Madison Square Park, Abha Dawesar
Madison Square Park, avril 2016, trad. anglais Laurence Videloup, 336 pages, 21 €
Ecrivain(s): Abha Dawesar Edition: Héloïse D'Ormesson
« Cela fait presque cinq ans que je vis à New York avec un blanc dans une seule pièce et mes parents ne sont pas au courant ; ils espèrent encore me voir épouser un gars du pays qu’ils auront choisi. Je me sens plus éloignée d’eux que je ne le suis de l’Inde. Je frissonne ». Uma est enceinte, elle va être mère, mais s’est-elle dégagée de l’emprise d’un couple de parents, plus que batailleurs ? « Je raccrochai aussi au nez de mon père. Je le revoyais en train de frapper ma mère au visage ; la revoyais, elle, tombant violemment en arrière, obligée d’amortir sa chute en se protégeant de son bras malade, celui qu’il lui avait déjà cassé. Et le lendemain, il agissait comme si tout était normal ». Uma est encore une petite fille en même temps qu’une femme. Deux récits et deux temps s’entremêlent dans ce livre, il y a le présent et ce qui fut l’enfance et l’adolescence d’Uma. L’enfant qui s’annonce oblige celle-ci à choisir les points d’union et de désunion entre ces deux temps. Quoi qu’il en soit, elle ne peut plus scinder sa vie en deux, à l’image de ces deux téléphones qu’elle possède, un pour Thomas et les amis et un autre pour ses parents.
L’histoire d’Uma est résolument moderne, elle travaille dans une grande entreprise avec des rythmes infernaux et avec un patron machiste. « Je hais les matins où je me réveille avec l’angoisse sourde d’avoir oublié quelque chose de terriblement important qui coûtera à l’entreprise un million de dollars en flux de revenus car mon erreur a des répercussions sismiques, tout ça parce que des micro-événements sont liés à des plus grands ». Fille d’émigrés, elle a connu l’exil, mais surtout l’enfermement affectif dans un système familial pervers. « J’avais beau avoir onze ans, elle continuait à me savonner puis à me rincer avec des tasses d’eau. Elle m’obligeait à écarter mes grandes lèvres avec mon doigt et me nettoyait la vulve. Avant le départ de mon père, elle les écartait elle-même, mais désormais elle semblait distraite et souvent pressée bien que le temps ne lui manquât pas ». Le lecteur perçoit la souffrance d’Uma, moins dans la violence des rapports parentaux que par les tiraillements affectifs qu’ils provoquent. Ce livre rend compte des conflits de loyauté exacerbés, qu’engendre toute situation de maltraitance vécue de près ou de loin. « Tandis que mon père conduisait, je pleurais en silence. Un jour, je m’en irai ».
A côté d’Uma il y a Thomas, son compagnon, lui aussi est déboussolé par une situation compliquée qui ne peut se résumer à un manichéisme entre coupable et victimes. « Ecoute-moi bien, si tu ne me fais pas cette promesse, alors je te quitterai. Et si tu recommences, je te quitterai aussi. Il y a des choses que je ne peux accepter, et que tu te mutiles en est une ». Uma et Thomas essaient de cheminer ensemble, mais parfois un temps les sépare, un geste ou une parole froisse leur respiration. « Pour moi, l’angoisse est liée à mon rapport au temps. Si le temps s’accélère, je panique. Il est rare qu’il trouve rythme et harmonie et avance à la bonne vitesse (…). Contrairement à moi, il (Thomas) sait entrer dans une sphère temporelle et la quitter. Pour lui, le temps est comme une écharpe en soie passée à son cou qui l’enveloppe et flotte autour de lui. Une écharpe avec laquelle jouer et dans laquelle se réenvelopper ». Thomas est en partie comédien, mais la pièce qu’il joue avec Uma, il n’en a pas décidé le scénario.
Zoé Tisset
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