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En Vitrine

L’histoire de l’amour, Nicole Krauss (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 09 Novembre 2021. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

L’histoire de l’amour (The History of Love, 2006), trad. américain, Bernard Hœpffner, 459 pages, 9,20 € . Ecrivain(s): Nicole Krauss Edition: Folio (Gallimard)

Dès les premières pages, le phrasé du narrateur nous emmène dans les rues du shtetl, loin, aux frontières de la Pologne et de la Russie, dans un pays qui n’existe plus : le village des Juifs miséreux que les pogroms puis les nazis ont exterminés ou fait fuir là où ils pouvaient vivre – ou survivre – encore. Le phrasé du conteur avec son humour désabusé, son souci du détail, sa langue visuelle, cette langue prodigue qui colorait un peu la grisaille et la misère des jours et des nuits d’angoisse, de pauvreté et de désespoir, reproduisent comme un conte du Shtetl ou une narration d’un personnage de Bernard Malamud.

Quand je suis arrivé en Amérique, je ne connaissais presque personne, si ce n’est un cousin éloigné qui était serrurier, et j’ai donc travaillé pour lui. S’il avait été cordonnier, je serais devenu cordonnier ; s’il avait pelleté de la merde, moi aussi j’aurais pelleté. Mais. Il était serrurier. Il m’a appris le métier, et c’est ce que je suis devenu. Nous avions une petite affaire, tous les deux, et puis une année, il a attrapé la tuberculose, on a dû lui enlever le foie, sa température est montée jusqu’à 41 et il est mort, alors j’ai repris l’affaire. J’envoyais à sa femme la moitié des bénéfices, même après son mariage avec un médecin et son déménagement à Bay Side. J’ai fait ce métier pendant plus de cinquante ans. Ce n’était pas ce que je m’étais imaginé faire. Et pourtant. En vérité j’ai fini par l’aimer, ce métier. J’aidais à entrer ceux qui étaient enfermés dehors, j’aidais d’autres à laisser dehors ceux qui ne devaient pas entrer, pour qu’ils puissent dormir tranquilles.

La Divine Comédie, Dante, en La Pléiade (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 28 Octobre 2021. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Italie, La Pléiade Gallimard

La Divine Comédie, Dante, Gallimard, La Pléiade, octobre 2021, Edition bilingue, trad. italien, Jacqueline Risset, 1488 pages, 62 € . Ecrivain(s): Dante Alighieri Edition: La Pléiade Gallimard

« Dante nous veut pélerins, avec lui, dans l’itinéraire du salut, et nous place d’emblée au centre de son histoire, avec un “notre” qui nous concerne tous :

Au milieu du chemin de notre vie

je me retrouvai par une forêt obscure,

car la voie droite était perdue » (Préface Carlo Ossola)

« Ô lumière et bonheur de tous les poètes,

que m’aident la longue étude et le grand amour

qui m’ont fait chercher ton ouvrage.

Tu es mon maître et mon auteur,

tu es le seul où j’ai puisé

le beau style qui m’a fait honneur » (L’Enfer, Chant I)

Aux aubes de Satan - Job, le masque du malheur (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Vendredi, 04 Juin 2021. , dans En Vitrine, Les Chroniques, La Une CED

 

Et Job, comme l’un des premiers échos du dit sur l’homme mordu par la douleur. Avec lui, le Mal ne lésine guère : la terreur qui l’engloutit est dévastatrice, ne laissant aucune place au drame et à la lutte contre l’adversité. Job c’est le regard désespéré de l’homme errant entre son vide intérieur et le vide du ciel, c’est la longue plainte face au gouffre du Destin, écho de toutes les lamentations humaines. Écoutons le chant sourd de sa misère.

 

Périsse le jour où je fus enfanté ! (Job. III. 3)

 

Pourquoi ne suis-je pas mort au sortir du sein

Et n’ai-je pas expiré quand je sortais du ventre ?

Pourquoi deux genoux m’ont-ils accueilli

Et pourquoi deux mamelles à sucer ? (Job. III. 11-12)

À cause de l’éternité, Georges-Olivier Châteaureynaud (par Michel Host)

Ecrit par Michel Host , le Jeudi, 03 Juin 2021. , dans En Vitrine, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

À cause de l’éternité, Georges-Olivier Châteaureynaud, Grasset, janvier 2021, 701 pages, 29 €

Entre-Mondes & Entre-Temps

« C’était une impression singulière, que de se sentir ainsi arrêté sur le bas-côté du monde ».

« Ailleurs, le monde n’existe pas vraiment, non ? C’est une sorte de racontar ! »

Georges-Olivier Châteaureynaud

Écorcheville demeure établie sur une rive du Styx, cité immémoriale aux allures peut-être normandes sur laquelle, « depuis toujours », règnent trois grandes familles rivales : les Bussetin, les Propinquor, les Esteral. On se connaît : on se fréquente de longtemps, on a mêlé les sangs, partagé les méfaits et les crimes sans lesquels on ne parvient à rien. Le lecteur français les connaît aussi : il les a rencontrées lors de sa lecture du mythique récit, ou roman – comment savoir ? – intitulé L’Autre rive, consacré à la première époque et à la première génération des habitants de la ville, auxquelles un chroniqueur français, appelé G.O.C. par ses amis et familiers, prêta sa plume pour nous en donner la très fidèle description, un historique en somme, que les mémorialistes du futur ne pourront négliger s’ils veulent commenter le passé. L’entreprise ne passa pas inaperçue, loin de là. La presse, les milieux littéraires en répercutèrent à juste titre les échos élogieux.

La coupe de bois, Carlo Cassola (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 18 Octobre 2018. , dans En Vitrine, Critiques, La Une Livres, Roman, Italie, Editions Sillage

La coupe de bois (Il Taglio del Bosco, 1949), traduit de l’italien par Philippe Jaccottet, 119 p. 9,50 € . Ecrivain(s): Carlo Cassola Edition: Editions Sillage

 

Comment ce miracle ? Comment ce petit livre, pas un roman, à peine une novella, peut-il condenser en une centaine de pages toute la magie de la littérature ? L’ampleur du style, son immense simplicité, des personnages taillés au burin, une histoire élémentaire, et la détresse des hommes, tout est là pour faire de ce petit roman un monument de littérature. Il semble que les écrivains italiens aient eu au XXème siècle un tropisme pour ce genre de la novella ancrée dans les profondeurs du pays, ses villages et ses montagnes. On pense à Leonardo Sciascia (La tante d’Amérique), surtout à Silvio d’Arzo (La maison des autres).

Guglielmo est bûcheron. Il vient d’acheter une coupe dans les bois perdus dans les Abbruzes. Il s’y rend après avoir embauché quatre hommes, plus ou moins ses amis, pour une période de six mois – automne et hiver – à couper des pins pour en faire du charbon qu’il vendra. Il est content car l’affaire est bonne. Et ce sont ces six mois, où il ne se passe rien d’autre que la coupe et les soirées dans la cabane construite dans le bois, que ce livre raconte. Rien d’autre. Mais qui a besoin d’autre chose ? L’écriture de Cassola fait le reste, c’est-à-dire l’essentiel.