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Asie

Terre errante, Liu Cixin (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mardi, 03 Mars 2020. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud

Terre errante, Liu Cixin, janvier 2020, trad. chinois Gwennaël Gaffric, 79 pages, 9 € Edition: Actes Sud

 

Pour échapper à l’explosion annoncée du soleil, les Terriens décident d’arracher la planète à son orbite pour la lancer dans un long voyage dans l’espace à la recherche d’une nouvelle étoile.

À partir d’un tel argument, Liu Cixin aurait pu proposer un roman d’un millier de pages – à l’image de sa trilogie inaugurée en 2006 par Le Problème à trois corps (prix Hugo en 2015), déjà traduite par Gwennaël Gaffric, qui a ainsi permis la découverte en France de cet auteur majeur de la SF chinoise – on pourra lire sur ReS Futurae l’article qu’il a consacré en 2017 à l’œuvre de Liu Cixin : « La trilogie des Trois corps de Liu Cixin et le statut de la science-fiction en Chine contemporaine » (http://journals.openedition.org/resf/940). Dans Terre errante, novella écrite en 2000, Liu Cixin s’en tient à quelques dizaines de pages, qui ont pourtant la densité imaginaire d’une saga : on comprend que le cinéma ait pu être séduit par ce texte, adapté par Frant Gwo sous le titre de The Wandering Earth en 2019. Ce n’est pas que l’auteur accumule les péripéties. Il n’y a guère de personnages, à l’exception du narrateur, dont la vie et les sentiments sont eux-mêmes comme étouffés par l’ampleur des événements planétaires.

Contes des sages persans, Leili Anvar (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 04 Décembre 2019. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Seuil, Contes

Contes des sages persans, Leili Anvar, novembre 2019, 240 pages, 19 € Edition: Seuil

 

Du fabuleux, du révéré

Chacun des trente-deux contes de ce recueil, traduits par Leili Anvar, commence par le leitmotiv « Il était une fois, et il n’était pas, sous la voûte azurée, au pays d’autrefois », litote poétique à la manière de la trame narrative que tisse Shéhérazade au long des Mille et une nuits. Le premier conte persan parle de la beauté absolue d’une reine (brune) dont la vue tue, telle une déesse antique, Méduse qui ensorcelle, stupéfie et foudroie ceux qui la regardent, ou Narcisse au féminin qui ne se noie pas dans son reflet mais le re-duplique afin que rayonne sa splendeur aux yeux de tous, par l’intermédiaire d’un miroir. Plus loin dans l’ouvrage, c’est l’éléphant, révéré par les Bouddhistes, ou bien incarnation de Ganesh, qui est sujet à controverse et admiration : « Ainsi, nous verrons dans l’éléphant le pilier, l’éventail, la gouttière, les branches du trône et davantage… », qui rappelle, en cela, le mythe de la caverne et celui de la révélation :

Anonyme, Le Classique des Poèmes/Shijing en la Pléiade (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 18 Novembre 2019. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, La Pléiade Gallimard

Edition: La Pléiade Gallimard

 

[poèmes extraits de l’Anthologie de la poésie chinoise – Bibliothèque de la Pléiade –, dans une traduction de Rémi Mathieu, revue pour cette édition], Gallimard, coll. Folio bilingue (n°221), octobre 2019, 160 pages, 6,20 €

 

La barbarie. Partout. Rilke, à la fin des Élégies, emploie cette expression : « les infiniment morts », pour nous désigner. Déjà, Hölderlin, dans Hypérion, écrivait : « Les hommes de douleur / Chancellent, tombent / Aveuglément d’une heure / À une autre heure / Comme l’eau de rocher / En rocher rejetée / Par les années dans le gouffre incertain ». « Que peut faire la littérature face à la barbarie ? », s’interroge Javier Cercas, avant de murmurer : « Absolument rien ou presque rien […] ». Écoutons, par la voix de Moeris, cette déploration présente dans la IXe églogue des Bucoliques de Virgile : « Mais nos vers, Lycidas, valent au bruit des armes / Ce que vaut devant l’aigle un essaim de colombes ». « Que peut faire la littérature face à la barbarie ? », s’interroge Javier Cercas, avant de murmurer (nous ne l’avons pas laissé finir) : « Absolument rien ou presque rien, mais elle devrait œuvrer comme si elle pouvait faire absolument tout ».

Le Clou, Zhang Yueran (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Jeudi, 03 Octobre 2019. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Zulma

Le Clou, août 2019, trad. chinois, Dominique Magny-Roux, 592 pages, 24,50 € . Ecrivain(s): Zhang Yueran Edition: Zulma

 

Le Clou, premier roman traduit en français de Zhang Yueran, nous révèle un univers romanesque à la fois intime et ample, qui nous fait parcourir trois générations chinoises à travers le dialogue de deux amis d’enfance, Li Jiaqi et Cheng Dong, réunis une nuit, après des années de séparation, dans la maison d’un vieillard mourant.

Le récit a une noirceur d’abord presque rebutante, tant la vie des deux jeunes trentenaires semble irrémédiablement gâchée par les errements et les crimes de leurs aînés : existences étouffées dans des pièces encombrées d’humains et d’objets où le passé est enkysté, énigmatique, sous les yeux effrayés et captivés des enfants. Huis-clos sur ce campus de la faculté de médecine où s’est joué le drame de la génération des grands-parents. Horreur feutrée dont les enfants, en grandissant, et au fil des récits et réminiscences qui tissent le récit, nous livrent peu à peu le nœud originel.

Embrasements, Kamila Shamsie (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 05 Septembre 2019. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud, La rentrée littéraire

Embrasements, septembre 2019, trad. anglais (Pakistan) Éric Auzoux, 320 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Kamila Shamsie Edition: Actes Sud

 

La réfutation

Embrasements, de l’anglo-pakistanaise Kamila Shamsie, débute sur une scène d’humiliation provoquée par un interrogatoire kafkaïen mené sans ménagement par des fonctionnaires anglais de l’immigration. La vie d’Isma, la protagoniste, est passée au crible, et le lecteur est averti d’emblée de la façon dont les Européens traitent ceux qu’ils désignent comme Arabes et musulmans (les questions posées par cette police sont par ailleurs d’une rare stupidité). Isolée aux États-Unis, c’est depuis l’ordinateur que la jeune femme reprend contact avec les siens. Le mode opératoire de correspondance se fait par « la fenêtre Skype ». Les remarques d’Isma se trouvent souvent en contradiction, entre réfutation et assentiment. Il est difficile de déterminer où débute la fiction et où commence le réel, ce qui corrobore à une sorte de récit-reportage, mi-inventé, mi-réaliste. Le ton est amer, parfois caustique. Par exemple, un idéal de beauté masculine est prôné par la locutrice, une « chevelure brune bien fournie, un teint bien clair ». La chevelure est chargée d’un pouvoir de séduction et d’exhibition de son intimité sexuelle, sous le poids d’un interdit (d’où le port du voile). Paradoxalement, la couleur noire, dans la symbolique des rêves en Islam, est le signe de la luxuriance, de la force ; en rêver est présage de bonheur.