Ainsi Parlait Goethe, Roland Krebs (par Didier Ayres)
Ainsi Parlait Goethe, Arfuyen, trad. allemand, Roland Krebs, bilingue, 190 pages, 2025, 14 €

Esprit
Il est difficile de résumer en quelques lignes le massif conceptuel que représente la poésie de Goethe. Je dis cela sans considérer la portée historique du poète allemand ni son importance pour le passage de l’esthétique classique à celle du romantisme. Je ne veux ici que resserrer son importance par un simple mot : esprit. Car à mon sens, sans entrer dans des considérations analytiques ou linguistiques, c’est le mot esprit qui est le plus fort et qui rejaillit le plus fortement dans ses dits et maximes, une pensée ample, concentrée, fine. L’on ressent à cette lecture une impression souveraine de maîtrise de soi, d’une manière de style, un entendement qui se joue des coupures et des contradictions, jusqu’à se condenser dans l’idée, le côté solaire de l’idée platonicienne.
Donc, Goethe ne se résume pas à une formule. Il est oxymorique, c’est-à-dire qu’il englobe des totalités, il cherche la profondeur dans le bord de la forme, et détoure des abîmes avec des mots. Il incarne la puissance de l’esprit. Il cherche la Vérité. C’est ici une espèce de quête de lumière (n’a-t-il pas prononcé ces mots à la dernière heure de sa vie : Plus de lumière ?). Ainsi, plus de vie, plus d’esprit, plus de philosophie, plus de poésie, plus de vérité. Et sa vie, qui fut longue, reste sans faiblesses, ne s’arrêtant pas à une période, car tout compte dans ce qu’il écrit. C’est une esthétique de la plénitude.
Dans le plus pur de notre cœur, se lève telle vague une aspiration / À nous vouer par libre gratitude / À ce qui est plus haut, plus pur, inconnu / À déchiffrer l’éternel innommé / C’est ce que nous nommons être pieux ! À une telle bienheureuse hauteur, / Je me sens participer quand je suis en sa présence.
Et surtout, c’est vers l’Art que se tournent ses yeux de poète. L’Art qui s’appuie sur la nature, sur la vérité visible de la nature, sur l’expression écrite de la chose poétique. D’où l’importance de l’art qui revient sans cesse sous sa plume.
Vois, mon cher, ce qui est l’alpha et l’oméga de toute écriture, la reproduction du monde autour de moi par le monde intérieur, qui se saisit de tout, le relie, le recrée, le pétrit, pour lui donner une forme, une manière propre et le restituer à nouveau, reste un éternel mystère.
J’ai dit pensée ; j’ai dit Art ; j’ai dit esprit. Mais l’écriture de Goethe n’efface rien au profit de la beauté. Elle met en valeur. Elle colore. Et elle n’hésite pas à parler à la fois de respiration et d’expiration, de clair et d’obscur, de la mort et de l’art, de la présence, de l’absence, de Dieu, des hommes, de la culture et de la nature.
L’homme n’est pas seulement un être pensant, il est en même temps un être sensible. Il est un tout, une unité de forces intimement liées et c’est à cette totalité de l’homme que l’œuvre d’art doit s’adresser, elle doit répondre, en lui, à cette riche unité, à cette diversité une.
Pourrait-on dire qu’il incite à une façon de « vitalisme transcendantal » ? Je veux dire qu’il a foi dans la capacité performative de l’Art, dans la capacité transcendante de la connaissance – y compris scientifique. Tout cela revient pour moi à lire chez lui une pensée liée à la Grèce, où l’on confond le Bon, le Bien et le Beau. Donc, c’est ici une littérature universelle.
La divinité agit dans le vivant, non dans ce qui est mort, elle est dans ce qui devient et se métamorphose, non dans ce qui est devenu et figé. C’est pourquoi la Raison qui tend au divin ne s’occupe de que ce qui est en devenir et vivant, l’entendement de ce qui est devenu et figé, afin de l’utiliser.
Didier Ayres
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