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Poésie

Mourir ne me suffit pas, Pascal Boulanger

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 07 Octobre 2016. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Mourir ne me suffit pas, éd. Corlevour, Revue Nunc, juin 2016, préface Jean-Pierre Lemaire, 101 pages, 15 € . Ecrivain(s): Pascal Boulanger

 

« Je regarde autour de moi / les vases se brisent / Dès lors j’ouvre les yeux / et le jardin » (Jardin).

« Sur la falaise / la maison est prise de vertige / Quand on me fermera les yeux sur le vent / il ne faudra pas pleurer / mais dans la rosée de l’herbe / célébrer mes noces aux vitraux du ciel » (Rosée).

Mourir ne me suffit pas est un recueil de libres poèmes, près d’une centaine, habité de cette liberté libre que l’auteur fréquente. Tout est net et précis dans ce livre traversé d’éclairs – Quand je marche je m’appuie sur l’orage, Derrière le monde / les visages que je croise s’enflamment – et il y a de l’électricité dans la trame des poèmes de Pascal Boulanger. La vivacité de sa phrase, le juste mot, la suspension, l’art de voir et de bien voir ce qui défile sous ses yeux, les visions réelles ou imaginaires, éphémères ou persistantes, la poésie romanesque de l’écrivain s’en saisit et offre au lecteur ces frémissements. Et si la mort rode, il convient de ne pas se laisser impressionner, et d’un trait de phrases s’en défaire ou pour le moins la mettre en suspension.

Épître langue louve, Claude Ber

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mardi, 04 Octobre 2016. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Épître langue louve, Éditions de l’Amandier, Coll. Accents graves, Accents aigus, 2015, 111 pages, 15 € . Ecrivain(s): Claude Ber

 

Il y a entre Claude Ber et René Char une affinité profonde. En ce sens, ce qu’écrit Jean Starobinski de Char vaut aussi pour Ber, – et il convient, bien sûr, de retirer au terme « violence » tout le péjoratif imaginable (qui ne se trouve nullement, du reste, dans la bouche de Starobinski) : « L’on voit d’ordinaire en Char un poète de l’énergie violente […]. Mais on omet trop souvent d’ajouter que c’est là ce qui l’habilite à être un poète de l’amour. Violence et tendresse, loin d’être exclusives l’une de l’autre, doivent s’allier pour répondre à l’inconnu, quand celui-ci vient à nous sous l’aspect miraculeux de la chance et de la faveur. La chance s’annonce dans des personnes, dans des vivants, dans des visages : ce n’est plus un horizon neutre, c’est un être offert dans sa singularité charnelle ». « Le poème est toujours marié à quelqu’un » écrit en effet Char dans « Partage formel » (in Fureur et mystère).

Cela, on le ressent, fortement, à la lecture du dernier livre de Claude Ber : Épître langue louve. Poème pluriel de l’énergie folle, où le corps existe follement par la langue, par le travail effectué sur la langue, c’est également – et d’abord – un poème d’amour.

"Birthday Letters" et "Contes d'Ovide" de Ted Hughes

, le Jeudi, 29 Septembre 2016. , dans Poésie, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Gallimard, Contes

Birthday Letters, trad. anglais et préface, Sylvie Doizelet, et Contes d’Ovide, Phébus, trad. anglais et présentation, Patrick Reumaux . Ecrivain(s): Ted Hughes Edition: Gallimard

 

Ted Hughes, né en 1930, marié à Sylvia Plath de 1956 jusqu’au suicide de celle-ci en 1963, poète officiel de la cour d’Angleterre, est l’une des grandes voix du vingtième siècle. La parution simultanée de ces deux recueils d’une rare densité, publiés peu avant sa mort survenue en 1998, atteste l’intérêt que lui porte l’édition française. Les Lettres d’anniversaire ont connu un succès sans précédent ; ces deux cent-trente pages-là se sont en effet vendues à cinq cent mille exemplaires, outre-Manche. Quant aux Contes, ils revisitent si bien tout ce que notre Occident répudie, le sacré par-dessus tête, qu’ils participent d’une nécessité en apparence distincte, mais tout aussi puissante.

Le suicide de la mère de ses deux enfants, à qui le poète dédie le monument funéraire que constituent ces Lettres, avait fait l’objet d’un silence irréfragable. Ce livre rompt trente-cinq ans de mutisme qu’aucun venin, aucune hyène n’avaient pu forcer. Mais la surprise, le goût pour le mystère dépecé n’expliquent pas à eux seuls un tel élan pour des poèmes. Si la lecture paraît à la portée de tous, le monde auquel renvoie celle-ci reste sans concession. Ces Lettres rebroussent la mort ; elles retrouvent la morte telle qu’elle n’a jamais cessé d’être aux yeux de ceux qui l’ont aimée : vivante. L’amour vibre et siffle entre les vers – seul oxygène que la mort ne ravit pas.

Derrière le dos de Dieu, Lorand Gaspar

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Samedi, 17 Septembre 2016. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Derrière le dos de Dieu, 111 pages, 14,90 € . Ecrivain(s): Lorand Gaspar Edition: Gallimard

 

Par le seul titre de son nouveau recueil de poèmes, qui s’inscrit dans l’œuvre complète de telle sorte qu’il semble inséparable du précédent recueil intitulé Patmos, et publié chez Gallimard en 2001, Lorand Gaspar parle tout à la fois de son goût pour Dieu et de son goût pour les voyages, l’un et l’autre se révélant inséparables.

En effet, « Derrière le dos de Dieu » est le « nom donné à cette région de la Transylvanie orientale où se situent les rudes villages des hauts plateaux des Carpates ». Les grands-parents de l’auteur viennent de cette belle région rocailleuse et inhumaine. D’où, peut-être, en partie, le goût de toujours de l’auteur pour l’austérité des déserts (la montagne et le désert étant plus proches qu’on pourrait le penser, l’un et l’autre forçant l’homme à ne s’intéresser qu’à son environnement, à cette chair de la terre qui prend soudain toute la place, physique et psychique).

A Oui, Boris Wolowiec

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 06 Septembre 2016. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres

A Oui, Editions du Vide Immédiat, 2016, 432 pages, 20 € . Ecrivain(s): Boris Wolowiec

 

L’œuvre de Boris Wolowiec s’inscrit, quant à la structure, plus du côté de Levinas que de l’aphorisme. S’il reprend la formulation de ce dernier, c’est pour immédiatement le mettre an abîme afin de casser ce que ce type d’écriture a de trop fringant et de faussement définitif.

L’auteur ne pense et n’écrit jamais par idées distinctes et simples ou dichotomiques, mais par un feuilletage progressif fondé sur l’exactitude et l’épaisseur du sentiment. Il faut son tribunal de nécessaire déraison sans quoi tout jugement rationnel ne serait qu’une vue de l’esprit, une quintessence statique. A l’inverse, tout chez Wolowiec est en mouvement.

Les textes eux-mêmes ne cessent de muter et restent en état provisoire même lorsqu’ils paraissent définitifs. Proche d’un Michaux (l’ironie en moins), il démaquille les apparats. Si bien que l’aphorisme devient l’apostille qui évite les réductions simplistes au profit d’une diaphonie.

Dans ce livre, division du discours n’est qu’apparente : s’y instaure tout un jeu de « répons » visant à embrasser l’humain un peu à la manière dont Ponge embrasse les choses entre altération et confrontation.