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Les Chroniques

Soudain nous ne sommes pas seuls, Paul de Brancion (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 01 Septembre 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Soudain nous ne sommes pas seuls, Paul de Brancion, illustrations Liliane Klapisch, Florence Manlik, éd. de Corlevour, 80 p., 2025, 15 €

Face-à-face avec la mort

Quittons donc les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière.

Paul, Romains, XIII, 12

J’ai lu lentement ce recueil que publie Paul de Brancion, car le poème ici est une eau rare, et il faut savoir économiser sa peine, l’acte de lire, afin de ne pas gâcher la chance d’une prière bien faite prononcée dans le cœur sourd d’une voix intérieure. La lecture se développe dans une cambrure touchant à la fois au fond de l’être humain – sa mort et son existence devant cette mort – et ses espoirs. Oui, ce recueil organise un face-à-face avec la mort et, en définitive, le poète est plus fort qu’elle, il la transcende. Nous sommes tous, quoi que nous fassions, un être devant la mort, et cela pour comprendre la vie, et là, insistant sur un stoïcisme de la pensée. Être stoïque devant l’heure dernière : la plus grande mission de l’homme.

Un sol trop fertile, Cédric Le Penven (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 28 Août 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Un sol trop fertile, Cédric Le Penven, Editions Unes, 2021, 80 pages, 17 €

"j'ai acheté des outils pour sculpter du bois flotté

mon fils à l'école, ma femme au travail

je passe de pièce en pièce, dans le jardin, dans le bureau

je touche les gouges du bout des doigts

ça lancine et ça brûle

tant de colère contre la tristesse

ce paquet de linge gorgé d'eau qui colle et pèse à l'arrière de la nuque"(p.41)

 

La "résilience" s'entend au sens faible (malgré les coups reçus, le goût - et même la capacité - de santé demeure), ou au sens fort (plus un sort fait tomber notre vie, mieux on le surmonte). C'est comme vouloir faire rire le malheur, en bichonnant en retour quelques pieds-de-nez vers lui.

Le Royaume sans murailles, suivi de : L’aurore intranquille, Catherine Andrieu (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 26 Août 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Le Royaume sans murailles, suivi de : L’aurore intranquille, Catherine ANDRIEU, éd. Rafaël de Surtis [120 p.] – 17 €

Je suis née trouée, dit Catherine Andrieu, le laps fulgurant d’un souffle puisé dans une transfiguration chamanique du monde et l’alchimie d’un style, au cœur d’un Royaume sans murailles blotti tel une grotte au creux de la Terre, à l’écart du monde normatif, géode cosmique grandeur nature à même la paroi du vertige. « Je me suis levée avec la sève aux poignets », poursuit-elle, dressée à l’assaut du ciel sous l’arche végétale où le velours des fougères cervidées, entre autres -au milieu d’une faune sauvage qui n’a de sauvage qu’une liberté indomptable- peuple l’animale forêt de sa pensée. Par les interstices du feuillage, ceux de l’observation patiente, de la peur, du doute,  de la clairvoyance, elle s’y incarne par le sang de ses mots prenant racine « sur un sol (…) de sources invisibles » (arbre, clairière, « langue rauque des torrents », …), dans une osmose alchimique de sourcière, renversant la perspective, accouchant d’oiseaux en vol du Saint-Esprit sur les persiennes de sa chair, par le ventre de l’œil à l’écoute visionnaire (« des oiseaux carnivores sont nés dans mes cils »). Elle remue les globules de son encre dans le calice d’une immobilité figurative incorporant le total univers non domestiqué qui nous entoure.

Ton corps est là, Répons de Ténèbres, François Rannou (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 25 Août 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Ton corps est là, Répons de Ténèbres, François Rannou, éd. Bruno Guattari, 2025, 97 p. 12€

 

Transparence et opacité

Pour donner à entendre mon sentiment à l’égard de ce recueil de François Rannou que publient les éditions Bruno Guattari, je dirais que ce voyage (petit en termes de volume) m’a conduit à la fois à travers transparence et opacité, un voyage au sein des ténèbres et de la lumière. Là où le corps est dans son éclipse. Selon moi, le travail qui inaugure le livre vient du chapitre I de l’Évangile de Matthieu, de la description des filiations - la partie très claire du livre. Donc, une sorte de quête dans le temps des créatures, chemin générique et génésique tout à la fois, un arrière-monde d’utopie, de mythe, le mythe d’une famille. Puis, l’on avance dans l’opacité, dans la profondeur d’une réponse énigmatique au monde, peut-être là aussi éclipse du corps : matérialité impénétrable, conscience en demi-teinte, à moitié sûre de la présence du corps à lui-même.

Judéobsessions, Guillaume Erner (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 21 Août 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Flammarion

Judéobsessions, Guillaume Erner, Flammarion, 2025, 300 pages, 20 €.

 

On doit partir d’une considération simple : les personnes professant (et encore faudrait-il s’entendre sur le sens de ce mot) la religion juive représentent moins d’un quart de pourcent de la population mondiale. Il y a sur la planète moins de Juifs qu’il n’y a d’habitants au Kazakhstan, au Cambodge ou au Sri Lanka. Pour que l’attention médiatique universelle soit durablement attirée par le Kazakhstan, le Cambodge ou le Sri Lanka, il faudrait que s’y produise une explosion atomique – et même plusieurs. Une guerre ne suffirait pas : après tout, le Sri Lanka fut pendant près de trente ans le théâtre d’une atroce guerre civile menée par le mouvement des Tigres tamouls (une organisation terroriste jugée plus dangereuse qu’Al-Qaida par les services américains) dans une indifférence internationale complète ; la même indifférence avec laquelle l’opinion mondiale accueille depuis un demi-siècle le mur édifié par la Turquie et coupant en deux l’île de Chypre.