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Les Chroniques

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr (par Jean-Charles Vegliante)

Ecrit par Jean-Charles Vegliante , le Mardi, 22 Mars 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Philippe Rey

La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, éditions Philippe Rey/Jimsaan, août 2021, Prix Goncourt 2021, 462 pages, 22 €

Souvent, beaucoup de jeunes de beaucoup de mondes différents recherchent l’œuvre originale, si possible ignorée de leurs parents, où ils trouveront les réponses susceptibles de les orienter dans la vie, d’orienter leur vie. Cette œuvre, diverse en fonction de leurs intérêts éthiques ou esthétiques propres, c’est potentiellement celle qu’ils rêveraient de réaliser eux-mêmes. En attendant, il est clair qu’elle n’existe pas – ou pas encore… – quête d’un Graal en somme. Telle est l’idée germinale du (gros) roman de Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021. Naguère, d’aucuns fantasmaient sur un ultime Rimbaud resté inédit, entre Harrar et Sud-Yémen, peut-être conservé sous les sables. Plus près de nous, le roman inachevé de René Daumal, adoubé par François Mitterrand en personne, a brillamment tenu ce rôle. Fort à propos, Mbougar Sarr met en récit un livre mystérieux d’un auteur africain ayant cultivé le mystère, alias (semble-t-il) Y. Ouologuem, auquel est dédié son roman – présentement, le narrateur-auteur Diégane Faye. Son idéal, parfaitement réussi, étant de « simplement écrire un bon livre […], un livre comme Le Labyrinthe de l’inhumain », de l’auteur africain mystérieux en question, Elimane Madag (p.72).

Obstaculaire, Cédric Demangeot (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 21 Mars 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie, L'Atelier Contemporain

Obstaculaire, Cédric Demangeot, L’Atelier Contemporain, mars 2022, ill. Ena Lindenbaur, 128 pages, 20 €

 

Brutalisme

Je me suis permis de qualifier de brutalisme la poésie de Cédric Demangeot même si ce terme s’applique généralement à l’architecture. Je le fais car cela semble qualifier cette langue pleine de coins, d’angles, de surfaces brutes, d’excroissances parfois organiques, de moulages à froid. Où l’on y décèle nettement les architectures de sa pensée. J’y ai vu une esthétique de la brutalité.

Avant de poursuivre, je rappellerai les mots de Jean Genet qui écrit (je cite de mémoire) : J’appelle violence une audace au repos amoureuse des périls. Et même si cette poésie chante l’audace, elle chante surtout le péril, celui d’un ossuaire, d’obstacles au regard en soi, chantant une vérité sans apprêt, brut de décoffrage en un sens.

Ferdaous, une voix en enfer, Nawal El Saadawi (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 18 Mars 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Roman, Pays arabes, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Ferdaous, une voix en enfer, Nawal El Saadawi, janvier 2022, trad. arabe, Assia Djebbar, Essia Trabelsi (Préface Assia Djebar, Prix de l’amitié franco-arabe 1982), 132 pages, 6,50 €

 

Des houris cloitrées dans les tentes, lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous ?

Qu’avant eux aucun homme ou génie n’a déflorées. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous ?

Coran, Sourate 55, Verset 72-75

La réclusion

Nawal El Saadawi signe un roman, célèbre dans les pays arabes, Ferdaous, une voix en enfer, relatant sa rencontre et sa confrontation avec une détenue de la prison de Kanater. La détenue se nomme Ferdaous (paradis, en arabe). Or elle est envoyée en enfer, incarcérée puis pendue. Face à sa visiteuse, Ferdaous se pose en héroïne sacrificielle, par son « refus de tout ».

La falsification de l’Histoire, Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs, Laurent Joly (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Jeudi, 17 Mars 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, Essais, La Une CED, Grasset

La falsification de l’Histoire, Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs, Laurent Joly, Grasset, janvier 2022, 133 pages, 12 €


Il faut bien qu’on finisse par entendre, derrière le sinistre brouhaha actuel, la voix de l’Histoire. Pas seulement ponctuellement après des « propos », ou vagues et bavards débats. Pas seulement par des commentaires désolés, pour autant infatigables dans les réseaux sociaux. Ce n’est pas là, temps de l’Histoire. Il faut le temps d’un livre, et le travail de démonstration précise d’un historien de métier, qui plus est, spécialiste de la période tant « revisitée » par Eric Zemmour, la seconde guerre mondiale et Vichy. Car, « jamais, en cent cinquante ans, dans notre république, à la veille d’un scrutin majeur, l’extrême droite n’aura semblé aussi forte, n’aura fait autant de bruit. Rarement, en période de paix, le système politique national n’aura paru aussi fragilisé ». Constat de départ de Laurent Joly.

Les best-sellers sont une menace contre la liberté du lecteur et de l’écrivain (par Amin Zaoui)

Ecrit par Amin Zaoui , le Mercredi, 16 Mars 2022. , dans Les Chroniques, La Une CED

De plus en plus, l’étau se resserre autour du lecteur. De plus en plus, la littérature est étouffée par le marketing d’un côté et encerclée par les médias de l’autre. L’imaginaire de l’écrivain est, tout comme celui du lecteur, visé, perturbé. La liberté individuelle créative se perd, de plus en plus, dans la précipitation chaotique. Le phénomène du best-seller est une menace contre la diversité littéraire. Plusieurs beaux romans sont anéantis, jetés aux oubliettes devant la farce d’un best-seller.

Sans doute parmi ces milliers de romans marginalisés, condamnés et exécutés à l’aide d’un revolver médiatique silencieux, il existe des perles littéraires. La sentence est tombée avant même qu’ils ne soient lus. Inconsciemment, le phénomène du best-seller pèse sur la liberté de la lecture individuelle. Charge la liberté de l’écrivain.

Dans ce phénomène du best-seller, ce sont de parfaits inconnus qui lisent à notre place. Ce sont des inconnus qui choisissent pour nous les livres que nous lisons. À leur goût, ils bannissent des titres et en glorifient d’autres. Ces inconnus, qui font la pluie et le beau temps dans la littérature, s’offrent la place du magistrat suprême et notent les écrivains. Classent les hommes de livre. Les vedettes, les bons, les brutes, les truands, les moins bons, les moyens et les médiocres. Les vendus, les existants, les invendus et les inexistants.