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En Vitrine

Le Mauvais sort (La Malora, 1954), Beppe Fenoglio (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 28 Août 2025. , dans En Vitrine, Critiques, La Une Livres, Roman, Italie, Cambourakis

Le Mauvais sort (La Malora, 1954), Beppe Fenoglio, Ed. Cambourakis, 2013, trad. italien, Monique Baccelli, 111 pages, 9 € Edition: Cambourakis

 

La pauvreté, dans notre monde consumériste, s’entend d’abord comme le dénuement de biens matériels et, par effet de conséquence, de bien-être moral et culturel. Dans ce court et terrible roman, Fenoglio met avec minutie à nu une autre vérité sur l’extrême pauvreté : elle met les hommes en face d’un réel absolu, celui de la condition humaine non atténuée par l’illusion des choses. La pauvreté est la brutalité du réel : point de biais, point de medium, la collision de l’homme avec le monde est frontale. Chaque déclinaison du dénuement sonne comme un glas, le thrène d’une vie. Ainsi, ce roman de la pauvreté prend, page après page, la dimension d’une métaphore universelle, celle du manque, de la perte, de la faille qui fend les hommes et les rend aussi fragiles que pathétiques.

Ça allait mal : la façon de mesurer le manger et d’économiser le bois le montrait bien ; aussi chaque fois que je voyais ma mère sortir ses sous et les compter dans sa main avant de les dépenser, je tremblais, je tremblais vraiment comme si je m’attendais à voir la voûte s’écrouler après qu’on lui eut ôté une pierre.

La chatte, Colette (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 25 Juin 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Le Livre de Poche, Cette semaine

La chatte, Colette, Le livre de poche . Ecrivain(s): Colette Edition: Le Livre de Poche

Chez Colette (3)

 

« Mon petit ours à grosses joues…

Fine-fine-fine chatte…

Mon pigeon bleu…

Démon couleur de perle…»

 

« Me-rrouin ». « R…rrouin… ».

Colette possède l’art du mot juste pour toucher nos sens. Elle nous fait entendre Saha, surgie de la végétation sous la main d’Alain, « comme si elle naissait à son appel. » Car Saha a boudé toute la soirée.

L’animal que donc je suis, Jacques Derrida (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Lundi, 23 Juin 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Folio (Gallimard)

L’animal que donc je suis, Jacques Derrida. Folio essais, Mars 2025, 240 pages, 8,50 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Au regard du vivant et de la vie animale


Ouvrir le livre de Jacques Derrida « L’animal que donc je suis », ou plutôt l’ouvrir à nouveau puisque ce texte a paru il y a près de vingt ans déjà, c’est retrouver une langue pleine d’élégance ; une expression brillante, riche de raffinement et de finesse bien éloignée de la trivialité de l’époque qui est la nôtre. On suit bien volontiers Jacques Derrida dans les sinuosités de sa pensée, un philosophe qui jongle avec les concepts, qui lance des pistes, des « hypothèses », ouvre des « parenthèses », des « trajets » et qui nous entraine dans un itinéraire qu’on pourrait trouver, comme il le dit lui-même, « tortueux, labyrinthique voire aberrant ».

Sherlock Holmes, Arthur Conan Doyle, Éditions de La Pléiade (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 12 Juin 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Nouvelles, La Pléiade Gallimard, Cette semaine

Sherlock Holmes, Arthur Conan Doyle, Éditions de La Pléiade NRF, 2 tomes, 124 € l’intégrale Edition: La Pléiade Gallimard

 

D’aucuns pensent que Sherlock Holmes est un personnage de fiction. Quelle sottise. Par un mouvement de déplacement et de condensation, il est plus réel que tous les personnages que vous croiserez dans la rue. Il a existé et, probablement ici et là, il existe encore. C’est le philosophe épris de vérité, le théologien fou d’absolu, le scientifique qui ne jure que par la preuve. Il est Platon regardant hors de sa caverne, Spinoza dans son rejet du mensonge, Descartes dans sa religion de la Raison, Freud dans sa quête indiciaire, Einstein dans sa mise en rapport du grand tout.

Sherlock Holmes est l’homme occidental dans sa version la plus éclatante.

Il était donc grand temps que la plus belle maison d’édition littéraire d’Occident accueille en ses pages l’homme du 221 b. Baker Street, en compagnie de ses chroniqueurs officiels : Les docteurs John Watson et Arthur Conan Doyle. Et cette édition est une fête d’intelligence, de jeux d’esprit, de magie littéraire.

À Contrevie (Contravida, 1994), Augusto Roa Bastos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 14 Mai 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Seuil, Cette semaine

À Contrevie (Contravida, 1994), Augusto Roa Bastos, Le Seuil, trad. espagnol (Paraguay), François Maspéro, 254 pages . Ecrivain(s): Augusto Roa Bastos Edition: Seuil

 

Le support de ce roman est un train de mort. Lent, bringuebalant, inquiétant, il porte en ses flancs le narrateur – l’auteur assurément – unique survivant d’un massacre lors d’une évasion de prisonniers politiques d’une prison. Survivant, dans ce roman, n’a de sens qu’ontologique. La survie est la condition humaine et, par définition, elle n’est que sursis. En compagnie de personnages étranges et inquiétants, le narrateur va. Où ? Il ne sait pas, au moins au départ. Loin, dans tous les cas, loin des lieux où on le traque.

Entre les scènes de son compartiment et ses rêves pendant ses endormissements, il est assailli par un flot de souvenirs qui déferle comme un torrent, portant avec lui une enfance erratique et des images obsessionnelles des parents, des amis d’alors, des cinglés qui peuplaient Manorá – petit village perdu au milieu de nulle part. La noirceur et la brutalité traversent ces évocations du passé adossées à l’histoire du pays soumis à toutes les exactions.