Identification

Ecriture

The killing of a chinese cookie *

Ecrit par Philippe Leven , le Dimanche, 17 Juillet 2011. , dans Ecriture, Nouvelles, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED


Au fond, les longues enfilades de quais gris et roides, les lignes droites sans fin des hangars, cassées par les jets verticaux des grues, font du port du Havre la suite imperturbable de la ville... Ou l’inverse, on ne sait plus ; dans un univers d’angles droits tout angle en vaut un autre : 90°. Droites et béton armé. La seule chose qui soit armée ici c’est le béton. Le reste est mou, veule, dans les ventres et dans les têtes. A part « Little Bob Story », pensait François. Il aimait bien LBS, très texan, gras, un peu sale. Le ZZ Top havrais, l’honneur du Havre.

François n’avait pas envie d’être là. Surtout pas au bord de ce bassin glauque et écoeurant, derrière la centrale thermique du port. La fébrilité de tous ces chinois et vietnamiens avait quelque chose d’inhumain, entre névrose et mécanique grotesque. Le pire naissait du contraste entre le sentiment morbide que provoquait la gestuelle et la raison de leur présence ici : ils PECHAIENT ! En pleine nuit, frénétiques, tendus, gris plomb, parfaitement silencieux, ils sortaient de l’eau sale et chaude des turbines de l’usine des poissons brillants et frétillants, seul élément vivant dans ce monde de spectres. A un rythme incroyable. Sans plaisir, sans humour, un par minute, le temps de renvoyer leur fil dans l’eau, silhouettes blafardes dans la lueur des réverbères. Mais ce soir-là, une tension de plus flottait dans l’air.

Le récit d'un arpentage

Ecrit par Didier Ayres , le Dimanche, 17 Juillet 2011. , dans Ecriture, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED, Récits

Ou les travaux du promeneur


Je sais marcher. Je sais déambuler. Oui, choisir une rue plutôt qu'une autre. Je sais cheminer, aussi, dans les sentiers. Et, ces marches sont des travaux pour moi. J'y réfléchis, et si je suis accompagné, je disserte. J'aime donc aller pour faire discours. Par exemple, en poursuivant lentement sur l'avenue qui longe les voies ferrées. Ne pas savoir. Divaguer. Juste à l'écoute de l'amble de la marche. Donc, me hasarder, suivre là, l'allée qui débouche sur Pompidou-Metz, et le mur vert-de-gris qui masque les lignes de la compagnie des transports ferrés. Puis, tourner, revenir, regarder. Voir les trois rectangles qui sont comme des tiges en équilibre d'un grand mikado de béton. Géants, mais qui paraissent fragiles comme des oiseaux. En une sorte de lévitation hasardeuse. Alors, je ne suis plus ici, mais aux côtés de Kagemusha, avec lui, la doublure du guerrier, près de sa tente de combattant, de samouraï, dans ce mélange de la force des armes et de la faiblesse de la toile de l'abri. Mais, pour finir, beaucoup de gris, de blanc, et les lignes de chemins de fer où, là encore, je regarde non pas la liaison ferroviaire, mais les petites gares d'Ozu et ses mariages difficiles. Donc, le cinéma. Donc ce qui nécessite l'identification. La catharsis. La confusion de soi et du paysage. Faire le discours de cette relation. Faire de mes propres yeux le parcours de la promenade, comme pour un plan rapproché.

Carnets d'un fou - XI

Ecrit par Michel Host , le Jeudi, 14 Juillet 2011. , dans Ecriture, Ecrits suivis, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED

Michel Host

Le 4 juillet 2011


Rétrospectivité / Prospectivité / Objectivité / Subjectivité / Invectivité / Perspectivité / Salubrité

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Les intuitions des poètes sont les aventures oubliées de Dieu.

Elias Canetti, Le Territoire de l’homme


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L'arbre aux secrets - 8 (Chap. IX)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mercredi, 13 Juillet 2011. , dans Ecriture, Nouvelles, Ecrits suivis

En effet, le lendemain matin, lorsque Rose osa enfin jeter un œil dans la chambre de sa mère, celle-ci était étendue toute droite sous ses couvertures, les yeux ouverts, le regard perdu. Et Rose ne sut pas quoi faire d’autre que d’aller dans la forêt. Elle avala un verre de lait, glissa une pomme dans sa poche : elle était partie.

Il faisait très chaud ce jour-là. Malgré l’heure matinale, une buée légère s’échappait des prés des deux côtés du chemin. Rose clignait des yeux sous le soleil. Soudain, du coin de l’œil, sur sa gauche, elle entraperçut une forme blanche au milieu du pré. Elle tourna la tête, mais ne vit rien. Continuant sa marche, elle gardait cette sensation d’être accompagnée, de loin, par une silhouette qui se dissipait dès qu’elle s’arrêtait pour mieux la regarder. Elle pensa à l’enfant du grenier, en qui elle ne pouvait s’empêcher de reconnaître sa mère, petite fille. Ce que sa mère lui avait interdit en paroles hier, elle l’encourageait aujourd’hui en actes. Rose se disait cela, puis secouait la tête. Cette vague image qui l’accompagnait à travers prés, ce fantôme, ce n’était pas sa mère, c’était un songe né de son angoisse à elle, Rose, de son désir à elle, d’avoir une solution, de n’être pas impuissante. Et pourtant, pourtant… L’image, toujours insaisissable, persistait, un chant se faisait de plus en plus distinct, une chanson, une comptine, comme celle qui rythme les rondes, aux paroles incompréhensibles, mais l’air, gai et entêtant, qu’on a déjà entendu quelque part, mais les paroles, on ne s’en souvient plus, les paroles échappent.

Sacrifice

Ecrit par Zoe Tisset , le Jeudi, 07 Juillet 2011. , dans Ecriture, Nouvelles, Chroniques Ecritures Dossiers, La Une CED

 

Cette voix a été mutilée par un coup de rasoir coléreux. Elle a voulu se révolter, au coin d’une fenêtre, elle a crié sa hargne d’une filiation coercitive. Le père n’a pas supporté, imbibé d’alcool, il a tranché.

Quelques gouttes de sang sur une moquette, voilà ce qu’il reste d’une voix qui s’est perdue à jamais. L’enfance et l’espérance sont parties pour ne revenir que de manière hachurée à travers une logorrhée découpée, hoquetante et striée.

Ma sœur est alors devenue le fantôme d’elle-même, courant derrière cette voix lumineuse qu’elle avait perdu un jour de ténèbres. Elle n’a jamais pu solder cette perte. Sa voix, elle l’a oubliée, nous l’avons tous oubliée. Pourtant, chacun d’entre nous sait ce qui a été tu.

C’est comme s’il y avait eu un sacrifice, car jamais plus le père n’oserait inciser un de ses enfants.

Et toi mère, ta voix ? Comment ne s’est-elle pas alors réifiée ? As-tu hésité à te réveiller ? A t’enterrer ?

Quelle souffrance aujourd’hui d’être encore dans ton silence. Je ne peux plus me taire, mes oreilles raisonnent de hurlements qui m’empêchent de frissonner à la brise du matin.