Chronique : Coups de griffes 3 (par Alain Faurieux)
Panorama, Lilia Hassaine, Gallimard, août 2023, 240 pages, 20 €
Un navet qui rend triste, ça existe ? Oui, tout comme un prix littéraire qui rend triste. Panorama est Prix Renaudot des lycéens 2023, et c’est un bouquin tristement bête, creux, superficiel et inutile. Tout ça et plus encore.
Aucun extrait à produire à charge, tout y est petit et quelconque. Ligne après ligne l’écriture se révèle anodine, alignement de signes aussi attractif qu’un édito du Point ou du Betteravier Français. La volonté d’écriture est, elle, plus déprimante encore. Thriller d’anticipation, roman dystopique… et quoi encore ? La trame du thriller (échange d’identité + harcèlement adolescent) est enfantine, la dystopie réservée aux adeptes de The Purge, au filtre d’un relecteur sensible. Acceptons la suspension d’incrédulité première – une nouvelle Révolution Française et sa Revenge Week – et voyons la suite. La création d’Hassaine est squelettique ; que ce soit topologiquement, socialement, psychologiquement, les adeptes d’une terre plate font mieux chaque jour dans leurs publications.
Le seul point fort, bien involontaire, de Panorama est d’illustrer parfaitement une vision caricaturale de la/notre société : la « Nouvelle France » de Lilia H. a les dimensions d’un jeu de plateaux : sa banlieue ressemble à s’y méprendre à celle des années 70, les problèmes sociaux ont les dimensions d’une rubrique de chiens écrasés, la distinction entre pouvoir/devoir est effacée (dans sa narration, pas dans la société décrite), etc., etc.
Dès les premières pages on s’interroge. Hassaine va-t-elle nous proposer une caricature féroce de notre monde de réseaux sociaux, de victimisation et de micro-ghettos, par une écriture ridicule calquée sur les post de tous les jours ? Non, elle écrit comme cela, c’est tout. Pour un tel procédé, il faudrait un auteur de la taille d’un Ballard, un poète peut-être. Les idées quant à elles sont du niveau « les petits chats c’est mignon », « la pluie ça mouille », et, incroyable message, « la voix du plus grand nombre peut entraîner des injustices ». On baigne dans un sirop touillé par une influenceuse, vendu à des semi-illettrés, qui le liront sur leurs téléphones. Ce n’est pas mépriser les lycéens que de leur vendre de la soupe, puisqu’ils la plébiscitent. Ou bien…
Chez Shakespeare le monde entier est un théâtre, dans Panorama il s’est rétréci à un quartier de France dont les habitants sont des Playmobil.
La Prophétie des abeilles, Bernard Werber, Albin Michel, 2021, 22,90 €
Un navet intemporel. Intemporel, mais bien franchouillard, une œuvre qui se trouve dans tous les bons aéroports (Crète en l’occurrence). Écriture risible, entre le panneau informatif latéral d’un paquet de lessive et un manuel de SVT de troisième. Thématique usée trois décennies avant sa parution (Frank Herbert, quelqu’un ?), personnages à peine esquissés, lexique échoué quelque part entre Le Petit Robert et La Ruche pour les nuls. Des pages entières d’explications indignes de Facebook, des surprises prévisibles et de l’action immobile. On sent malgré tout l’influence des grands exploitants de navets (Dan Brown et autres visionnaires). Scientifico-historico-fantastique, fin du monde et templiers, la recette est solide. Le professeur d’histoire-hypnotiseur trouvera-t-il LE codex ? On s’en fout. Le prochain Werber devrait s’appeler La malédiction du Dauphin, ou l’Apocalypse des cloportes (zut ! Déjà pris).
Hôtel De La Folie, David Le Bailly, Seuil, août 2023, 208 pages, 18,50 €
Bon, encore un livre sur les origines. Ou comment notre auteur a réussi à devenir ce qu’il est malgré ses gros malheurs. Et comme il est journaliste, il sait chercher des documents tout partout, même dans l’appart à maman morte. Maman a quinze noms (Mention Bien pour Mme Boulez), mémé a sorti plein d’argent d’on ne sait pas trop où… maman bastonne mémé et dit plein de gros mots. Finalement mémé saute par la fenêtre. Ah, et Le Bailly non plus s’appelle pas Le Bailly, ni Oreste, ni…
Ça y est, j’vous l’ai résumé : pas besoin de le lire.
