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Les Chroniques

L’iris sauvage, Meadowlands, Averno, Louise Glück (par Didier Ayres)

, le Lundi, 29 Janvier 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, USA, Poésie

 

Tintinnabulement

C’est à un fin tissage de la vie et de l’œuvre de la poète Louise Glück, Prix Nobel de littérature 2020, que nous sommes conviés ici dans l’édition bilingue de trois de ses recueils. Je dis cela car je trouve important cette coalescence de la poétesse et de son écriture, et déterminant pour ma lecture. Il s’agit d’une découverte car peu de traductions sont accessibles en français (j’ai d’ailleurs publié une traduction faite avec Michaël Taugis d’un de ses poèmes, pour la revue L’Hôte). Et cette vie en sous-texte qui gagne en grâce poétique grâce à un fond matériel et vivant, tend les poèmes, les étoffe, leur donne un mystère. Donc, des références mythologiques, ou bibliques, ou encore ici ou là des petits faits de la vie quotidienne. En tout cas, quelque chose altère la prosodie, laquelle confrontée à du connu et du surprenant, se dilate et se fait meuble, profonde et englobante. Cette littérature ne se conçoit que faite de ce mélange de la vie et de l’art, et sans doute de l’art et de la vie. Le mystère : un tintinnabulement grâcieux et prenant. Cette existence sonne comme point de mire, comme punctum.

Le Rhin, Victor Hugo (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 22 Janvier 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Le Rhin, Victor Hugo, Folio Classique, avril 2023, Édition d’Adrien Goetz, 928 pages, 13,50 €

 

« Je suis un grand regardeur de toutes choses, rien de plus, mais je crois avoir raison ; toute chose contient une pensée ; je tâche d’extraire la pensée de la chose. C’est une chimie comme une autre ». Ainsi Victor Hugo justifie-t-il, lui qui se veut « plutôt flâneur de grandes routes que voyageur », son admiration pour le paysage « charmant » vu après « Rheinfelden jusqu’à Bruck », dans la Lettre XXXIV de ce recueil de lettres fictives qu’est Le Rhin, publié en 1842 et aujourd’hui à nouveau rendu disponible dans la forme voulue par l’auteur grâce au travail éditorial d’Adrien Goetz.

Ce voyage littéraire sur les rives du Rhin et parmi les villes qui le bordent, pour fictif qu’il soit en partie (Hugo a bel et bien voyagé en Allemagne durant les années qui précédèrent la publication du Rhin, et a écrit des lettres en 1838), répond à une motivation d’ordre politique : la question de la rive gauche du Rhin, cédée à l’Allemagne au détriment de la France, se pose de façon cruciale à la fin des années 1830, et Hugo y réagit à sa façon :

Raymond Radiguet, Un jeune homme sérieux dans les années folles, Chloé Radiguet, Julien Cendres (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 18 Janvier 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Robert Laffont

Raymond Radiguet, Un jeune homme sérieux dans les années folles, Chloé Radiguet, Julien Cendres, Robert Laffont, octobre 2023, 306 pages, 24 €

 

La récente biographie de Raymond Radiguet par Chloé Radiguet (nièce de l’écrivain) et Julien Cendres a le mérite de resituer l’auteur du Diable au corps dans un contexte familial, social et culturel d’une extrême précision et donc de détruire quelques mythes. Non, Radiguet n’apparut pas dans le ciel littéraire du début des années 20 telle une comète imprévisible. Il ne fut pas non plus un génie paresseux, produisant son œuvre presque malgré lui ou parce que Cocteau l’y aurait contraint : sortant certes beaucoup, s’amusant avec ses amis peintres, poètes ou musiciens à Montmartre, Montparnasse ou ailleurs, il s’astreignit cependant par périodes à un labeur méthodique lui permettant, en si peu d’années, de noircir un nombre impressionnant de pages se rattachant aux genres les plus variés, de la poésie au roman en passant par des saynètes, des articles et des essais ou ébauches d’essais – dont un bref et troublant « Les Prodiges » (pp.475-476 des O.C., Grasset, septembre 2023), daté de l’automne 1920, édité par Cocteau en 1956. Et rien dans cette œuvre ne fut le fruit d’une sorte d’auto-génération spontanée puisque, comme Rimbaud ou Ducasse, dès l’adolescence, il lut (et assimila, s’appropria) énormément.

Tous les chiens sont bleus, Rodrigo de Souza Leão (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 16 Janvier 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Tous les chiens sont bleus, Rodrigo de Souza Leão, éd. Le Lampadaire, novembre 2023, trad. portugais (Brésil), Émilie Audigier, 94 pages, 13 €

 

Morbidité

Ouvrir ce recueil de textes dont l’originalité réside dans la biographie même de l’auteur (lequel a subi de graves traitements psychiatriques) nous mène à son projet littéraire venant comme en surplomb à sa vie d’aliéné rayonnant. À quelque chose d’approchant quant au thème, du monde douloureux de la poète Béatrice Douvre. Expérience de l’enfermement, mais ici vécue et conçue par un créateur. Travaux qui n’excluent pas l’organicité, le caractère organique du corps malade. Fou, aliéné, voyant, souffrant, personne atteinte de schizophrénie, d’un mal-être général, à la limite de la destruction, de l’autodestruction.

Les schizophrènes au trouble délirant ne tiennent pas parole. Ils gardent en eux une immense haine de la maladie. Personne n’accorde d’importance à ce qu’ils disent. Je ne pouvais dire à personne que Rimbaud croyait que j’avais tué Redoutable Fou. Pas Baudelaire. Il savait que je n’avais rien fait.

Les coups de griffe d’Alain Faurieux-4

Ecrit par Alain Faurieux , le Lundi, 15 Janvier 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

 

Marchands de Sable, Agnès Mathieu-Daudé, Flammarion, août 2023, 336 pages, 21 €

Un point fort : la couverture (avec tampon « rentrée littéraire » inclus) qui illustre parfaitement l’artifice mal foutu du contenu. Un livre de rentrée ficelé comme un poulet de supermarché. Saga familiale étriquée, vision politique javélisée. Écrire sur le superficiel, l’artifice, le faux-semblant, quelqu’un aurait dû dire à Agnès Mathieu-Daudé que c’est difficile. N’est pas Françoise Sagan ou Bret Easton Ellis qui veut. Et là c’est plutôt le sauve-qui-peut. Un événement central (scandale politico-industriel étouffé dans l’œuf) qui n’intéresserait même pas un lanceur d’alerte savoyard, un événement secondaire (femme quitte mari, trouve raison de vivre hors fric) qui n’a pas intéressé ma coiffeuse, des péripéties de plage et des décors de syndicat d’initiative. « Écrire sur » est aussi prétendre : Ellis chantant les louanges de Phil Collins sur MTV pendant des pages, c’est un acte littéraire.