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La Une CED

Le Murmure, Christian Bobin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 12 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Gallimard

Le Murmure, Christian Bobin, Gallimard, février 2024, 142 pages, 17 €

 

"Le vol magique des étourneaux, seconds violons du ciel. Quand ils rencontrent un obstacle - comme d'un roc qui dépasse d'une rivière -, ils scindent en deux cette masse de grâce sans se heurter, vite recomposent leur amitié après le franchissement de l'épreuve. Cette passe s'appelle "le murmure" (p.127)

 

Christian Bobin, été 22 donc, va mourir rapidement, et il le sait. Il a commencé quelques semaines auparavant un livre (sur ce que peut la musique – par l’évocation fervente du pianiste Grigory Sokolov –, et peut-être déjà sur ce qu’aura pu la sienne – sur ce qu’aura eu de contagieux la musique d’un regard qu’est sa poésie), et paraît convenir, avec la maladie révélée (tout de suite terrible) la sorte de contrat suivant : elle termine l’auteur, mais elle lui laisse terminer son livre. C’est à prendre et à laisser, se disent-ils : elle le prend, mais le laisse comprendre.

Les Aventures de Tom Sawyer & Les Aventures de Huckleberry Finn, Mark Twain (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 11 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, USA

Les Aventures de Tom Sawyer & Les Aventures de Huckleberry Finn, Mark Twain, éditions Tristram, Coll. Souple Deluxe, mars 2023, trad. anglais (Etats-Unis), Bernard Hoepffner, 336 pages, 14,90 €, octobre 2023, 442 pages, 16,90 €

 

Chut, taisons-nous, car Twain avertit en ouverture des Aventures de Huckleberry Finn : « Quiconque tente de trouver une motivation à ce récit sera poursuivi ; quiconque tente d’y trouver une morale sera banni ; quiconque tente d’y trouver une intrigue sera fusillé ». Puis non, reprenons, car Twain a raison : que ce soit dans celles de Huckleberry Finn ou celles de Tom Sawyer, nulle morale à découvrir dans ces Aventures, nulle intrigue sous-jacente puisque ces récits s’interrompent avant de sortir de l’enfance après avoir accumulé des épisodes aux tonalités diverses, et la seule motivation à trouver serait la suivante, explicitement mentionnée par Twain lui-même (nous voici saufs) dans Tom Sawyer : écrire l’enfance, ce en quoi ces deux romans sont de pures réussites – comme chacun le sait depuis sa propre enfance, depuis sa première confrontation à ces chefs-d’œuvre, peut-être bien sous la couverture cartonnée de la Bibliothèque Verte.

La Voie du large, Michèle Finck (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 07 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

La Voie du large, Michèle Finck, Les Cahiers d’Arfuyen, janvier 2024, 224 pages, 17,50 €

 

Bien sûr, il n’y a pas de voie du large : une « viastitude » serait un mot-valise sans sens ni humour. Une voie, c’est un chemin à suivre, une suite de moyens à mettre en œuvre, un couloir praticable vers un but ; et le large, c’est la vastitude, ce sont les hauts-fonds, c’est l’horizon où fuir, c’est l’immensité faite pour s’éloigner. Une voie du large serait donc impraticable : comment espérer passer par ce qui nous dépasse ? Ou, à l’inverse : en quel couloir déguiser l’immensité ? Ce serait vouloir rayonner étroit (par ondes centripètes !), ou héler sélectivement (urbi et orbi, mais en aparté !), et on ne le pourrait pas, même si (absurdement, ou dépressivement) on le voulait ! Une voie du large ferait bien plutôt voie d’eau au large, ou ne vaut que comme régressive métaphore (telle une Voie Lactée, qui n’est, de fait, ni voie ni allaitante !).

Une Saison en enfer, Arthur Rimbaud (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 05 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Une Saison en enfer, Arthur Rimbaud, Poésie/Gallimard, octobre 2023, préface Yannick Haenel, postface Gregoire Beurier, 96 pages, 5,90 €

À trois poèmes près, publiés en revues, l’œuvre laissée volontairement par Arthur Rimbaud se résume à un petit volume publié à Bruxelles en 1873, alors qu’il a dix-neuf ans (« Aller mes vingt ans, si les autres vont vingt ans… ») : Une Saison en enfer. De ce mince et unique volume, de cette première publication qu’on a pu croire perdue, Grégoire Beurier dresse une exégèse intelligente et pertinente en postface de la présente édition, soulignant entre autres la présence, rare chez l’imprimeur bruxellois, de pages blanches dans l’édition de 1873 – pages blanches auxquelles le postfacier désirerait qu’on alloue un sens, ce en quoi on le suit tout à fait. Ce sont comme autant de respirations, de pauses, de temps d’arrêt avant le bond poétique suivant dans cette lutte métaphysique et poétique à la fois que livre un tout jeune homme peut-être déjà conscient de son silence à venir (« Je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons, les climats perdus me tanneront », écho au « Si je veux une eau d’Europe, c’est la flache » du Bateau ivre). Ces pages blanches se retrouvent dans la présente édition, qui n’est pas un fac-similé de celle de 1873, mais en reprend la numérotation des pages ainsi que la mise en page approximative, permettant, un siècle et demi plus tard, de lire ou relire au plus près Une Saison en enfer.

Le temps, la tempête, Igor Zidić (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 04 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Le temps, la tempête, Igor Zidić, éd. L’Ollave, décembre 2023, trad. croate, Brankica Radić, 89 pages, 15 €

 

Voir au-delà

Je me réjouis toujours de trouver au courrier le travail remarquable que fait Jean de Breyne et les éditions de L’Ollave. Chaque fois, j’avance mieux dans le continent des lettres croates, et bien souvent cela me renseigne et m’éclaire. J’ai même songé que le lectorat français pourrait avoir devant lui une nouvelle vague poétique croate, tant les talents foisonnent. Terre fertile donc que ce biotope littéraire.

Cette anthologie d’Igor Zidić nous rend témoin d’une œuvre qui a cheminé. Allant de l’époque soviétique jusqu’au libéralisme, vers la guerre et enfin en une intégration à l’Europe politique qui garantit tout de même la paix entre les peuples européens. Et cela ouvre les yeux. Oui, au sens presque premier : cette poésie nous propose de voir au-delà. Ainsi, au-delà du temps, de la durée qui s’exerce de toute façon, un pas vers la lumière, route incessante vers un certain optimisme, lequel se désagrège au long des années pour aboutir à la maturité.