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Les Chroniques

La Danse, Philosophie du corps en mouvement, Alexandre Lacroix (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Mardi, 11 Mars 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

La Danse, Philosophie du corps en mouvement, Alexandre Lacroix, Allary Editions, janvier 2024, 239 pages, 20,90 €

 

La danse a toujours eu un goût légèrement insaisissable pour les philosophes… Même si la danse a selon Platon une fonction éducative, la danse est loin d’être un sujet qui prête à l’abstraction. Rares sont les ouvrages philosophiques sur la danse, en dehors d’un Nietzsche danseur et Philosophie de la danse de Paul Valéry. Pourtant, bien danser revient à réconcilier l’âme et le corps. La danse semble incarner l’élan vital de Bergson, comme une force créatrice et évolutive qui réanime le corps et lui fait atteindre la grâce.

« Les gens qui réfléchissent dansent trop mal en général »… Dès les premières pages, Alexandre Lacroix donne le tempo en reconnaissant un certain malaise du philosophe face l’impératif social de danser lors de soirées festives. Cette confession résonne avec l’anecdote du philosophe Alain sur le mille-pattes, qui ne pourrait pas marcher s’il commençait à réfléchir à chacun de ses pas.

Dans la forêt qui manque, Shiho Kasahara (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 10 Mars 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Dans la forêt qui manque, Shiho Kasahara, éditions Quartett, Coll. Théâtre, octobre 2024, 95 pages, 14 €

 

Passage

Tout est passage dans cette pièce de Shiho Kasahara. L’on passe de Tokyo à Paris, l’on voyage d’un aéroport à un autre, d’un avion à l’autre. On va et vient. On ne reste pas immobile, et c’est peut-être là une question de dramaturgie. On se meut d’un univers culturel à l’autre. On suit les développements de l’histoire de la pièce comme témoignage d’une quête d’identité. On sent l’auteure vraiment partagée entre deux cultures. Un mélange instable et qui n’en finit pas de ne pas être une émulsion.

D’un côté le Japon, terres du père, et de l’autre, la France, forêt de la mère. Aucun des deux parents n’a le dessus, les deux sont énigme et interrogation, comme deux forêts qui ne se ressemblent pas, ici des châtaigniers, là des banzaï. C’est un univers biparti, double et cependant absolument mêlé en lui par des langues étrangères l’une à l’autre. L’héroïne cherche la suture, un brassage, des rapprochements dans l’univers familial composé de deux présences culturellement teintées.

Parler avec sa mère, Maxime Rovere (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 06 Mars 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Parler avec sa mère, Maxime Rovere, Flammarion, janvier 2025, 288 pages, 21 €

 

Une mère, écrit l’auteur, ne nous donne pas « la vie » (car elle-même l’a reçue, et la lignée des corps vivants fait seulement passer son courant cosmique par son corps), mais elle nous donne, normalement, « la naissance » (accoucher, c’est pouvoir faire authentifier son passager clandestin, et devoir élever ce qu’on expulse de sa petite poche d’océan). Chaque petite maman aura donc parlé – c’est le moins qu’on puisse dire – avec le début de nous-même, de même que tout ce qui a été enfant humain parle jusqu’au bout avec elle, donc parle un jour, aussi, normalement, avec la fin d’elle. Car cette mort a aussi, montre Maxime Rovere, une voix maternelle : « Il y a bien une fonction maternelle qu’une mère, comme tout individu humain, remplit en mourant ; faisant migrer l’énergie d’un niveau d’organisation à un autre, sa mort alimente le cycle qui permet à l’espèce humaine de se renouveler ; l’individu-mère est alors réintégré à une mère de second degré, qui n’est autre que le mouvement d’individuation de l’humanité, lui-même inscrit dans le mouvement d’individuation du système terrestre » (p.244). Cette originale remarque mérite restitution de son cheminement.

Le Chemin de Jérusalem, Une théologie politique, Shmuel Trigano (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 04 Mars 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Le Chemin de Jérusalem, Shmuel Trigano, Les Provinciales, avril 2024, 126 p. 15 €

Dans une conférence récemment traduite en français (Textes retrouvés, Gallimard, 2024), Jorge Luis Borges notait que la civilisation occidentale repose sur deux piliers : la Grèce et la Bible. Cela ressemble de prime abord à un de ces lieux communs dont les conférenciers assaisonnent à l’occasion leur propos, mais toutes les conséquences de cette situation n’ont pas été tirées. L’une fut déduite par Borges lui-même : malgré des rencontres occasionnelles avec la Grèce (notamment dans les livres sapientiaux), la Bible appartient à l’Orient. La rhétorique amoureuse du Cantique des Cantiques ne put ainsi être acceptée et « reçue » en Occident qu’aux prix de distorsions considérables.

La centralité et la primauté de Jérusalem sont une autre conséquence. Seule Rome (en tout cas ni Londres ni Paris) put rivaliser. Mais l’effondrement de l’Église catholique en Europe, alors même que renaissait l’État d’Israël (la concomitance des deux événements possède-t-elle un lien secret ?) a remis en cause le statut de Rome, qui n’est plus qu’une destination de week-end comme une autre, au même titre qu’Amsterdam ou Berlin. Lors des audiences hebdomadaires du pape François, l’immense place Saint-Pierre est aux trois-quarts vide.

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 03 Mars 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon, éd. L’Atelier Contemporain, octobre 2024, 102 pages, 14 €

Cette étude de Franck Guyon sur La Vierge de l’Annonciation d’Antonello de Messine, tableau datant d’environ de 1475, est bel et bien un livre parlant. Je dis cela à deux titres : d’une part, l’ouvrage parle de lui-même et de l’intelligence de l’auteur, et encore parlant d’autre part, car toute peinture n’existe que sujette à la parole (ou à la pensée dans la contemplation muette), le tableau ne se concevant que comme devant susciter du langage, des signes de langage, des outils de la pensée. Le tableau n’existerait pas sans cette compréhension langagière.

CET ÉVÉNEMENT A LIEU.

Il se produit fort humblement sous la forme d’un panneau de bois peint, haut de quarante-cinq centimètres et large de trente-quatre.

Le créateur de l’événement se nomme Antonello de Messine.

L’événement a lieu aux alentours de l’année 1476 ou 1477, après l’Incarnation.

Cet événement se nomme : Vierge de l’Annonciation.