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La Une CED

Errance, Raymond Depardon (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Mardi, 02 Avril 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Errance, Raymond Depardon, éditions du Seuil, 2000, 181 pages

Écoute plus souvent

Les Choses que les Êtres

La Voix du Feu s’entend

Entends la Voix de l’Eau

Écoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis

Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire…

Souffles de Birago Diop (Dakar 1906-1989, Leurres et lueurs, Présence Africaine, 1960 et 2008) extrait :

Lire et relire à voix haute ce poème avant d’ouvrir Errance. Ou les haïkus du journal de voyage de Bashô (éditions Verdier, 2016). Errer, flâner, déambuler, dévier, dériver, dévoyer, divaguer, marauder, s’écarter, s’égarer, vagabonder, vaguer comme si l’errance appartenait aux verbes du premier groupe.

Lents ressacs, Myette Ronday (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 01 Avril 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Lents ressacs, Myette Ronday, Les éditions Sans Escale, février 2024, 90 pages, 15 €

 

Expression du temps

Dans ce recueil de Myette Ronday, dont la couverture, sans doute une des encres de Jean-Pierre Otte, mouvement peint qui signifie peut-être une plage pleine d’un varech vert de gris tout autant que des larmes sur un visage, un écoulement de glace sur une vitre, et nous sommes auprès de l’océan. C’est l’expression du temps qui est la plus saillante, temps des marées hautes ou basses, temps qui passe sur les visages, lutte peut-être contre ce dernier qui nous entraîne vers la pierre et la poussière. Ici, le vieillissement existe comme un travail de l’ici et du maintenant. Cette vision presque comptable des âges de la vie, déictique conçu non comme une limite, mais un point de départ du poème, ne le restreint pas, mais au contraire le poursuit. Ce surgissement augmente les possibles et autorise une fructification, sorte de vigne en travail. Le poème élargit le regard, l’augmente d’événements petits ou grands, telle une montée des eaux océaniques qui cache différentes couleurs, varech, sable, miroitement des ciels.

Brumes, Jésus-La-Caille, Rien qu’une femme, Francis Carco (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 27 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Les « exploits », relatés par la presse à sensation, des marlous et autres pierreuses aux improbables surnoms faisaient rêver la toute jeune Mine imaginée par Colette dans L’Ingénue libertine. Ils ont fait, plus tard, la gloire d’un certain cinéma en noir et blanc. Ils peuplent aussi ces trois romans, publiés entre 1914 et 1935, par Francis Carco.

Les protagonistes ? Des Titine, Lulu-la-Parisienne, le Balafré et autres Fernande, comme dans l’hilarante scène sur la péniche des Tontons flingueurs. Mais ici, point de comédie. Des maquereaux, oui, hermétiques à la pitié et parfois beaux comme Gabin dans Pépé le Moko. Comme dans ce film, d’ailleurs, le drame l’emporte.

En effet, défaillances familiales, alcool, pauvreté, délinquance, prostitution, crime et taule forment un engrenage social broyant aveuglément les plus défavorisés. Les très jeunes protagonistes, aussi usés que leurs aînés suscitent, lorsque leur indigence affective par hasard se dévoile, l’étonnement de ceux qui les fréquentent sans vouloir ou pouvoir les sauver : « Quel être au monde n’a découvert, en cédant à son double, l’ivresse de se mêler à l’univers, de s’y confondre ? » (Brumes). Aucun d’eux, oubliés par la chance.

Devenir nuit, Marie Joqueviel (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 26 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie, Gallimard

Devenir nuit, Marie Joqueviel, Gallimard, Coll. Blanche, février 2024, 96 pages, 17 €

 

Toute poésie est comme une version de la fable du moi et du monde. Ici, « le monde ne demande pas à ce qu’on l’habite/ le monde ne demande rien/ sauf peut-être qu’on le regarde » (p.54), et le moi, qui veut savoir ce qui l’a permis, y est prêt, et attend le tarif. Le voici : pour regarder le monde, il lui faudra « devenir nuit ». C’est une mise exorbitante, mais donnant – peut-être – l’occasion unique, dans la foulée, de « devenir le monde/ une fois au moins/ avant de mourir » (p.58). Voilà un tel livre.

Avant d’aller vers ce qu’on ignore, la poète (dans la partie « Peuple du désastre », significativement à la fin) fait utilement le point sur ce qu’on sait. Nous savons, écrit-elle un peu sombrement, au moins trois choses (« nous savons » veut dire : nous nous mentirions illusoirement sur ces points). D’abord nous savons que « nous rêvons seuls » (nous n’avons de sommeil que celui donné par notre cerveau, et l’insomnie elle-même est sommeil manqué par notre cerveau, et lui seul).

Quitter la terre, Daniel Morvan (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 25 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Quitter la terre, Daniel Morvan, éditions Le Temps qu’il fait, janvier 2024, 140 pages, 18 €

 

Ambiguïté

Pourquoi ce titre : ambiguïté ? Parce que le poète est polarisé entre la campagne bretonne de son enfance et une formation universitaire à Paris, laquelle s’est avérée plus difficile, je suppose, que pour les Normaliens de cette époque ; ces élèves des Écoles Normales Supérieures eux restant non clivés par cette séparation (qui sait ?), ni suppliciés par cette double dague au-dessus de leur tête. Ce recueil, en tout cas, balance de la nostalgie à la révolte, de l’intelligence naturelle au savoir savant. Daniel Morvan, je crois, est aux prises avec une culpabilité inhérente à ce mouvement de balancier. Tout l’ouvrage tourne autour de cette question, celle du déclassement social et culturel, donc vers le haut depuis le bas, mais surtout sans surplomb, sans survol, seulement axé sur un approfondissement de ces deux natures. Pour tout dire, je crois que l’on peut parler de nœud gordien. Seul le lecteur probablement est à même de trancher cette corde.