos de Tous les diamants du ciel

Ecrit par Yann Suty , le Lundi, 27 Août 2012. , dans La Une CED, Les Dossiers, Entretiens, La rentrée littéraire

 

Il y a un côté très poétique dans la langue que vous employez. On a l’impression qu’il s’agit de vers mis en prose. Ça chante, ça danse. C’est très lyrique et en même temps très drôle, très imagé. Il y a aussi une certaine scansion dans la phrase. Est-ce une volonté délibérée ? Si oui, pourquoi ?

 

J’ai du mal à concevoir l’écriture comme quelque chose de désincarné. La langue est à la fois un allié et un ennemi. Un allié parce qu’elle est malléable ; un ennemi, parce qu’elle agit aussi contre nous, véhicule des lieux communs, se fige sans cesse. Je m’efforce donc d’écrire une langue qui soit consciente d’elle-même, qui puisse s’entendre dans son déploiement. La scansion est l’expression d’une nécessité physique de la langue. J’écris aussi en imaginant l’effet que peut et doit produire la langue sur le lecteur, je veux qu’il vive une expérience, pas seulement une lecture.

Je repasse tout à l'heure

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 30 Juillet 2012. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Comment ça va ce matin ?

Comment ça va ce soir ?

Comment ça va ce midi ?

 

Le monsieur à barbe qui vient me pose toujours les mêmes questions. Je lui réponds oui. Et je sais que trois minutes après (je compte dans ma tête) il est parti. C’est automatique.

Son record, c’est 4 minutes 45. Et je sais pourquoi. C’est parce que je lui ai posé trois questions.

Les autres personnes qui viennent me voir restent plus longtemps. Ce sont des dames. Elles sont gentilles. Il y a juste une dame qui n’est pas gentille.

Une ou deux.

L’autre, ça dépend des jours.

Et puis, il y a ma famille.

Dérives sur un bien vacant

Ecrit par Kamel Daoud , le Dimanche, 29 Juillet 2012. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

« Cher Antoine. Ou Claude. Ou Alex. Nicolas. Ou Astérix. Ou De Gaulle. J’ai longtemps hésité à t’écrire et cette longue lettre traîne depuis des années dans ma tête comme un cerf-volant épuisé et rabattu entre les parenthèses de deux vents. Comme ces écrivains scrupuleux et obsédés par l’exactitude qui naissent dans ton pays pour en inventorier les nuances, j’en écris souvent des feuillets entiers, virtuellement, avant de les froisser et de continuer ma vie, sans songer à Toi. D’abord, parce que je répugnais à l’effort et ensuite, parce que j’ai lentement compris que cet effort n’était pas une fainéantise qui devait me culpabiliser, mais une raison tout à fait objective : certes nous parlons tous deux le français, mais nous ne partageons pas la même langue. Ou peut-être que nous la partageons, mais pas équitablement : A toi, on t’a donné la langue, la terre qui va avec, une bonne partie de l’Histoire et beaucoup de livres pour le prouver.

A moi, il est échu une langue ni morte ni vivante, ravagée par des trous insonores, des approximations, des particularismes insulaires et une grande dose de solitude due au piège de l’Histoire dont vous avez pris les archives en nous laissant les cimetières.