Un certain goût d’opiniâtreté (Journal 1991-1996) précédé de Journal reconstitué (1986-1991), Alain Marc (par Murielle Compère-Demarcy)
Un certain goût d’opiniâtreté (Journal 1991-1996) précédé de Journal reconstitué (1986-1991), Alain Marc, Éditions Douro

Une écriture cathartique, afin d'opiniâtrement résister aux vents et marées. Le Phare : la Littérature (le lirécrire), avec ses "phares allumés" (Baudelaire). Dans ce deuxième livre publié chez Douro, le poète-écrivain Alain Marc –auteur d'un essai remarquable et remarqué : Écrire le cri (préfacé par Pierre Bourgeade) puisqu'il remonte jusqu'à la source de l'Ecrire– exprime sa persévérance au sein de la matière brute et noire de la Littérature en tant qu'écrivain et lecteur, matière subtile coexistant avec celle baryonique, ordinaire. Par son influence gravitationnelle, alchimique et ascensionnelle, la Littérature émet des voix sidérales énergiquement influentes sur le monde observable. Son agonie actuelle serait comme un refroidissement jusqu'à l'invisibilité d'une naine blanche... Mais le poète, opiniâtrement debout, reste dressé jusqu'à se brûler sur cette extinction progressive, dressé sur les traces incandescentes d'une Littérature aujourd'hui en berne. C'est bien plutôt son cheminement ardu d'écrivain que nous suivons ici, avec ses aléas, semé d'embûches et de ses difficultés en Littérature à avancer, à pouvoir voir propulser son œuvre dans la lumière publique.
Ce journal pose la question de la temporalité et des conditions de subsistance chez un écrivain non professionnel, tout en évoquant les enjeux de l'acte d'écrire, en l'occurrence celui d'une "poésie publique sociale" (le problème de sa réception relié à la problématique soulevée d'être ou ne pas être à l'écart des véritables enjeux artistiques de son époque).
Comment faire pour être re-connu, se demande l'auteur continûment entre les lignes, déployant sa force au service d'une mission qu'un découragement qualifierait d'impossible. Peut-on se résigner et accepter d'être mé-connu sans souffrir d'un déficit de reconnaissance d'autant plus ingrat que la tâche accomplie est immense ? Par cet aspect et en l'occurrence, Un certain goût d'opiniâtreté constitue un livre sur le courage en poésie. Peut-on se résigner à l'ombre, sans se suicider ? "La résignation est un suicide quotidien", écrivait Balzac. La résignation touchant l'investissement du quotidien, dimension augmentée par l'acte de création, ne prend-elle pas une puissance négative moins vivable lorsqu'elle est subie par l'artiste ?
La condition même d'exister de l'artiste est évoquée dans ce Journal, où l'écrivain s'interroge, doute, pèse le pire et le meilleur d'une situation difficile ("Le dur métier de vivre" titrait Pavese rejoint ici "Le dur métier d'écrire"). En témoigne "le hic et le hoc" notamment, souligné par Alain Marc, rythmant le cheminement oscillant de sa démarche vitale :
Vincent Van Gogh affirme que dans son cas, le hic, c'est qu'il n'a pas assez d'argent pour acheter le minimum qui pourrait lui permettre de vivre, et que cela nuit à son travail de création. Je pourrais dire que dans mon cas, le hic, c'est que j'ai une famille qui m'apporte beaucoup de joie, un travail qui me permet de vivre, mais que je n'ai que tellement peu de temps à consacrer à l'écriture qu'il m'est impossible de continuer mon travail de création. J'ai envie d'appeler cette dualité le hic, et le hoc !
Il faudrait écrire l'Odyssée de la toile titanesque scripturale. Se relance sans cesse la question cruciale et inhérente à l'Écrire de sa trace fragmentaire en lutte avec son propre inachèvement ; ici se pose la question problématique de l'impossibilité factuelle de son accomplissement. Question d’autant plus déterminante chez l’auteur que ce dernier combat depuis toujours pour l’expérience d’une « poésie publique » (Cf. Chroniques pour une poésie publique suivi de "Mais où est la poésie ?" (éditions du Zaporogue) :
Une poésie publique
serait une poésie
qui donnerait écho
qui permettrait une avancée
dans la vie quotidienne
de chacun d’entre nous
A.M. fait le pari de diriger la poésie, de son écriture jusqu’à sa vente, vers le public.
