Spinoza, Œuvres complètes. La Pléiade Gallimard (par Léon-Marc Levy)
Spinoza, Œuvres complètes. Dirigé par Bernard Pautrat. 1952 pages. La Pléiade. 76 € jusqu’au 31/12/2022 puis 82 €.
Edition: La Pléiade Gallimard
L’œuvre de Spinoza était déjà disponible en Pléiade depuis 1955. Mais la traduction d’alors sentait bien trop l’académisme rigide des universitaires du temps, les canons d’une lecture rigoriste de l’original et surtout l’usage d’une langue très marquée par le jargon philosophique. Avec cette édition, nous pouvons dire que Spinoza entre, si ce n’est dans La Pléiade, du moins dans le XXIème siècle, et de plain-pied ! La fluidité, la précision, souvent même la poésie de l’écrit spinozien sont ici servis avec un talent réjouissant. Oubliés les erreurs de traduction, les maladresses et contre-sens et surtout oublié l’appareil critique de 1955 qui accumulait les commentaires approximatifs et les erreurs d’interprétation. Spinoza, entier, vibrant de toute la puissance de sa pensée, de toute la séduction de son style. Bernard Pautrat et son équipe ont fait de la belle et bonne ouvrage, les spinoziens et les néophytes peuvent se réjouir. Ils trouveront ici un texte traduit avec grande rigueur et sobriété et dans une langue française clairement abordable pour tout lecteur ayant un peu de culture philosophique, loin de toute érudition inutile et pesante. Bernard Pautrat, le maître d’œuvre de cette traduction, dit :
« L’ambition de cette traduction est simple : sur la base d’un texte le plus sûr possible, rendre l’Éthique le plus lisible et le plus intelligible possible pour un lecteur cultivé d’aujourd’hui. »
Est appelé sacré et divin ce qui est destiné à la pratique de la piété et de la religion, et cela sera sacré aussi longtemps que les hommes l’utiliseront religieusement. Que si ces derniers cessent d’être pieux, cela aussi du même coup cessera d’être sacré ; et s’ils le dédient à l’accomplissement d’impiétés, alors cela même qui était sacré auparavant sera rendu immonde et profane. (Traité Théologico-politique)
Il faut aussi noter l’ajout dans cette édition de compléments importants, dans la correspondance du philosophe et surtout par la publication – enfin – du Précis de grammaire de la langue hébraïque, écrit tardif mais important qui signe la place éminente que Spinoza accordait à la Thora et aux écrits savants de ses exégètes, dont particulièrement le Talmud.
Spinoza met la morale au cœur de son œuvre et cela constitue le fil rouge de sa pensée, depuis les écrits de jeunesse jusqu’aux ultimes travaux. En ce sens on pourrait avancer que l’œuvre de Spinoza – dans son immense diversité – tourne sans cesse autour du savoir vivre (sans tiret). Dieu, la Nature, la Liberté, les Passions, le Pouvoir et l’autorité, sont chez Spinoza les terrains d’une recherche éperdue d’un bonheur possible pour l’homme. Et cette quête trouve son sommet dans l’Ethique, le texte le plus puissant jamais produit en Occident sur l’Homme, en proie à ses doutes et certitudes, au vrai et au faux, au sacré et au profane, au Bien et au Mal. La conception spinozienne du politique en est imprégnée et conduit naturellement « Bento » à ce choix capital :
Et par là je pense avoir assez clairement montré les fondements de l’empire démocratique, dont j’ai préféré traiter entre tous parce qu’il semblait le plus naturel et le plus près de la liberté que la nature accorde à chacun. Car en lui, personne ne tranfère son droit naturel à un autre de manière à n’avoir plus lieu de délibérer par la suite, mais chacun le transfère à la partie majoritaire de la société tout entière dont il constitue lui-même une partie. D’autre part, j’ai voulu traiter positivement de ce seul empire parce qu’il contribue le plus à ma visée, puisque j’avais décidé de traiter de l’utilité de la liberté dans la république.
Il nous faut rappeler ici que le passage qui précède, extrait du traité théologico-politique, a été écrit en 1670, tant cette pensée semble incroyablement actuelle.
Le savoir vivre (sans tiret) de Spinoza n’a de sens dans son œuvre qu’en référence à la raison. « L’honnête homme » dirait Montaigne se doit d’être un être rationnel, sans concessions à la superstition, la fausseté des croyances, les dogmes dominants, la peur de l’autorité politique ou religieuse. On sait ce que cette inflexibilité de l’intellect coûtera à Spinoza au sein de sa communauté et de sa propre famille. Et c’est ce choix de la raison qui conduira Spinoza à écrire – sur l’œuvre d’un autre philosophe – un ouvrage-hommage à la pensée de Descartes, Principes de la philosophie de Descartes.
Penseur de la Liberté et de la Raison, Spinoza s’offre à toutes les fureurs de son temps : la Synagogue certes, mais aussi les Calvinistes hollandais et le pouvoir, montrés par Bento comme des manipulateurs de croyances et superstitions absurdes. Tout au long de sa vie, il fut frappé d’interdictions et d’exclusions, jusqu’à finir dans une solitude totale.
La Pléiade nous propose un ouvrage magnifique, dédié au penseur le plus libre, le plus courageux, le plus rebelle au consensus irrationnel de son temps. Bernard Pautrat et son équipe ont bien servi la morale et la raison.
Il est temps de venir ou revenir à Spinoza, les errances de notre époque nous l’imposent.
Léon-Marc Levy
- Vu : 2770