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Essais

Apocalypse managériale, Promenade à Manhattan de 1941 à 1946 puis au-delà, François-Xavier de Vaujany (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 10 Octobre 2022. , dans Essais, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Les Belles Lettres

Apocalypse managériale, Promenade à Manhattan de 1941 à 1946 puis au-delà, François-Xavier de Vaujany, février 2022, 596 pages, 25 € Edition: Les Belles Lettres

 

Karl Jaspers parlait d’âge axial (Achsenzeit) pour désigner une période de l’histoire humaine qui vit un bouleversement sans précédent et sans retour possible de la pensée. « Des idées similaires, voire des courants religieux entiers, apparaissent en des points éloignés du globe, sans que l’on puisse distinguer une quelconque filiation intellectuelle ou politique directe. Par exemple, le Bouddha en Inde, Confucius en Chine, Zoroastre en Perse, Jérémie en Israël et Pythagore en Grèce, furent presque contemporains. Tout se passe comme si leurs enseignements avaient pris place le long d’un axe du monde » (Martin Mosebach). Bien entendu, les historiens ont tenté d’élargir la notion, se demandant si l’humanité n’aurait pas connu d’autres « ères axiales », comme par exemple le XVIIIe siècle, mais les idées débattues au Siècle des Lumières étaient soit directement chrétiennes (« all the men of the Enlightenment were cuckoos in the Christian nest », écrivait Peter Gay), soit inspirées d’hérésies chrétiennes. Ils ont également suggéré que 1968 pourrait avoir constitué une « année axiale », ce qui n’est pas impossible.

Petite nécropole littéraire, Gérard Oberlé (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 05 Octobre 2022. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset

Petite nécropole littéraire, Gérard Oberlé, avril 2022, 414 pages, 24 € Edition: Grasset

 

On aurait tort de prendre les collectionneurs de livres anciens et ceux qui les approvisionnent pour d’aimables maniaques : les catalogues de ceux-ci et les rayonnages de ceux-là forment une mémoire de la littérature, car pour un phare, au sens baudelairien du mot, des milliers d’humbles auteurs croupissent dans l’oubli. Il est pourtant facile de les imaginer de leur vivant et de se représenter leur joie, lorsqu’ils reçurent leurs exemplaires d’auteurs, modulant en leur for intérieur ou dans leur correspondance quelque chose comme le non omnis moriar d’Horace, avant de les distribuer à leurs amis, collègues ou supérieurs. Et pourtant… les voilà presque aussi oubliés que s’ils n’avaient jamais existé. On dit que le passage de trois générations suffit à éteindre sans retour le souvenir d’un être humain. Le leur ne tient plus qu’à un fil très mince, à cette franc-maçonnerie des bibliopoles authentiques et de leurs chalands, qui se reconnaît à ses signes secrets, à ses connivences internes, comme l’évocation de Mario Praz, érudit fabuleux et grand collectionneur, à qui la superstition italienne attribuait des dons incontrôlables de nécromant.

Le Paradigme de l’art contemporain, Nathalie Heinich (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 04 Octobre 2022. , dans Essais, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Folio (Gallimard)

Le Paradigme de l’art contemporain, Nathalie Heinich, Folio, avril 2022, 480 pages, 9,40 €

 

L’art contemporain pose problème, c’est le moins qu’on puisse dire, et, des Considérations sur l’état des Beaux-Arts (1983 déjà), à la « querelle de l’art contemporain » (titre d’un essai de Marc Jimenez paru en 2005), ce problème a pu se transformer en polémique. La question du goût et du sens à donner à l’art contemporain ne trouve pas de réponse claire, et à la fin d’un documentaire diffusé sur TV5 au début des années 2010, on pouvait entendre un conservateur dire d’un air malicieux que, en gros, il ignorait si l’art contemporain avait un sens, mais que s’il en avait un, ça valait la peine de le découvrir – façon malicieuse de botter en touche et empêcher tout débat.

Nathalie Heinich quant à elle aborde la question d’un point de vue sociologique, puisque telle est sa formation, depuis 1998, et son dernier ouvrage en date relatif à l’art contemporain, Le Paradigme de l’art contemporain, Structures d’une révolution artistique (2014) est aujourd’hui réédité avec un avant-propos inédit.

George Steiner, l’hôte importun, Entretien posthume et autres conversations, Nuccio Ordine (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 28 Septembre 2022. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Les Belles Lettres

George Steiner, l’hôte importun, Entretien posthume et autres conversations, Nuccio Ordine, Les Belles-Lettres, mai 2022, trad. italien, Luc Hersant, 116 pages, 15 € Edition: Les Belles Lettres

 

George Steiner est mort le 3 février 2020 à son domicile de Cambridge et le monde est désormais un endroit moins intéressant. Puisque les mathématiciens et les astrophysiciens postulent l’existence d’une infinité d’univers infinis dans une infinité de dimensions, il n’est pas exclu que dans l’un d’eux ou l’une d’elles, Steiner poursuive le dialogue entamé en sa prime jeunesse avec les grands créateurs du passé (il affirmait pour sa part ne pas croire à une forme de vie après la mort). Mais, dans notre monde et notre dimension, c’est hélas fini, même s’il n’est pas impossible que les années à venir apportent la publication de cours, de textes oubliés, voire d’authentiques inédits, comme dans le volume du Pr. Nuccio Ordine. La première partie est constituée d’une série de chapitres brefs, où le savant italien parcourt les grands thèmes de l’œuvre de Steiner. La seconde partie s’ouvre sur un « Entretien posthume ». L’exercice consistant à faire parler les morts se pratique couramment depuis l’Antiquité, mais il s’agit en l’occurrence de la transcription d’un entretien que Steiner a réellement donné à Nuccio Ordine en 2014 et dont le texte ne devait être divulgué qu’après son décès.

Au regard des visages, Essai sur la littérature française du XXe siècle, Marie-Annick Gervais-Zaninger (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun , le Jeudi, 15 Septembre 2022. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Hermann

Au regard des visages, Essai sur la littérature française du XXe siècle, Marie-Annick Gervais-Zaninger, 400 pages, 39 € Edition: Hermann

 

 

On sait, depuis Emmanuel Levinas, que le visage n’est pas tant une forme sensible que la résistance opposée par autrui à sa propre manifestation : rencontrer un homme, c’est être tenu en éveil par une énigme. Cette énigme de la rencontre intersubjective, la littérature n’a cessé de la traquer au XXe siècle, en un vaste panorama que Marie-Annick Gervais-Zaninger tente, avec beaucoup d’érudition, dans une langue parfois pâteuse mais toujours précise, de restituer. Son ambition, quelque peu titanesque, est d’entrecroiser discours savants et œuvres artistiques afin de mettre au jour, de Narcisse à Lacan, de Levinas à Yves Bonnefoy, ce que le visage a pu produire de trames conceptuelles.