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Les Chroniques

Ainsi parlait André Gide, Dits et maximes de vie, Gérard Bocholier (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 20 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Anthologie, Arfuyen

Ainsi parlait André Gide, Dits et maximes de vie, Gérard Bocholier, Arfuyen, mai 2022, 176 pages, 14 €

 

 

La question qu’on pose ici est très simple : comment Gide peut-il en même temps haïr le mensonge et révérer la poésie ? Autrement dit : comment s’en tenir à la vérité dans l’irréel (car ce que la poésie rend réel, elle ne le tient en tout cas pas de lui) ? Car le mensonge lui est odieux – mentir, dit Gide, c’est jeter l’interlocuteur sur un terrain où le libre examen lui sera impossible, car on ne peut pas considérer librement ce qu’on ignore être faux – et la poésie lui est pourtant indépassable. Mentir, c’est enrayer l’esprit critique d’autrui, car on ne juge sainement que là où l’on peut contrôler (enregistrer, et rectifier) sa propre distance à la vérité, et toute victime – s’ignorant telle – d’un mensonge en est empêchée. Mais comment un poète ne mentirait-il pas, puisque tout récit se façonne, toute métaphore est méandre et diversion, et toute inspiration jaillit d’un (peu sécurisable) amont du réel ?

Notes estivales : Padura, Cocteau, Larronde (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 19 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

1- De la fidélité aux sources

Leonardo Padura est considéré comme l’un des auteurs les plus importants de la littérature latino-américaine d’aujourd’hui. Dans L’eau de toutes parts (Métailié, avril 2022), recueil d’articles et de chroniques consacrés à ce qu’on voudrait nommer, sans pouvoir définir le terme, la cubanité, avant de revenir sur son parcours et sur la gestation de quelques-uns de ses romans comme L’Homme qui aimait les chiens (El hombre que amaba a los perros, 2009 et 2011 pour la traduction française, aux éditions Métailié déjà), inspiré, on le sait, par la vie de Ramón Mercader, l’assassin de Trotski, mort à Cuba en 1978 après les années d’emprisonnement au Mexique et la parenthèse russe, puis de faire l’éloge de certains de ses devanciers comme Alejo Carpentier et Virgilio Piñera, il interroge sa condition d’écrivain, né à La Havane en 1955 et qui, par choix et non par contrainte, ne s’en est pas enfui : c’est donc sa position singulière face au régime communiste, ni opposant déclaré, ni « dissident de l’intérieur », ni apparatchik, qui constitue l’intérêt principal du livre et le rend passionnant.

Une lecture des Considérations morales (3) Mais si Arendt s’était trompée ? (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 19 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, La Une CED

Considérations morales, Hannah Arendt, Rivages Poche, trad. anglais, Marc Ducassou, trad. anglais, Nancy Huston, 96 pages, 7,50 €

 

Levons tout de suite toute ambigüité : du point de vue des historiens, Arendt s’est trompée sur la personnalité d’Eichmann. Pourquoi alors présenter et même recommander au plus haut point la lecture de cet essai dont on pourrait dire, en simplifiant, qu’il s’évertue à justifier une erreur ? D’une part car l’erreur d’Arendt sur le cas particulier d’Eichmann n’invalide pas le principe général de sa thèse sur la pensée. D’autre part, la richesse de cet essai interdit de le réduire à un simple plaidoyer ; il constitue aussi une introduction à la philosophie d’Arendt mais plus largement à la philosophie. Que cette introduction soit parfois un peu ardue et très personnelle joue en faveur de ce texte dont la brièveté permet que l’on y revienne facilement.

En quoi Arendt se serait-elle précisément trompée ? Elle définit ainsi la « banalité du mal » : « un phénomène de forfaits commis à une échelle gigantesque et impossibles à rattacher à quelque méchanceté particulière, à quelque pathologie ou conviction idéologique de l’agent ».

Le Retour de la décadence, Penser l’époque postprogressiste, Pierre-André Taguieff (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 18 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, Essais, La Une CED

Le Retour de la décadence, Penser l’époque postprogressiste, Pierre-André Taguieff, Presses Universitaires de France, mars 2022, 248 pages, 19 €

 

Au début des années 80 du XXe siècle, le philosophe Julien Freund (1921-1993) publia deux ouvrages, La Fin de la Renaissance (1980) et La Décadence (1984), qui consonnaient avec Histoire et Décadence de Pierre Chaunu (1981). La réception de ces livres, quand réception il y eut et qu’on ne les ignora pas purement et simplement, fut dans l’ensemble froide, voire hostile. Mais traiter par la froideur, l’hostilité ou le mépris des livres qui analysent une réalité désagréable n’a jamais fait disparaître la réalité en question. Certes, et Julien Freund en était lui-même conscient (comme le montre le sous-titre de son livre : Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine), la perception et l’angoisse du déclin sont des traits historiques consubstantiels à notre civilisation, comme s’il existait quelque rapport secret, souterrain, un pacte non écrit, entre l’Occident – le pays du couchant (Abendland) – et la décadence.

Les Carnets tchanqués, Pierre-Olivier Lambert (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 17 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Les Carnets tchanqués, Pierre-Olivier Lambert, éditions Ars Poetica, ill. Corinne Pangaud, juillet 2022, 130 pages, 18 €

 

Bateaux, oiseaux, lumières

Ce recueil de 100 tankas, ici mélange stylistique entre Orient et Occident, suscite une lecture lente et qui peut se répéter (comme le Haïku japonais qui se prononce deux fois). Ce qui fait l’unité de ces poèmes très courts et saccadés, c’est le Bassin d’Arcachon, ce qui veut dire : marées, bateaux, lumières, mouettes et autres sternes ou goélands. Et aussi les maisons tchanquées, maisons sur pilotis très prisées.

L’expression poétique est souvent méditative ou plutôt, contemplative, presque muette et souvent immobile – comme dans un tableau –, en 5 vers condensés qui immobiliseraient l’action poétique, comme le préconise la tradition japonaise. Ce qui aboutit à une poésie très tendue, et surtout peu bavarde, telle la prononciation intérieure de ces cinquains, petites pièces de poésie de 5 lignes qui finissent par faire une litanie, un ostinato avec un fond mélancolique parfois.