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Asie

Une Antigone à Kandahar, Joydeep Roy-Bhattacharya

Ecrit par Mélanie Talcott , le Samedi, 12 Décembre 2015. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Une Antigone à Kandahar, août 2015, trad. anglais (Inde) par Antoine Bargel, 368 pages, 21,50 € . Ecrivain(s): Joydeep Roy-Bhattacharya Edition: Gallimard

 

Nizâm… Un prénom de fille et de garçon qui en persan signifie harmonie.

Une silhouette bleu pastel immobile, un mirage contre le brun grisâtre du sol, une chaleur diurne qui épuise les corps et torréfie les esprits, un froid nocturne polaire qui empêche le sommeil, un ciel pailleté de tant d’étoiles qu’il suffit de se pencher pour les ramasser, l’aube qui naît plombée d’une brume maculée de poussière, le vent qui zèbre la terre à grands coups de fouet, l’air qui sent le soufre, des montagnes imposantes, le désert qui se cache dans les ombres et la poussière, partout. Quelque part en Afghanistan. La mort joue avec les nerfs des hommes, soldats américains contre Talibans. Les corbeaux et les vautours se disputent leurs dépouilles. Le temps se dissout dans une attente hantée par le spectre de la mort. Un poste avancé de l’armée américaine, une guerre qui n’en finit plus, une guerre qui abîme les cerveaux, détruit les cœurs et transforme les hommes en machines à tuer. Et le silence qui renvoie chacun à sa propre solitude et à ses doutes. Dans la nuit afghane, à la musique de Nizâm, juchée sur ses deux moignons, ancrée sur une charrette, ses deux bras comme des rames depuis son village lointain rayé du monde par un bombardement qui a emporté toute sa famille, répond en eux la nostalgie de l’exil et le désespoir de leur inutilité.

Pars, le vent se lève, Han Kang

Ecrit par Marc Ossorguine , le Jeudi, 26 Novembre 2015. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Decrescenzo Editeurs

Pars, le vent se lève, mars 2015, traduit du coréen par Lee Tae Yeon et Geneviève Roux-Faucard (바람이 분다, 가라, Chaesikju-uija, 2010), 356 pages, 21 € . Ecrivain(s): Han Kang Edition: Decrescenzo Editeurs

 

Les lecteurs les plus attentifs ont peut-être déjà lu cette auteure coréenne que les éditions Decrescenzo nous font découvrir, son roman le plus connu hors de Corée, La Végétarienne, ayant fait l’objet d’une publication par Le serpent à plumes et une nouvelle intitulée Les Chiens au soleil couchant avait été également publiée dans une anthologie il y a quelques années chez Zulma (Cocktail Sugar et autres nouvelles de Corée, 2011). Une petite recherche nous apprend que Han Kang est également musicienne et que depuis sa première œuvre publiée en 1994, à 25 ans, une quinzaine de ses œuvres ont été éditées dont plusieurs récompensées par divers prix littéraires coréens, trois ont été adaptées au cinéma.

Pars, le vent se lève nous plonge dans une quête qui est aussi enquête sur les pas de Jeong-hee, une jeune femme qui veut comprendre pourquoi son amie d’enfance, artiste exigeante et recluse, s’est suicidée. Ou plutôt qui se serait suicidée. Jeong-hee ne croit en effet pas au suicide de Seo In-ju. Replongeant dans leur enfance commune, elle remonte le fil de leurs vies chaotiques, où se sont enchaînées les brisures et les blessures, poursuivant de sa volonté de comprendre et de démentir les autres acteurs et témoins de la vie d’In-ju.

Le Guide et la Danseuse, R. K. Narayan

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 19 Novembre 2015. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Zulma

Le Guide et la Danseuse, septembre 2015, trad. de l’anglais (Inde) par Anne-Cécile Padoux, 268 pages, 9,95 € . Ecrivain(s): R. K. Narayan Edition: Zulma

 

C’est une belle initiative des Editions Zulma que la réédition de ce roman de 1958 de l’auteur de l’ouvrage Dans la chambre obscure, présenté en août 2014 dans les chroniques de La Cause Littéraire.

