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Spinoza encore… (par Patricia Trojman)

Ecrit par Patricia Trojman le 14.12.23 dans La Une CED, Les Chroniques

Spinoza encore… (par Patricia Trojman)

Peut-on penser l’actualité malgré son innommable barbarie qui nous laisse sans voix ? Relire Spinoza dans la nouvelle édition Pléiade publiée sous la direction de Bernard Pautrat, avec la collaboration de Dan Arbib, Frédéric de Brizon, Dénis Kambouchner, Peter Nahon, Catherine Sécrétan, et Fabrice Zagury, sonne aujourd’hui comme une nécessité. Nécessité morale et non vertueuse dans la mesure où nous en avons fini avec l’ère de la vertu aristotélicienne, à cet idéal de l’homme de bien qui est voué au cynisme d’une nouvelle anthropologie réaliste, sans nulle transcendance.

Nous revivons l’impensable retour de l’impensé : la haine de l’homme européen. Le contexte violent dans lequel vivait Spinoza, dans ces Provinces dites unies mais déchirées par les incessantes guerres de religions et les traques des bûchers encore brûlants des tribunaux de l’Inquisition, nous permet de mieux comprendre les affres de notre présente actualité. Avant Hegel qui faisait de la lecture du Journal sa prière réaliste du matin, que dire de l’extraordinaire Éthique de Spinoza articulant dans son système à la fois l’analyse du mal et la connaissance de la substance divine générant sérénité et béatitude ?

Une œuvre qui depuis l’incontournable commentaire de Robert Misrahi des éditions Pleiade ne cesse de parler de notre époque. Non seulement Ethique et Le Traité Theologico-Politique, mais Traité Politique, et sa Correspondance dans laquelle Spinoza ne cesse de livrer un combat acharné contre l’irréductible fanatisme, c’est-à-dire ce credo religieux lui-même qui, sous couvert de piété, légitime les pires atrocités en son nom. En 1661, lorsque Spinoza quitte Amsterdam à 28 ans pour s’installer dans le village de Rijnsburg, il a déjà toute une vie derrière lui : naissance et éducation au sein de la communauté juive portugaise accueillie par la libre Hollande, fréquentation assidue de la Thora et du Talmud, activités commerciales dans le négoce du père. Il a déjà deux ouvrages en cours : Traité de la Réforme de l’entendement (traduit de façon plus absconse dans la nouvelle édition Pleiade comme Traité de l’Amendement de l’Intellect) et Court Traité, écrit en latin. « Je me voyais en effet, déclare-t-il dans ce dernier Traité, exposé au péril suprême et contraint de chercher de toutes mes forces un remède, fut-il incertain, tout comme un malade souffrant d’une maladie mortelle… trouver le vrai bien ».

Spinoza a su démêler l’imposture religieuse des dogmatiques de Dieu, ennemis de la vérité, ce sont eux les vrais mécréants préférant la mort en martyr et la victimologie à la vie. « C’est une sauvage et triste superstition qui interdit de prendre du plaisir », l’hédonisme de nos sociétés occidentales libérales fait l’objet d’une sanglante détestation. Non seulement rien ne change mais la nature humaine empire dans sa radicalité violente et monstrueuse. Comprendre les rouages de l’obscurantisme religieux avec lequel aucune pensée rationnelle ne peut entrer en communication, c’est là l’objectif de Spinoza. « Ultimi Barbarorum », « Les pires des barbares », ce sont les mots que Spinoza voulait placarder, à la suite du massacre des frères Jan et Cornalis De Witt, le 20 Août 1672, par une foule fanatisée. Ces frères De Witt, qu’il aimait et admirait tant. Nous connaissons la suite : on dissuada Spinoza de le faire en l’enfermant dans la maison de ses hôtes. Il ne put que crier en gémissant : « Les monstres, les monstres ».

Nous portons aujourd’hui ce même cri étouffé de la non-acceptation de la terreur, au nom de la liberté et de la persévérance dans l’être.

 

Patricia Trojman



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A propos du rédacteur

Patricia Trojman


Patricia Trojman est Docteur en Philosophie et Présidente de l’Institut Spinoza