En effet l’auteur du Grand Cycle de la vie ou de l’odyssée humaine (Première Impression,/Artis Facta, 2014) travaille d’arrache-pied (d’arrache-mains : avec « un certain goût d’opiniâtreté ») pour instaurer et promouvoir une poésie publiée et accomplie dans une transmission actée au public, via des démarches de communication multiples dont ses lectures publiques, performances, publications en revues, expositions, animations dans sa région et ailleurs, Salons du Livre, enregistrements audio, etc. Son regard posé sur des œuvres artistiques autres que son travail poétique, relèvent de la même démarche : En regard, sur Bertrand Créac’h, poèmes, Éditions Dumerchez ; En regard, sur Lino de Giuli, id. ; En regard, sur Froeliger, Kej, Griggio, Lawrence, …, poèmes, coll. « Le metteur en signe », Éditions Unicité). Après avoir arrêté les Beaux-arts et la Musique, pour se consacrer exclusivement à l’écriture, l’auteur a traversé des territoires d’investigation et d’exploration où se chercher, chercher son écriture orientée vers la poésie depuis sa découverte de la poésie d’un poète du Nord, Hervé Lesage. Chercher ces philtres de transfiguration poétique, en quelque sorte toujours fantasm-agoriques, « instillés » par Dali « dans notre cervelle ». Habité par une création qui se forge dans la solitude, « dans la dureté et la violence », Alain Marc témoigne dans ce Journal de ces années de créativité à la recherche de sa voie. Une poésie portant, telle l’espace la Terre, le fardeau d’une vie quotidienne lourde d’aléas et de contraintes pragmatiques, riche de rencontres fortuites et : ou décisives, que l’acte poétique créateur d’une « poésie sociale » alchimise :
Aller au bout, jusqu’au plus profond de l’être, fuir la légèreté quotidienne des rituels de la vie -car la vie n’est qu’un rituel, trop bien organisé, orchestré par les habitudes, les tabous de la société environnante.
Lever les tabous de la société peut être l’une des visées de l’acte poétique, comme, dans le cas d’Alain Marc, de vivre l’amour en son érotisme sans tabou. Par amour (l’essentiel moteur) de la Liberté. Reflétant la citation de Joseph Delteil le poète tente, s’il est admis que l’on ne peut changer le monde, d’en changer afin de tirer le lecteur par la manche dans son univers. Un univers dont la dimension imaginaire a un pouvoir efficient de transformation. Par le prisme notamment de l’écriture dans laquelle « coule l’imaginaire » et qui « explore les profondeurs de l’intérieur » avec, un « travail sur la brièveté, sur le choc, la « puissance » des mots ». Reste à surmonter les obstacles d’une société de consommation dans « un monde qui privilégie par trop l’argent, (et qui crée) un fossé, à la défaveur de la création ». Reste que le poète poursuit son sentier de traverse contre vents et marées, offrant au monde le souffle persistant, ouvert au large de vivrécrire, de La Poitrine étranglée (Poème pour les ouvriers, éditions le Temps des Cerises) au Désir écartelé ; continuant « contre vents et marées la voie ouverte en travaillant (opiniâtrement tels "Les Poètes de sept ans" de Rimbaud : « Et sur (des) "Livres-Poèmes" » …
La Littérature est une vocation, une dévo(ra)tion chez Alain Marc et il est évident que, selon cette perspective d’une écriture viscérale, organique, elle ne s’enseigne pas mais se vit, au sens tectonique du terme. Si la Littérature enseignée telle que l’évoque Bernard Noël constitue un outil (« pour le français, l’histoire, pour les mœurs, pour le témoignage » et « est utilisée. L’écrivain est une citation, un morceau choisi, une récitation, un sujet, un exercice » Bernard Noël, (Le Sens la Sensure, "Lettre à Serge Fauchereau", 9 nov. 1984), elle se mêle chez Alain Marc, corps et âme, au souffle de la respiration vitale, « le véritable métier (étant) la vision ». Ainsi vécurent l’art, Van Gogh, Nietzsche, Thomas Bernard, Bernard Noël, pour ne citer qu’eux formant une constellation mineure mais majeure dans le concerto des voix, qui encore et toujours, interpellent. Écrire est un acte d’auto-régénération dont a besoin l’esprit de la Liberté, mêle ensanglanté par les barricades de la révolte.
© Murielle COMPÈRE-DEMARCY (MCDem.)
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