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Critiques

Les tortues, Loys Masson (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 27 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, En Vitrine

Les tortues, Loys Masson (1956), L’Arbre Vengeur, 2021, 302 pages, 17 €

 

Nous avons, généralement, un regard amical sur les tortues, animaux paisibles, dont la lenteur semble évoquer la sagesse. Le narrateur de ce roman leur voue une haine mortelle, jusqu’à les écraser quand l’occasion se présente, voire les torturer savamment avant de les achever. L’histoire que raconte ce roman éclaire sur cette étrange passion sombre, héritée d’un souvenir d’enfance effrayant.

Le narrateur n’aura pas de nom, comme dans un contrepied parfait du célèbre incipit du roman de Melville qui hante les pages de celui-ci – Appelez-moi Ishmael. Mais comme Ishmael, c’est un jeune marin qui va s’embarquer pour un voyage terrible, dans les pas d’un commandant qui a bien des traits communs avec Achab et d’un compagnon de chambrée qui semble droit descendu de Queequeg. L’ombre de Melville, inévitable, une fois dite, il reste un roman époustouflant, dont l’économie narrative et la poétique particulière font un roman unique, terrible et précieux. Le Diable melvillois était hors du Pequod, dans l’abîme de l’Océan ; celui de Masson est dans La Rose de Mahé, niché dans le sang et la chair des hommes, dans l’abîme des corps. Au gigantisme de la Baleine Blanche, Masson répond par la taille microscopique d’un virus, celui de la variole installée aux Seychelles

Autobiographie, Charles Darwin (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 26 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Biographie, Editions Honoré Champion

Autobiographie, Charles Darwin, éd. Honoré-Champion, octobre 2022 (édition par Nora Barlow, rétablissant les passages supprimés de la publication originale), trad. Aurélie Godet, Michel Prum, Patrick Tort, 296 pages, 19 € Edition: Editions Honoré Champion

 

Oublié aujourd’hui, Ernst von Hesse-Wartegg (1851-1918) fut un ingénieur et voyageur autrichien qui semblait sortir d’un roman de Jules Verne. À peine âgé de vingt-quatre ans, il avait déjà publié un livre sur les machines-outils et un autre sur la faisabilité technique d’un tunnel sous la Manche. En 1875, il communiqua à Charles Darwin une recension d’un de ses ouvrages en le priant de bien vouloir lui faire parvenir une esquisse biographique destinée à paraître dans un journal allemand.

La requête du jeune ingénieur dut consonner avec les préoccupations propres de Darwin, alors sexagénaire, qui se mit à rédiger une autobiographie dont les dimensions dépassèrent vite l’espace éditorial initialement alloué par Hesse-Wartegg (deux colonnes d’un quotidien comme le Times). Darwin écrivit de mai à août 1876 et ne cessa ensuite d’enrichir son manuscrit, qui ne sera publié qu’en 1887, cinq ans après que le grand naturaliste eut été inhumé en l’abbaye de Westminster, comme toutes les gloires de Grande-Bretagne (Shakespeare excepté).

Rimbaud et la Veuve, Edgardo Franzosini (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 21 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, La Baconnière

Rimbaud et la Veuve, Edgardo Franzosini, éd. La Baconnière, mai 2023, trad. italien Philippe Di Meo, 120 pages, 17,50 € Edition: La Baconnière

 

Nombreux sont les essais consacrés au grand Arthur, certes pour des raisons parfois très diverses. Sa précocité littéraire, ses amours avec Paul Verlaine, son rejet de la poésie si jeune, ses voyages, ses commerces. Bref, il y a toujours matière.

Le vagabond des lettres françaises a toujours beaucoup circulé : l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne, sans oublier l’Afrique bien sûr ni l’Italie puisqu’il y fit plusieurs séjours. Celui du printemps 1875, en avril-mai, attira d’emblée tous les commentateurs et Ernest Delahaye en parle dès 1891. Rimbaud, arrivé à Milan, a résidé au 39, Piazza Duomo, chez une veuve dont on ne sait rien. Sauf qu’un poème la mentionne sous l’appellation de la « brune ».

Un vent les pousse, Frédéric Bécourt (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 20 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Un vent les pousse, Frédéric Bécourt, Accro Editions, mars 2023, 208 pages, 19 €

 

« L’admiration de Gilles pour sa fille ne connaissait aucune limite. Elle était sa principale force et sa plus grande faiblesse. La source de toutes ses joies, aussi, et l’unique objet de ses angoisses ».

Un vent les pousse est le roman d’une folie, d’une folie administrative et sociale qui va frapper un père et sa fille. Pour quelques mots échangés entre deux jeunes enfants dans la cour de leur école, la machine éducative va s’échauffer et entrer en fusion. La petite Chloé âgée de 5 ans est accusée par une enseignante d’avoir tenu des propos racistes envers un autre enfant, Souleymane : Laisse-moi, tu sens mauvais, … Rentre chez toi, ou rentre à ta maison. Dans les temps du roman, ministère, inspecteurs et enseignants veillent au grain, au bon grain, et à bien le séparer de l’ivraie. Pour cela un protocole est activé, et l’enfant doit être soumise à des tests psychologiques, la vigilance est de tous les instants, chaque mot et réaction des enfants pesés sur la balance sociale.

Qu’est-ce que l’histoire culturelle ?, Peter Burke (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 20 Juin 2023. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Les Belles Lettres

Qu’est-ce que l’histoire culturelle ?, Peter Burke, Les Belles-Lettres, septembre 2022, trad. anglais Christophe Jaquet, 256 pages, 23,50 € Edition: Les Belles Lettres

 

Publié en 2004, What is cultural history ? a mis dix-huit ans à se voir traduit en français. On a connu pire, mais également mieux en matière de délais (la présente traduction souffre de faiblesses intermittentes, qui parle d’Ernst Robert Cassirer et d’Ernst Curtius, et aurait dû être relue de plus près). Ce livre offre un regard panoramique sur une discipline parfois mal-aimée ou mal-identifiée, en tout cas non enseignée dans l’Université française, et permet, comme tout panorama, d’apercevoir de nouveaux horizons.

L’histoire cultuelle naquit – premier paradoxe – dans un espace linguistique qui n’était pas encore un espace politique, l’Allemagne d’avant l’unification bismarckienne. Une véritable frénésie érudite s’était emparée des esprits allemands avant la naissance de l’Allemagne en tant qu’État et elle durait encore lorsque le pays s’effondra, quelques décennies plus tard. Mais – second paradoxe – deux des noms fondateurs de la discipline furent, l’un suisse (Jacob Burckhardt), l’autre néerlandais (Johan Huizinga).