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Les Livres

La Vie secrète de Walter Mitty, James Thurber (par Mona)

Ecrit par Mona , le Mercredi, 08 Mars 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Nouvelles, Robert Laffont

La Vie secrète de Walter Mitty, James Thurber, Robert Laffont, 2019, trad. anglais, Christiane Potesta, Claude Dalla Torre, 272 pages, 9 € Edition: Robert Laffont

 

Le sourire de James Thurber

Lire ou relire les nouvelles et les fables de James Thurber, l’un des plus grands humoristes américains du vingtième siècle assez méconnu en France, c’est savourer une liberté de pensée cinglante qui tourne en dérision les valeurs de l’Amérique puritaine et de la pensée positive. James Thurber invente des antihéros décalés dans un monde cruel et c’est toujours avec un brin de tendresse qu’il narre leurs aventures pathétiques. Natif d’une petite ville de l’Ohio, l’écrivain dépressif et alcoolique s’est inspiré de son expérience dans l’Amérique profonde pour mettre en scène des mégères castratrices et de doux rêveurs timides à l’instar du fameux Walter Mitty dont le sourire final, « invaincu, énigmatique jusqu’à la mort » reste inoubliable. Farouche individualiste, inquiet face à la modernité, l’humoriste méfiant à l’égard de toute emprise collective fait l’éloge de la fantaisie seule capable de libérer l’homme de toute forme de système y compris littéraire. Doué d’un sens aigu de la parodie, l’écrivain se moque des clichés avec une ironie caustique.

Une longue route pour m’unir au chant français, François Cheng (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 08 Mars 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Albin Michel

Une longue route pour m’unir au chant français, François Cheng, Albin Michel, octobre 2022, 252 pages, 17,90€

Le « chant français » ne devrait rien avoir de spécial, puisque toute langue vivante chante, toute langue parlée se fait entendre d’elle-même et vit ainsi au contact de ses sons modulés. Quand on chante – même mal – on fait forcément entendre au-dehors, dans l’extériorité matérielle, quelque chose de la vie de son propre corps (comme une sorte de gargouillis articulé), on crache ou expulse quelque chose de la première personne d’une chair en propre : en ce sens tout chant est, par nature, lyrique ; mais chanter, c’est aussi, à l’inverse, faire résonner en l’intime de soi, dans le « for intérieur », quelque chose de la sonorité d’abord extérieure, publique, d’abord spatio-physique, d’une langue, c’est faire retentir en soi, dans son praticien et locuteur même, faire vibrer dans l’étroit, fragile et fatigable canal bucco-laryngé de quelqu’un, le « logos » à la fois abstrait, collectif et anonyme d’un idiome donné. Toute épopée est donc faite de chants, parce que même la geste d’exploits impersonnels et le cours socio-public magnifié d’une nation doivent entrer dans des morceaux « chantables », dans des séances délimitées de possible exécution de la célébration par le célébrant. Il faut que la gorge (qui les fait seule vivre) puisse suivre, et, comme disait Michaux à l’auteur au début des années 80 :

The Passenger (Le passager) + Stella Maris, Cormac McCarthy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 07 Mars 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman

The Passenger / Stella Maris, Cormac Mc Carthy 2022. Knopf Editor. . Ecrivain(s): Cormac McCarthy

Il avait un peu neigé dans la nuit et ses cheveux gelés étaient d’or et de cristal et ses yeux glacés et durs comme pierre. Une de ses bottes jaunes avait glissé et se dressait dans la neige en dessous d’elle. Son manteau se dessinait saupoudré de neige là où elle l’avait abandonné et elle ne portait qu’une robe blanche et elle pendait parmi les arbres de l’hiver, poteaux gris et nus, la tête inclinée et les paumes légèrement ouvertes comme ces statues œcuméniques qui réclament par leur attitude qu’on prenne en compte leur histoire. Qu’on prenne en compte les fondations du monde qui puise son essence dans le chagrin de ses créatures. Le chasseur s’agenouilla et ficha son fusil bien droit dans la neige et retira ses gants et les laissa tomber au sol et joignit ses mains l’une sur l’autre. Il se dit qu’il devrait prier mais il n’avait pas de prière pour une chose pareille.

 

Le très vieux Cormac McCarthy fait là probablement sa dernière sortie en terre de littérature. C’est en soi un événement essentiel. L’autre événement, peut-être plus essentiel encore, est que cette sortie nous mène en des espaces peu familiers aux lecteurs du maître sudiste.

Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mardi, 07 Mars 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Carnets secrets du Boischaut, Catherine Dutigny, Maurice Nadeau éditions, mai 2022, 275 pages, 19 €


A n’en pas douter, Catherine Dutigny doit aimer les millefeuilles, ces gâteaux moelleux et craquants à la fois, tout en étages secrets beige-bruns, un peu difficiles à découper, mais quel régal au bout. Son livre n’a-t-il pas tout du gâteau : multiple et complexe agencement de « façons » de nous ouvrir son histoire. Façons, au sens noble de ce qu’en fait un architecte, et bien plus un savant maçon de la Creuse, si proche du Boischaut…

Selon le goût, on pourra se laisser aller à l’histoire folle des ensorcellements avec ou sans fumées, à la magie si présente (même encore aujourd’hui) dans ces campagnes ouvertes aux diableries – « la mare au diable » de George Sand est à deux pas ; brumes, forêts, haies secrètes protégeant un bocage à l’habitat émietté, tout concourt au surnaturel et les « sorciers » de l’Indre restent parmi les plus renommés.

Une brûlante usure, Journal 2016-2017, Gérard Bocholier (par Luc-André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Lundi, 06 Mars 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie

Une brûlante usure, Journal 2016-2017, Gérard Bocholier, éditions Le Silence qui roule, Coll. Les Cahiers du Silence, 2020, 152 pages, 15 € . Ecrivain(s): Gérard Bocholier

 

Auteur d’une œuvre conséquente, commencée au mitan des années 1970 et marquée de plusieurs prix et distinctions, Gérard Bocholier nous ouvre les portes de son atelier de création, là où il puise son inspiration et forge son écriture, au travers de deux années de son journal qu’il publie en 2020. Une occasion rare de pénétrer dans l’intimité du poète.

Tenir un journal pour lui, c’est d’abord, à la suite d’Antoine Emaz, écrire « un récit minimal, une autobiographie par défaut » mais c’est aussi « une autre forme de portrait ». Affaire de toute une vie (il n’a que 19 ans à peine quand il débute son premier journal), ce travail de diariste, par la force des choses, est un révélateur de soi pour les autres mais aussi pour soi-même. Ainsi, à un ami qui trouve ces pages tristes, Gérard Bocholier reconnaît « ce fonds très lourd et très opaque qui est le fondement de tout : une tristesse qui remonte à l’enfance, que rien n’a jamais pu chasser ».