P.S. : L’histoire ne faisant pas un livre (même court comme celui-là), que vaut l’écriture ? On se lasse en dix pages du « tu » constant, du ton familier/confident ; de la mise en page dialogue-monologue avec mémé. A part ça rien : phrases courtes avec sujet, verbe et complément. Et des photos. Et des gens qu’on dit pas vraiment le nom mais qu’on peut quand même trouver. Et un joli titre.
L’ Échiquier, Jean-Philippe Toussaint, Editions de Minuit, août 2023
Sous-titré Les aventures du frère d’Anne-Do.
J’ai pensé à Robbe-Grillet c’est chiant comme du – mais R.G. amenait du nouveau. Quelques lignes sympas comme toujours dans un récit autobiographique (nostalgie aidant). Alors que dire ? Ego boursouflé, JE gros comme un tank, humour à pleurer, autoréférences, construction ridicule…
Quoi ? Alors que c’est là le pitch du truc ! 64 chapitres, autant que de cases au jeu d’échecs ! La vie comme l’écriture, comme un parcours de cases en cases (ou quelque chose comme ça). Dommage qu’aucune nécessité organique ne justifie ces « chapitres », certains pourraient être découpés en trois ou quatre blocs, d’autres le sont d’ailleurs. Donc notre auteur est un vrai Nécrivain, il le nécrit d’ailleurs très souvent. Il en est sûr et certain, et il nous fait du méta, de la mise en abîmes, de l’allégorie. Il se félicite, se pâme et s’auto-congratule que c’en est gênant.
Pourquoi les échecs ? Pour pouvoir parler de ses livres précédents ; et puis parce que comme ça deux ouvertures vers les lecteurs : vous êtes intelligent > vous allez aimer ; vous n’avez pas compris mon but ? La profondeur de l’Œuvre ? C’est que ja suis encore plus intelligent que vous. Win/Win. Et puis parce que les échecs, quand même ! Et puis c’est pas que ça mon livre : c’est un-en-trois et trois-zen-nun, je le répète trois fois. À la fois journal du confinement, hommage aux échecs, précis de traduction et autobiographie et puis aussi image du père et puis… oh zut ça fait plus de trois. Prix de la boursouflure (malgré le vocabulaire minimal et les phrases en préfabriqué).
En cadeau 0,2% de la chose : « Je voulais que ce livre soit bien autre chose, je voulais qu’il soit une ouverture, une disponibilité, une liberté, une audace, mais aussi un rempart contre le monde extérieur, un talisman, une égide. Je voulais que ce livre soit une réflexion plus ample sur la littérature, je voulais que ce livre dise l’origine de ce livre, qu’il en dise la genèse, qu’il en dise la maturation et le cours, et qu’il le dise en temps réel. Je voulais que ce livre soit sensible, concret, malicieux, humain, ombrageux, imprévu, généreux, je voulais que ce livre soit tout à la fois un journal intime et la chronique d’une pandémie, je voulais que ce livre ouvre la voie à la tentation autobiographique, qu’il soit une conjonction de hasards et de destinée, de contingences et de nécessité. Je voulais que ce livre ait une dimension de kairos, de moment opportun, puisque c’est la crise sanitaire qui l’a suscité et que jamais je ne l’aurais écrit si nous n’avions vécu la pandémie de Covid-19. Je voulais aussi évoquer dans ce livre l’affleurement de la vieillesse qui commence à m’envelopper comme une brume inexorable qui monte autour de moi, je voulais que ce livre […] ».
C’est loupé.
Aides de lecture : nanars et navets peuvent (doivent) bénéficier de l’écoute conjointe de grands moments de la musique enregistrée. Je vous propose donc d’accompagner Panorama par un admirable coffret trois (3 !) Cds du London Symphony Orchestra intitulé Classic Rock Renaissance, ou près d’une quarantaine de titres sont pataudement massacrés. Werber sera quant à lui mieux servi par Ludovic Einaudi. L’un est à la musique ce que l’autre est à la littérature. Toussaint est un cas plus difficile, les remix inutiles de Depeche Mode commis par Dominatrix pourront sans doute faire l’affaire. N’importe quel Shaka Ponk très fort dans une autre pièce illustrera bien Bailly.
Alain Faurieux
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