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Les Chroniques

Matière d’Outre-Atlantique Emmanuel Laugier : Poèmes du Revoir américain (par Alain Mascarou)

, le Lundi, 22 Août 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

 

ou petit feu gitan ordinairement muet (1)

 

L’orientation des lectures d’Emmanuel Laugier révèle en lui rien de moins qu’un radiesthésiste, un détectoriste de métaux. Le poète est attentif à percevoir des ondes stimulatrices au secret des terres, des âges et des œuvres, d’Est comme d’Ouest. Qu’il s’agisse du tchernoziom fertile de Mandelstam dans Chant tacite, comme ici de Robert Creeley et de ses cavernes à peintures, ces références sont exemplaires d’un ressourcement en amont de l’histoire de l’homme. Elles jalonnent un exil libérateur – qui est aussi éloignement géographique pour le Revoir américain. Le paradoxe d’ailleurs se redouble, à constater que le créateur avait anticipé les découvertes du lecteur : l’auteur de L’Œil bande, des Crâniennes, explorait déjà à travers ses motifs et modes d’écriture le filon d’une poétique du desserrement formel, mental, où l’oralité prend le pas sur l’écrit.

Règles de la vie quotidienne, Louis Lavelle (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 19 Août 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, Essais, La Une CED, Arfuyen

Règles de la vie quotidienne, Louis Lavelle, éd. Arfuyen, 2004, Préface, Jean-Louis Vieillard-Baron, 151 pages, 15 €

 

« Faute de pouvoir se donner à eux-mêmes le bonheur, les hommes finissent par faire des objets de gloire du malheur et du trouble qui les accable : mais s’ils haïssent ceux qui ont cessé de les ressentir, ils méprisent ceux qui comme eux y sont encore plongés. Ils n’en reçoivent aucune consolation, tandis que le bonheur des autres est pour eux un reproche de tous les instants » (chap.19).

Le philosophe Louis Lavelle (1883-1951) avait laissé dans ses papiers un formidable et éclairant inédit, publié pour la première fois chez Arfuyen en 2004, puis 2010, à nouveau disponible en 2022. Le ton et le contenu du court extrait qui précède fustige, comme on le voit, un peu prophétiquement la communauté d’envie, de déploration et de ressentiment dans laquelle nous nous enlisons fièrement. Mais dénoncer n’est pas le fort de ce penseur, qui s’abstient précisément d’ajouter ainsi à la misère psycho-culturelle dont son petit livre souhaite, au contraire, nous extraire et au fond, nous sauver !

Désordre avec vue, suivi de Sidérations, Coralie Akiyama (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 17 Août 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Désordre avec vue, suivi de Sidérations, Coralie Akiyama, éditions Douro, novembre 2021, 96 pages, 16 €


Des questions jaillissent d’emblée puis, comme à bribes décousues, dans ce Désordre avec vue suivi de Sidérations de Coralie Akiyama qui, après deux romans fantastiques (Féérie pour de vrai aux Éditions Moires en 2019 et Dévorée aux Éditions Vibrations en 2021), signe ici son premier recueil de poésie aux Éditions Douro. Le premier vers sous sa forme interrogative lance le dé d’une partition chaotique au sens où un « désordre » de sentiments, de ressentis, de faits, d’impressions, semble se poser spontanément sur les pages, ne laissant pas au lecteur le temps de s’arrêter mais au contraire l’emportant davantage vers l’instant d’après. Ceci dit rien de confus ici (« Bien mieux qu’une confusion/Un climat insatiable »), les mots étincellent dans les corolles d’une spirale temporelle incalculable, comme une concision à fleur d’une sensibilité aiguë qui affûte et affine ses prises au fur et à mesure qu’elle les hume et les lâche, offerte à la brûlure enivrante et captivante, envoûtante et incessante, du Vivre.

Ainsi parlait André Gide, Gérard Bocholier (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 16 Août 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Arfuyen

Ainsi parlait André Gide, Gérard Bocholier, éditions Arfuyen, mai 2022, 14 €

 

Qualifier

Je connais André Gide depuis mon adolescence – ce qui est aussi le cas de Gérard Bocholier, qui le confie dans sa préface à ce recueil de dits et de maximes. Cela ne m’a pas empêché de découvrir un Gide concerné par les arts, c’est-à-dire, tout serré autour de question de l’art. Cette prose, que je pourrais comparer à l’écriture de Diderot, claire, un peu froide, un style décidé, sans failles, presque dur, impliqué en tout cas, se déploie sans exagérations et intériorise l’œuvre d’art comme contenu et comme adresse à un lecteur ou au spectateur. Gide s’intéresse ici à la fabrication du poème et à celui qui écrit, au poète. La réception des textes est aussi importante que l’œuvre elle-même. Et l’écriture suit, sans suffocation, l’intelligence du propos, mais sans sombrer dans le comment du poème, regardant davantage le pourquoi, ce qui revient à écrire sur l’essence du phénomène artistique. Donc, une expression profonde, sans manière, intelligente mais qui ne se met pas en scène.

Antinoüs, Fernando Pessoa (par André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Mardi, 12 Juillet 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie, Langue portugaise

Antinoüs, Fernando Pessoa, ErosOnyx éditions, Coll. Classiques, mars 2022, édition bilingue, trad. anglais (alexandrins), Yvan Quintin, 88 pages, 14 €

Nous sommes en 130 apr. J.-C. L’empereur romain Hadrien veille son amant et favori Antinoüs qui vient de se noyer dans le Nil à l’âge de vingt ans. C’est un fait historique, repris notamment par Marguerite Yourcenar dans ses célèbres Mémoires d’Hadrien, et par d’autres auteurs et poètes comme Oscar Wilde, Yukio Mishima, Rainer Maria Rilke, Federico García Lorca ou Mutsuo Takahashi. L’un des plus grands poètes portugais de l’époque moderne, Fernando Pessoa, a lui aussi repris cette figure dans un long poème écrit en anglais, intitulé « Antinoüs ».

Les éditions ErosOnyx nous en proposent aujourd’hui une version bilingue accompagnée d’une note et d’une postface, dans une présentation soignée comme elles en ont l’habitude. Il en existait jusqu’à présent trois traductions en français, assurées respectivement par Armand Guibert, Patrick Quillier et Georges Thinès. Celle que nous lisons ici, œuvre d’Yvan Quintin, s’en démarque par le choix d’une traduction en vers, passant de l’original anglais (le vers anglais le plus fréquent étant le pentamètre iambique de cinq pieds) aux douze pieds français de l’alexandrin. Sans aller cependant jusqu’à la recherche de la rime, il s’agit, pour le traducteur, de mieux rendre la dimension poétique du texte de Pessoa, écrit, difficulté supplémentaire, dans un anglais élisabéthain, en usant de l’équivalent métrique le plus courant en français.