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Critiques

Chino fait poète, Christian Prigent (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Mardi, 21 Mai 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, P.O.L

Chino fait poète, Christian Prigent, éditions POL, février 2024, 162 pages, 19 € . Ecrivain(s): Christian Prigent Edition: P.O.L

 

Le facteur poésie

Y aurait-il un risque à écrire sur un écrivain qui vient des mêmes terres, respire des mêmes vents de mer, de la même baie, et dont l’estran et les arénicoles font une commune origine, que dis-je un culte ?

Prenons le risque !

La poésie de Christian Prigent alias Chino nous réveille, et non pas nous berce. Nous crispe et nous accroche, nous provoque et nous braque. Bref, le dernier ouvrage publié chez POL de Prigent, Chino fait poète fait de la poésie. Au sens du faire !

C’est-à-dire qu’il fait ça comme on peut faire charpentier sans s’appeler Joseph et faire pouët-pouët quand on est, pour l’éternité, lycéen de Saint-Brieuc, c’est dit, notre commun !

L’autre rive de la mer, António Lobo Antunes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 16 Mai 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, Christian Bourgois, En Vitrine, Cette semaine

L’autre rive de la mer, António Lobo Antunes, Christian Bourgois Éditeur, avril 2024, trad. portugais, Dominique Nédellec, 450 pages, 24 € . Ecrivain(s): Antonio Lobo Antunes Edition: Christian Bourgois

Le vieux lion (ou plutôt loup – Lobo) rugit encore et, même si les pontes décérébrés du Prix Nobel ne semblent pas le savoir, il est le plus grand monstre littéraire encore vivant en ce monde. L’autre rive de la mer, dernier ouvrage de Lobo Antunes – et l’on espère que ce ne sera pas le dernier – est à la fois un retour aux sources brûlantes de l’inspiration du romancier lisboète et un regard sombre vers son passé. L’Angola, enfer vécu par le jeune António entre 1971 et 1973, et cadre ténébreux de ses 3 premiers romans, Mémoire d’éléphant, Le cul de Judas et Connaissance de l’enfer.

« et le nègre avec son fusil à côté d’eux manœuvrant la culasse avec le fracas de qui ferme la dernière des portes, restent les crabes qui approchent dans leur boiterie oblique, refermant sur nous leurs pinces rouillées, reste mon passé s’enfonçant dans le sable si bien que je ne sais pas si je l’exhume ou si je l’invente, si ça se trouve il n’y a jamais eu de coton dans ma vie, il n’y a jamais eu de villages de nègres, je n’ai jamais vu de sipaios enterrer vivante une femme devant son quimbo, la femme les bras et les jambes brisés, enroulés autour de son tronc, et les yeux ouverts tandis qu’ils balançaient les pelletées de terre […] ».

Les Terrasses d’Orsol, Mohammed Dib (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 16 Mai 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Maghreb, Zulma

Les Terrasses d’Orsol, Mohammed Dib, éditions Zulma, février 2024, 192 pages, 9,95 € Edition: Zulma

Hors lieu / décentrement

Mohammed Dib, né à Tlemcen en 1920 (capitale de l’art andalou), décédé en 2003 à La Celle-Saint-Cloud, poète, romancier, dramaturge, a reçu de nombreux prix prestigieux (Académie française, Francophonie, Mallarmé, Découvreurs de la Ville de Boulogne/Mer, etc.). L’auteur fait partie intégrante du patrimoine des littératures française et algérienne.

Son roman, Les Terrasses d’Orsol, commence par la voix d’adresse d’un voyageur pressé, qui consigne des faits et des observations dans un journal, tâche officielle qui lui a été commandée par l’Etat. Mohammed Dib nous entraîne d’abord dans le soliloque fou d’un récitant sans nom ni prénom, lequel déambule et se perd dans les impasses et le rhizome de la ville de Jarbher. Il se trouve soudainement enveloppé de « nappes secrètes », entouré de forces occultes d’un onirisme noir, cauchemar de Lovecraft. Le romancier use d’un procédé « psychogéographique », assimilé à une sorte de dérive situationniste. En spéléologue, le protagoniste tente de retrouver des traces, une issue et une sortie possibles dans ce curieux itinéraire détourné.

Un peu de fièvre, Sandro Penna (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 15 Mai 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Italie

Un peu de fièvre, Sandro Penna, Ypsilon éditeur, 2022, trad. italien, Jean-Paul Manganaro, 146 pages, 20 €

 

La dissidence sexuelle, dans une société hétéronormée, peut conduire à l’inhibition destructrice, à la forfanterie, à la dissimulation sournoise comme pour Mauriac, à l’expérience quasi mystique de la honte et de « l’abjection » comme pour Jouhandeau, à l’élection, comme pour Genet, d’une contre-société opposant aux valeurs majoritaires celles qui leur seront le plus contraires pour empêcher la réconciliation. Elle peut aussi, comme chez Georges Eekhoud avec Escal-Vigor et Voyous de velours, aiguiser le regard, inverser les perspectives et dénoncer les leurres et les mensonges des discours autorisés. Elle peut enfin, comme chez Jef Last, compagnon de voyage de Gide en URSS en 1936, ou Daniel Guérin, motiver un engagement politique.

Tout autre est la manière dont Sandro Penna a construit, à partir de son goût des garçons, sa poétique. On l’observe dans les courtes proses du recueil Un peu de fièvre, retraduites par Jean-Paul Manganaro et publiées en juin 2022 par les élégantes éditions Ypsilon (une précédente version, dans une traduction de René de Ceccatty, avait été proposée dans « Les Cahiers Rouges » de Grasset en 1996).

Lui seul, Patrick Martinez (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 14 Mai 2024. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Alma Editeur

Lui seul, Patrick Martinez, Alma éditeur, février 2024, 144 pages, 16 € Edition: Alma Editeur

 

« D’où viennent toutes ces ombres étranges au plafond ? Certaines ont l’air, de par leur fixité, leur noirceur insondable, d’être un peu comme armées afin de résister à la levée du jour. D’autres, au contraire, fragiles, instables et diluées, partent à ce point en lambeaux dès qu’elles se déplacent qu’on pourrait aisément douter de leur existence ».

Lorsque l’on ouvre un roman de Patrick Martinez, il convient d’avoir en mémoire qu’il est musicien, un temps pianiste de jazz, et pour ce dernier roman, savoir que durant une vingtaine d’années, il s’occupa d’enfants souffrant de troubles psychiques. Patrick Martinez fut donc pianiste, et sa phrase, son style, son toucher : sa manière de saisir la matière romanesque s’en ressent. Souvent, un roman s’écoute, ses phrases passent de l’œil à l’oreille, où elles résonnent et s’embrasent. Patrick Martinez est un styliste qui possède cet art singulier de la mélodie, à la manière peut-être du pianiste Bil Evans, sa phrase est brillante, classique, raffinée dans le choix des mots, et dans sa composition.