Aurélia, ou le Rêve et la Vie, Gérard de Nerval, édition nouvelle, établie et présentée par Michel Brix (par Gilles Banderier)
Gérard de Nerval, Aurélia, ou le Rêve et la Vie, édition nouvelle, établie et présentée par Michel Brix, Paris, Honoré-Champion, juillet 2025, 240 pages, 42 €.
Edition: Editions Honoré Champion
Est-il possible que, depuis sa publication au milieu du XIXe siècle, nous n’ayons jamais lu Aurélia, qui passe à juste titre pour un des chefs-d’œuvre de Nerval ? La première partie du roman fut publiée dans la Revue de Paris le 1er janvier 1855 et la suite annoncée pour le 15. En réalité, les lecteurs durent attendre jusqu’au 15 février. Dans l’intervalle, le 26 janvier, Nerval fut retrouvé pendu « dans la rue la plus noire qu’il pût trouver » (Baudelaire), avec quatre feuillets manuscrits d’Aurélia au fond des poches.
Or Nerval fut ce poète qui composa de son vivant sa propre épitaphe : « Un jour il entendit qu’à sa porte on sonnait. // C’était la Mort ! Alors il la pria d’attendre // Qu’il eût posé le point à son dernier sonnet ». Ce perfectionnisme déclaré a été mis en avant pour contredire l’hypothèse du suicide, qui laissa Aurélia dans un état d’inachèvement définitif. Ou Nerval mît-il fin à ses jours parce qu’il était incapable de donner à cette œuvre la forme qu’il souhaitait ?
Quoi qu’il en eût été, les éditeurs de la Revue de Paris (au premier rang desquels Théophile Gautier, qui en matière littéraire n’était ni incompétent ni indiligent) se trouvèrent face à un dilemme : soit garder la seconde partie d’Aurélia inédite dans leurs dossiers, soit tenir leur promesse et fournir à leurs lecteurs un texte lisible. Il ne faut donc pas être trop sévère envers les directeurs du périodique, confrontés à la gageure de confectionner rapidement, sans pouvoir consacrer à la lecture des manuscrits et à l’établissement du texte nervalien le nombre de semaines, voire de mois qui eût convenu, un ensemble cohérent, lisible en continu, à partir de membra disjecta épars qui étaient autant de reliques. En tout cas, le simple fait qu’ils aient pris sur eux le report de la publication (« Par suite de circonstances dont la responsabilité incombe à la direction seule, la fin du beau travail de M. Gérard de Nerval […] est ajournée au prochain volume ») témoigne en soi d’un sens élevé de leurs devoirs.
Aurélia constitue donc un de ces cas-limite éditoriaux, moins rares qu’on ne le pense : à quoi correspond la dernière édition des Essais (au texte imprimé de 1595 ou à l’exemplaire dit « de Bordeaux » ?) ou des Tragiques (le manuscrit de Genève ou l’édition dite sans lieu ni date ?) ? On a lu d’Aubigné, et jusque dans la « Bibliothèque de la Pléiade », à travers des éditons « bâtardes » qui résultaient de l’amalgame d’au moins deux « strates génétiques distinctes ». La plupart des éditions d’Aurélia reproduisant le texte de la Revue de Paris, l’ont présenté comme, sinon achevé, du moins « stable ».
Nervalien de haut parage, M. Michel Brix publie avec un soin minutieux la transcription de tous les manuscrits connus d’Aurélia (ce qui ne veut pas dire tous les manuscrits existants : il semblerait qu’un brouillon jamais utilisé se trouve aux États-Unis – p. 83). Son travail est d’une précision remarquable, avec des notes exclusivement philologiques. Cependant, M. Michel Brix s’est à un moment trouvé face aux mêmes problèmes que ses prédécesseurs de la Revue de Paris : procurer un texte lisible et qui ne soit pas hérissé de signes diacritiques. À la suite de la transcription paléographique des manuscrits, il en fournit deux, l’un de 1854, correspondant à l’imprimé, l’autre de 1855, reconstitué à partir des manuscrits. On peut sans prendre de grands risques qualifier son travail de « définitif », qui nous donne à lire Aurélia dans son inachèvement poignant et tragique.
Gilles Banderier
Spécialiste de Nerval, Michel Brix est membre de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique.
- Vu : 304