Le Guide et la Danseuse est construit sur l’alternance de deux voix, celle du personnage principal, Raju, qui raconte à la première personne certaines périodes de sa vie, et celle d’un narrateur extradiégétique omniscient, qui « voit » évoluer Raju dans d’autres tranches de son existence.

Car Raju vivra plusieurs vies entre sa naissance et sa mort.

Sous ces deux points de vue alternés, se reconstitue pour le lecteur, en un récit non linéaire où les temps de l’histoire s’entremêlent de manière anachronique, le destin singulier de Raju, fils d’un pauvre commerçant rural dont les affaires se mettent soudain à prospérer lorsque la modernité débarque au village (l’action se passe, comme dans la plupart des romans de Narayan, dans le petit bourg imaginaire de Malgudi) avec l’arrivée d’une voie ferrée et la construction d’une gare.

L’Homme-tigre, Eka Kurniawan

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 06 Novembre 2015. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Sabine Wespieser

L’Homme-tigre, septembre 2015, trad. de l’indonésien par Étienne Naveau, 246 pages, 21 € . Ecrivain(s): Eka Kurniawan Edition: Sabine Wespieser

 

Le lecteur, l’heureux lecteur (insistons !) de L’Homme-tigre apprend dès la toute première phrase du roman que Margio a assassiné Anwar Sadat. Il lira (une demi-douzaine de pages de description calme et méticuleuse) comment Margio a tué (est-ce le mot approprié ?) sa victime. A la fin de ce premier chapitre, Margio expliquera calmement aux policiers que ce n’est pas lui qui a commis cet acte mais un tigre qui est dans son corps. « Ce tigre était blanc comme un cygne, cruel comme un chien féroce ». Il faut reconnaître à Margio… comment dire ? la bonne foi d’avoir annoncé avant l’assassinat que le tigre en lui avait envie de commettre un meurtre. Ceux qui l’on entendu dire cela à plusieurs reprises, copains ou voisins, au pire ont pensé qu’il manifestait là une haine bien compréhensible contre son père, homme très violent dans son foyer. Mais ce père (Extraordinaire réussite d’un personnage ; sans doute le meilleur du roman de ce point de vue. Un concentré de souffrance et de cruauté. Une agonie humainement grandiose), ce père donc est mort récemment et enterré ; c’est d’ailleurs ce qui a fait réapparaître Margio qui avait disparu du village sans laisser d’adresse.

Dieu est rouge, Liao Yiwu

Ecrit par Cathy Garcia , le Mercredi, 08 Juillet 2015. , dans Asie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Histoire

Dieu est rouge, Books Edition Les Moutons Noirs, février 2015, traduit du chinois par Hervé Denès et Li Ru, 462 pages, 24 € . Ecrivain(s): Liao Yiwu

Un pavé ! Un pavé dans la grande mare de Chine. Liao Yiwu nous livre ici le fruit d’un long travail, difficile aussi, celui de réunir autant de témoignages que possible de cette « histoire vraie de la survie et de l’essor du Christianisme en Chine, de Mao à Xi Ping ». Il a parcouru la Chine pour rencontrer des hommes, des femmes, souvent très âgés, mais d’autres plus jeunes aussi, qui répondent à ses questions dans des entretiens rapportés ici, et entrecoupés de « préludes », qui permettent d’en comprendre les contextes. Beaucoup de noms vont défiler, on s’y perd, des lieux aussi, où morts et vivants se côtoient dans un effort de mémoire, qu’on ne lira probablement pas de la même façon, si l’on est croyant ou pas, mais toujours est-il qu’à travers cette quête assez singulière, Liao Yiwu, en toute humilité, et dans un style qui lui est propre, simple et profond, nous livre un pan très peu connu, car aujourd’hui encore tabou, de l’Histoire contemporaine chinoise, dans toute sa violence, avec ses drames et privations quasi ininterrompus. Avoir des témoignages directs, de personne à personne, des histoires individuelles aux destins souvent incroyables, est un trésor inestimable, car aujourd’hui encore il est extrêmement périlleux de fouiller dans ce récent passé et révéler des vérités. L’Histoire non officielle, non autorisée par le régime. L’auteur – qui a connu lui-même l’incarcération pour ses opinions – a dû souvent prendre de grandes précautions pour recueillir toutes ces confidences.