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La Une CED

Un lecteur adoubé (Lecture de Don Quichotte de la Manche de Cervantès en La Pléiade) - 3

Ecrit par Marc Ossorguine , le Jeudi, 28 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Ecrits suivis

 

L’on a retenu surtout du chevalier à la triste figure – ainsi qu’on le nomme quand on cherche à donner dans la référence cultivée et partagée – sa folie et son projet de chevalier galant et errant au service de toutes les causes désespérément imaginaires, déjà anachronique en ces temps reculés.Non-spécialiste de l’œuvre, je découvre que Don Quichotte se construit lui-même comme un personnage de fiction, né de ses propres lectures. Nous voilà entraînés dans une fiction à double niveau : histoire d’un personnage qui s’invente un personnage. Une lecture démultipliée : celle d’un récit qui parle de lectures. Récit dans lequel le narrateur ne manque pas non plus de s’adresser au lecteur, plus ou moins directement. Le « procédé » (les guillemets s’imposent à moi car le mot pourrait renvoyer à un vulgaire « truc » pour se mettre le lecteur dans la poche, à une astuce stylistique et rhétorique plus ou moins indigne) est toujours séduisant pour le lecteur qui se sent associé à l’œuvre en train de s’écrire, a-t-il l’illusion, alors qu’il n’est qu’en train de la découvrir. Il nous donne l’agréable sensation d’être peut-être le seul destinataire de l’œuvre, il converse avec nous par-delà les pages, par-delà les siècles. Il est vrai que le lecteur que je suis, facilement un peu exclusif dans ses attachements livresques et littéraires (mais je ne dois pas être le seul) aime cette complicité qu’il a pu rencontrer chez Diderot ou Dickens, même s’il la sait illusoire.

La « Colognisation » du monde, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Mercredi, 27 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

Colognisation. Le mot n’existe pas mais la ville, si : Cologne. Capitale de la rupture. Depuis des semaines, l’imaginaire de l’Occident est agité par une angoisse qui réactive les anciennes mémoires : sexe, femme, harcèlement, invasions barbares, liberté et menaces sur la Civilisation. C’est ce qui définira au mieux le mot « colognisation ». Envahir un pays pour prendre ses femmes, ses libertés et le noyer par le nombre et la foule. C’est le pendant de « Colonisation » : envahir un pays pour s’approprier ses terres. Cela s’est donc passé dans la gare de la ville allemande du nom de ce syndrome, pendant les fêtes du début de la nouvelle année. Une foule des « Autres », alias maghrébins, syriens, « arabes », refugiés, exilés, envahisseurs, a pris la rue et s’est mise à s’attaquer aux femmes qui passaient par là. D’abord fait divers, le fait est devenu tragédie nationale allemande puis traumatisme occidental. « Colognisation » désigne désormais un fait mais aussi un jeu de fantasmes. On y arrive à peine à faire la différence entre ce qui s’est passé dans la gare et ce qui se passe dans les têtes et les médias. Les témoignages affluent, mais les analyses biaisent par un discours sur le binôme Civilisation/barbarie qui masque le discours sur la solidarité et la compassion. Au centre, le corps, la femme, espace de tous, lieu du piétinement ou de la vie.

Dédicaces (Lecture de Don Quichotte de la Manche de Cervantès en La Pléiade) - 2

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 23 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Ecrits suivis

Il est d’usage aujourd’hui qu’un auteur dédicace le livre qu’il publie, qu’il s’agisse d’un roman, d’un recueil de nouvelles, de poèmes ou d’articles, d’un ouvrage à vocation scientifique, etc. Chacun y va de sa petite dédicace à un parent, à des proches, à un maître… Et je parle bien ici de la dédicace qui est imprimée, pas celle griffonnée plus ou moins à la hâte sur un coin de table à l’occasion d’une présentation, d’une rencontre ou d’un salon du livre. On peut aussi trouver des remerciements, plutôt en fin d’ouvrage, à ceux qui ont rendu possible l’écriture et la publication de l’œuvre. Parfois il n’y a rien, ou presque rien, tant publier un livre semble devenu une chose somme toute ordinaire, banale. Combien de livres sont en effet publiés, exposés quelques semaines, pour finir par repartir au pilon ? Beaucoup. Trop. Notre temps a, il est vrai, érigé le gaspillage en art de vivre. Il n’en était pas de même au temps de Cervantès où publier un livre était réservé à bien peu, tout comme les lire sans doute. Etre édité relevait d’un privilège et nécessitait reconnaissance et protection, soutien. Imagine-t-on aujourd’hui une œuvre éditée devant rendre autant d’hommages et de remerciements, de dédicaces – pour nous, bien obséquieuses – que le fait Cervantès ? L’on rirait sans doute d’une telle flagornerie, espérant qu’au moins leur auteur le fait par dérision, par humour, craignant trop que la flagornerie ampoulée, hors d’âge et hors de propos, nous procure une honte étrange : celle du lecteur vis à vis du livre qu’il a entre les mains.

Carnets d’un fou – XXXIV Novembre 2015, par Michel Host

Ecrit par Michel Host , le Vendredi, 22 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

 

Est-elle écrite quelque part, en latin, en castillan ou en arabe, l’infernale sentence donnée pour espagnole et qui tant me plaît. Ne la trouvant pas, sauf dans une version française, je la réinvente : « Más vale visitar el infierno mientras estés en vida que después de muerto ». Mieux vaut que tu visites l’enfer de ton vivant qu’après ta mort.

Michel Host

 

# Visiter l’enfer ? C’est chaque jour que Dieu fait. Comment avez-vous pu ne pas vous en apercevoir ? C’est notre condition. Que nul ne doute, même pas moi-même, de ma joie de vivre.

Aharon Appelfeld, une mémoire en miettes

Ecrit par Mélanie Talcott , le Jeudi, 21 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques

« La littérature ne doit pas essayer de retranscrire l’histoire mais de révéler la vérité au sein de la vérité. C’est la tension continue entre le particulier et le général qui donne l’œuvre. Le particulier seul ne donne que la mémoire ou l’histoire. Le général seul ne donne que la philosophie ou la sociologie. Seule la confrontation entre les deux permet d’écrire. Mon particulier aura été la catastrophe, le ghetto, la forêt, la mort aux trousses. Le général pour moi est l’homme qui souffre et qui cherche l’amour. Pour moi les mots ne sont pas des pierres, mais des êtres vivants », Appelfeld, juin 2011 à Toulouse.

 

L’inimaginable – et non pas l’indicible – ne se partage pas. L’horreur ne se dit pas, l’horreur se réfugie dans une omerta codifiée. Récente, elle est inaudible pour celui qui n’en a entendu que l’écho ou n’en a vécu que les frimas. La plupart se détourne des fantômes hébétés qu’elle a laissés derrière elle. Leur regard brûlé à jamais leur est aveugle. Il faut reconstruire, il faut se reconstruire et reconstruire signifie souvent oublier, passer à autre chose, s’étourdir, vivre enfin et faire comme si rien ne s’était passé. Certains vont jusqu’à affirmer qu’elle n’a jamais existé. L’abject ne peut être humain. D’autres qui ont la lâcheté plus objective, pensent sans oser le dire que si elle s’est abattue – en grande partie – sur le peuple juif, marquant de ses violents stigmates son particularisme et son individualité, c’est qu’il y a certainement des raisons, des raisons qui leur échappent, mais sûrement de bonnes raisons.