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La Une CED

Lidia Jorge ou l’écriture en liberté (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Samedi, 11 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques

Nous traversons des fleuves, des nuits et, de rêve en rêve, de rives en rives, nous lisons Lidia Jorge.

L’auteure portugaise nous fait affleurer à la littérature monde, style serré, reconnaissable par son ininsistance. On voudrait le Prix Nobel pour elle, mais nous n’avons qu’un pouvoir restreint. Notamment celui de n’avoir pas lu toute son œuvre.

Le rivage des murmures nous a marqué en premier. Édité en France en 1989. Rappelons-nous l’importance durassienne des fleuves, des regards nocturnes, des mariages sans fin et du marié. Il se détache, voyez-le se détacher, partir pour une sale guerre. Nous venions de lire sur la colonisation, Mathieu Belezy dont il fut rendu compte, langue au couteau, grande gueule d’ogre où l’anti-héros charrue la terre d’Algérie de la glèbe jusqu’aux ventres et aux dos des hommes. Bélézy a une luxuriance au bazooka, quand, il faut la lire pour le contraire, Lidia Jorge écrit à mi-voix.

Paul Celan, Sauver la clarté, Marie-Hélène Prouteau (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Vendredi, 10 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Paul Celan, Sauver la clarté, Marie-Hélène Prouteau, éditions Unicités, octobre 2024, 141 pages, 14 €

Marie-Hélène Prouteau nous réveille à temps. Nous étions sur le point de ne plus penser à Paul Celan.

Cette poésie d’inconfort, ce destin de mots qui bougent, frappent, surtout de mots qui résistent, se faufilent, étincellent. Marie-Hélène Prouteau, dans un court ouvrage intitulé Paul Celan, Sauver la clarté, nous aide dans son œuvre poétique à y voir plus clair.

Y croiser dans cette biographie en désordre Mandelstam, Rilke, Kafka ou Kropotkine, Jean Bruller alias Vercors, Walter Benjamin, Pasternak ou Desnos. De ce dernier apprendre de cette lettre de Youki à Gaston Gallimard l’histoire surréaliste et tragique de la boîte de chocolats de Robert Desnos…/… Il y cachait le manuscrit d’un roman d’amour et les lettres de son épouse. Initiative fatale. La boîte Marquise de Sévigné fut volée par un prisonnier russe. Desnos, espérant retrouver la précieuse boîte donna ses rations de nourriture et se refusa à quitter le camp gagné par le typhus. Il mourut terrassé par la maladie.

« Une douce langueur m’ôte le sentiment » : sur un sonnet de Madame de Villedieu (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 09 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

En travaillant avec mes élèves sur la poésie baroque, un poème de Madame de Villedieu, que l’on appelle aussi Mademoiselle Desjardins, m’est tombé sous les yeux.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le nom de Madame de Villedieu, morte en 1683 à quarante-trois ans, à l’inverse de celui de Madame de Duras, inspiratrice de Stendhal et d’Astolphe de Custine avec Olivier et Le Moine du Saint-Bernard, redécouverte ces dernières années, demeure obscur pour nos contemporains et qu’elle n’a guère retenu l’attention des spécialistes ni des curieux malgré la thèse déjà ancienne de Micheline Cuénin (Roman et société sous Louis XIV, Madame de Villedieu, Honoré Champion, 1979) et quelques études universitaires (un colloque a eu lieu à son sujet à Lyon en octobre 2008 : « Madame de Villedieu et le théâtre »). À ma connaissance, aucune de ses œuvres n’est disponible dans nos librairies et il faut sur rendre sur le site qui lui est consacré depuis 2007 par les éditions Champion pour constater que sa production n’est pas aussi mince qu’on pourrait le penser et qu’elle a été également dramaturge (Nitétis, 1664 ;

Pronostic vital engagé, Jacques Cauda (par Murielle Compère Demarcy

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 08 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Pronostic vital engagé, Jacques Cauda, Éditions Sans Crispation, mars 2024, 130 pages, 16 €

 

La radiographie n’est pas belle, ou si ! Terriblement fascinante. Voyez cette toile d’araignée se déliter sous elle comme on se délite s’oubliant : ainsi l’époque, dans son corps social politique et culturel déliquescent qui nous déchire et se désintègre, le symptomatique aujourd’hui qui nous aveugle et nous voit souvent si veules, impuissants, ainsi… Paul-Mario, drôle de type improbable et génial perfusé pour survivre au VivrÉcrire-Peindre quotidien dans la transgression de toute norme, quelle qu’elle soit, ausculte le corps défait de son Paris, le palpe, le scrute avec minutie, obsessionnellement et par effraction et, forçant les portes d’une libido prête à mouiller et faire mouiller les plus résistantes serrures, poursuit son œuvre criminelle (puisqu’écrire revient à tuer), « l’œil entre les jambes dans le trou ». Le fantasme rutile sur le tournebroche d’un imaginaire débridé, rosit entre les lèvres de l’étoile pleureuse rimbaldienne s’écoulant dans l’Oreille de l’univers et file dans sa ouate sidérale jusqu’aller tomber dans le lit de Pollock où s’y disloquer, l’amour écartelé, sadique, viril, viral !

Houris, Kamel Daoud (par Mona)

Ecrit par Mona , le Mardi, 07 Janvier 2025. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Houris, Kamel Daoud, Gallimard, Coll. Blanche, août 2024, 416 pages, 23 €

 

Du roman de guerre à la bataille de l’intime

A l’heure où les Afghanes se talibanisent et où jaillissent les cris des Iraniennes : « Femme, Vie, Liberté », peu de temps après la parution du livre de Salman Rushdie, Le Couteau, à propos de l’attaque qui lui a coûté un œil, le jour même où débute le procès de l’assassinat de Samuel Paty, Kamel Daoud, témoin de la montée en puissance des « barbus de Dieu » dans son pays natal, lui-même cible d’une fatwa en 2014, méritait de recevoir la plus prestigieuse récompense littéraire française, le Prix Goncourt, pour son roman Houris, nommé d’après les 72 vierges, récompenses des bienheureux au Paradis d’Allah. Parole libre contre un révisionnisme qui voudrait effacer l’histoire et un totalitarisme religieux, « mutation mortelle au cœur de l’islam » (écrit Salman Rushdie), l’auteur franco-algérien refuse les assignations identitaires (« J’ai le syndrome d’Apollinaire, je suis plus Français que les Français » (Le Point 9/08/24).