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Les Livres

Melancholia, Philippe Thireau (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 20 Avril 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Melancholia, Philippe Thireau, Tinbad, janvier 2020, préface Gilbert Bourson, 48 pages, 11,50 €

 

Texte organique

Pour aller vers ce texte de Philippe Thireau – lecture qui requiert une certaine discipline et un effort conceptuel – il faut accepter l’ellipse et le mystère. Car cette jeune fille et ce soldat qui occupent la diégèse, se disent par la voix d’un auteur, d’un poète, d’un récit qui gagne en épaisseur dans la présence nette de celui qui fait la narration. Ces deux personnages prodiguent à la fois du vif et du mortel. Un texte, donc, en forme d’intellection stylistique disant un corps organique. La vie par la mort, la vie par l’existence littéraire. De là, les intrigues, l’énigme non résolue, l’aphérèse.

Est-ce le poème de Victor Hugo où ce livre prend source ? dans la gravure de Dürer ? dans le Tres de mayo de Goya ? dans la Scène des massacres de Scio de Delacroix ? dans un Paul Delvaux et ses images de gares et d’érotisme ? Chacun tranchera par lui-même. Mais ces références indiquent quand même la violence, et les corps. Une sorte de corps produit par l’eau-forte de l’écrivain, qui regarde peut-être vers un texte organique.

Les maisons du détour, et Comptine pour un au-delà, Pierre Auban, éditions de la Crypte (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 17 Avril 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

 

Les maisons du détour, et Comptine pour un au-delà, Pierre Auban, éditions de La Crypte, décembre 2019 (sans pagination)

 

Né en 1951, à Mont-de-Marsan, le poète a publié depuis 1972 une quinzaine de recueils, dont plusieurs aux mêmes éditions La Crypte (dès 1994). L’auteur est décédé en 2003. On le redécouvre à l’occasion de la parution de ces deux volumes aux beaux titres, poèmes de nature assez différente si l’on compare les deux recueils.

Huit maisons circonscrivent le détour ou l’approche, à l’aune des huit enfants de la famille Auban.

Au pays des poules aux œufs d’or, Eugène Savitzkaya (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Jeudi, 16 Avril 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Les éditions de Minuit

Au pays des poules aux œufs d’or, Eugène Savitzkaya, février 2020, 192 pages, 17 € Edition: Les éditions de Minuit

 

Plus qu’un roman, cet ouvrage peut être qualifié de long (et admirable) poème en prose. Le narrateur le dit aussi « conte » ou « fable » à plusieurs reprises, et il en possède en effet de nombreux aspects.

Sous ces diverses caractéristiques, il est tout aussi indéniable qu’on nous invite dès les premières lignes à une grande aventure, puisque nous assistons à la naissance (ou à la renaissance) d’une terre. Terre qui semble singulièrement proche de la nôtre, mais qui s’en distingue aussi par des traits très nets : comment admettre qu’une renarde et un héron soient devenus un couple, par exemple, et qu’ils aient le don de la parole, de surcroît ?

Nous l’avons dit, c’est une aventure : au sein du monde dont on nous parle, la temporalité est visiblement une donnée mineure. Seul compte le portrait d’une forme d’existence dans ce qu’elle a de plus léger et de plus innocent, de plus pourri et de plus envenimé. Qui dit aventure dit aussi quête et objectif : luisant comme un Saint-Graal indistinct, il nous faudrait enfin toucher ce « pays inaccessible » ; cependant, « aucune route ne menait au pays des poules aux œufs d’or » (p.26).

Ret Samadhi, Au-delà de la frontière, Geetanjali Shree (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 16 Avril 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Roman

Ret Samadhi, Au-delà de la frontière, Geetanjali Shree, Editions Des femmes mars 2020, trad. Hindi, Annie Montaut, 372 pages, 25 €

 

Geetanjali Shree : l’aventure humaine

Au moment où la voûte du vent emporte des vaines, de vulnérables vagues, à la voile du vide, et que vocifèrent les tempes, les héroïnes du roman de Geetanjali Shree vont sans vacarme. Invisibles ou presque, elles se moquent des vétilles à verrouiller dans une vie qui avance contre tempêtes et marées.

L’auteure répond à cet aujourd’hui où s’affole la peur. Stefan Zweig l’a bien mis en évidence dans Vingt-quatre heures de la vie d’une femme : « La plupart des gens n’ont qu’une imagination émoussée. Ce qui ne les touche pas directement, en leur enfonçant comme un coin aigu en plein cerveau, n’arrive guère à les émouvoir ; mais, si devant leurs yeux, à portée immédiate de leur sensibilité, se produit quelque chose, même de peu d’importance, aussitôt en eux bouillonne une passion démesurée. Alors ils compensent, dans une certaine mesure, leur indifférence coutumière par une véhémence déplacée et exagérée ».

"Old M. Flood, Un récit", Joseph Mitchell et "Arrêtez de me casser les oreilles", Un recueil des récits, Joseph Mitchell - Editions du Sous-Sol (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 15 Avril 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Récits, Editions du Sous-Sol

Edition: Editions du Sous-Sol

Old M. Flood, Un récit, Joseph Mitchell, Editions du sous-sol, février 2020, trad. Lazare Bitoun, 127 pages, 16 €

« Dès qu’il arrive dans Fulton Street, le spectacle de ce pandémonium le revigore. Il rejette les épaules en arrière, renifle l’air salé et se frotte les mains. La puanteur de ces commerces de poisson n’a rien de désagréable. “Je vais vous révéler un secret très précieux, m’a-t-il dit un jour. L’odeur du marché aux poissons de Fulton Street vous guérira d’un rhume en vingt minutes. Aucun de ceux qui travaillent dans le marché n’attrape jamais de rhume. Ils ne savent tout simplement pas ce que c’est” » (Old M. Flood).

Joseph Mitchell n’est pas un chroniqueur comme un autre, il a une manière unique de saisir et de se saisir de situations, de dessiner des portraits d’hommes et de femmes croisés, dans la rue, les restaurants, les bars, les marchés (aux poissons), et de les transformer en personnages de roman par l’art du style. Joseph Mitchell saisit sur le vif ce qu’il voit, et le transforme en épopée urbaine foisonnante, entre 1944 et 1946. Old M. Flood possède cette puissance évocatrice, cette haute valeur littéraire qui rend ce récit étourdissant.