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La Une CED

Dans la forêt qui manque, Shiho Kasahara (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 10 Mars 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Dans la forêt qui manque, Shiho Kasahara, éditions Quartett, Coll. Théâtre, octobre 2024, 95 pages, 14 €

 

Passage

Tout est passage dans cette pièce de Shiho Kasahara. L’on passe de Tokyo à Paris, l’on voyage d’un aéroport à un autre, d’un avion à l’autre. On va et vient. On ne reste pas immobile, et c’est peut-être là une question de dramaturgie. On se meut d’un univers culturel à l’autre. On suit les développements de l’histoire de la pièce comme témoignage d’une quête d’identité. On sent l’auteure vraiment partagée entre deux cultures. Un mélange instable et qui n’en finit pas de ne pas être une émulsion.

D’un côté le Japon, terres du père, et de l’autre, la France, forêt de la mère. Aucun des deux parents n’a le dessus, les deux sont énigme et interrogation, comme deux forêts qui ne se ressemblent pas, ici des châtaigniers, là des banzaï. C’est un univers biparti, double et cependant absolument mêlé en lui par des langues étrangères l’une à l’autre. L’héroïne cherche la suture, un brassage, des rapprochements dans l’univers familial composé de deux présences culturellement teintées.

Parler avec sa mère, Maxime Rovere (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 06 Mars 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Parler avec sa mère, Maxime Rovere, Flammarion, janvier 2025, 288 pages, 21 €

 

Une mère, écrit l’auteur, ne nous donne pas « la vie » (car elle-même l’a reçue, et la lignée des corps vivants fait seulement passer son courant cosmique par son corps), mais elle nous donne, normalement, « la naissance » (accoucher, c’est pouvoir faire authentifier son passager clandestin, et devoir élever ce qu’on expulse de sa petite poche d’océan). Chaque petite maman aura donc parlé – c’est le moins qu’on puisse dire – avec le début de nous-même, de même que tout ce qui a été enfant humain parle jusqu’au bout avec elle, donc parle un jour, aussi, normalement, avec la fin d’elle. Car cette mort a aussi, montre Maxime Rovere, une voix maternelle : « Il y a bien une fonction maternelle qu’une mère, comme tout individu humain, remplit en mourant ; faisant migrer l’énergie d’un niveau d’organisation à un autre, sa mort alimente le cycle qui permet à l’espèce humaine de se renouveler ; l’individu-mère est alors réintégré à une mère de second degré, qui n’est autre que le mouvement d’individuation de l’humanité, lui-même inscrit dans le mouvement d’individuation du système terrestre » (p.244). Cette originale remarque mérite restitution de son cheminement.

Le Chemin de Jérusalem, Une théologie politique, Shmuel Trigano (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 04 Mars 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Le Chemin de Jérusalem, Shmuel Trigano, Les Provinciales, avril 2024, 126 p. 15 €

Dans une conférence récemment traduite en français (Textes retrouvés, Gallimard, 2024), Jorge Luis Borges notait que la civilisation occidentale repose sur deux piliers : la Grèce et la Bible. Cela ressemble de prime abord à un de ces lieux communs dont les conférenciers assaisonnent à l’occasion leur propos, mais toutes les conséquences de cette situation n’ont pas été tirées. L’une fut déduite par Borges lui-même : malgré des rencontres occasionnelles avec la Grèce (notamment dans les livres sapientiaux), la Bible appartient à l’Orient. La rhétorique amoureuse du Cantique des Cantiques ne put ainsi être acceptée et « reçue » en Occident qu’aux prix de distorsions considérables.

La centralité et la primauté de Jérusalem sont une autre conséquence. Seule Rome (en tout cas ni Londres ni Paris) put rivaliser. Mais l’effondrement de l’Église catholique en Europe, alors même que renaissait l’État d’Israël (la concomitance des deux événements possède-t-elle un lien secret ?) a remis en cause le statut de Rome, qui n’est plus qu’une destination de week-end comme une autre, au même titre qu’Amsterdam ou Berlin. Lors des audiences hebdomadaires du pape François, l’immense place Saint-Pierre est aux trois-quarts vide.

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 03 Mars 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon, éd. L’Atelier Contemporain, octobre 2024, 102 pages, 14 €

Cette étude de Franck Guyon sur La Vierge de l’Annonciation d’Antonello de Messine, tableau datant d’environ de 1475, est bel et bien un livre parlant. Je dis cela à deux titres : d’une part, l’ouvrage parle de lui-même et de l’intelligence de l’auteur, et encore parlant d’autre part, car toute peinture n’existe que sujette à la parole (ou à la pensée dans la contemplation muette), le tableau ne se concevant que comme devant susciter du langage, des signes de langage, des outils de la pensée. Le tableau n’existerait pas sans cette compréhension langagière.

CET ÉVÉNEMENT A LIEU.

Il se produit fort humblement sous la forme d’un panneau de bois peint, haut de quarante-cinq centimètres et large de trente-quatre.

Le créateur de l’événement se nomme Antonello de Messine.

L’événement a lieu aux alentours de l’année 1476 ou 1477, après l’Incarnation.

Cet événement se nomme : Vierge de l’Annonciation.

Au plus près du jour, Jacquy Gil (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 20 Février 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Au plus près du jour, Jacquy Gil, Éditions Encres Vives, Coll. Encres Blanches, janvier 2025, 32 pages, 6,60 €

 

« J’allais sous le soleil la tête enflée de lumière. Le vent écartait les herbes ; je m’étonnais d’être presque aussi vif que lui.

Trop belle était l’échappée pour n’appartenir qu’à la réalité ; je rêvais en courant, je courais en rêvant. Cela en ignorant tout de mon bonheur d’être.

Où que je me tourne, des prés venaient emplir mes yeux. C’était là comme un ciel dont on ne sait ni où il finit ni où il commence, pareil à celui que l’on voit à l’oculaire d’un télescope et qui multiplie les étoiles (p.15).

Au plus près du jour, c’est, ni plus ni moins, le programme de vie et d’action de notre poète.